Natzweiler – Struthof : Un camp de concentration allemand en Alsace annexée

Entrée de l’ancien camp de concentration Natzweiler-Struthof et le Mémorial aux héros et Martyrs de la Déportation en fond, Photographie personnelle

La création du camp

Dès les années 1920, Hitler a pour projet de construire un empire allemand dont la capitale se prénommerait Germania, nouvelle capitale du monde. Ces futurs chantiers de constructions monumentaux nécessitent des besoins en matériaux. Le granit est très recherché et apprécié par l’Allemagne nazie pour ces travaux de construction. Ainsi, Heinrich Himmler fonde l’entreprise minière Deutsche Erd und Steinwerke GmbH le 29 avril 1938. Cette entreprise est censée acquérir des matériaux de construction. Dans les faits, elle organise surtout le travail forcé. 

Le lieu-dit du Struthof était bien connu par des Strasbourgeois qui avaient l’habitude de venir y faire du ski en hiver ou de s’y promener en été. Dès septembre 1940, un filon de granit rose est repéré par le géologue et colonel SS Blumberg qui décide d’implanter un camp à proximité du lieu-dit du Struthof, sur les hauteurs de la commune de Natzweiler. Le camp est officiellement ouvert le 1er mai 1941. 

Skieurs au Struthof, carte postale, vers 1930, Chemin de Mémoire

Les premiers détenus

Le KL-Natzweiler ouvre officiellement ses portes le 1er mai 1941. Les premiers détenus arrivent entre le 21 et le 23 mai 1941, en provenance du camp de Sachsenhausen en Allemagne. Ce sont des déportés de droit commun, des « asociaux », des déserteurs ou des réfractaires de l’armée allemande la Wehrmacht, essentiellement des Allemands, des Polonais et des Tchèques. Pour rejoindre le camp, les détenus arrivent par la gare de Rothau et marchent environ 7 kilomètres afin de rejoindre le camp. Lors du transport, ils sont entassés dans les wagons des trains, tel du bétail. Dès la descente du train, les déportés sont accueillis par les hurlements, les insultes, les coups des SS et les aboiements de leurs chiens.

52 000 détenus provenant de toute l’Europe

Entre 1941 et 1944, 52 000 détenus se sont succédés dans le camp du Struthof. Ce camp de concentration a accueilli des prisonniers principalement issus de déportations politiques (60%), mais aussi raciales (11%, essentiellement des juifs). Les détenus étaient originaires de toute l’Europe : Pologne, Union Soviétique, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Allemagne et France.

L’organisation du camp

Le KL-Natzweiler est délimité par une double rangée de barbelés électrifiés (380 volts) et des miradors. Compte tenu de sa localisation sur le versant d’une montagne, le camp est construit avec une forte déclivité. Les premiers détenus sont obligés d’aménager la structure du camp en terrasse, comprenant 17 blocs parfaitement alignés séparés en deux rangées. En 1943, sur la dernière terrasse, un four crématoire est installé. Les deux premières baraques sont la cuisine et le secrétariat des SS, ainsi qu’une infirmerie précaire. Les SS disposaient d’une bibliothèque, d’une salle de cinéma et avaient organisé un orchestre composé de détenus qui jouaient le dimanche devant les SS. Une des dépendances de l’hôtel du Struthof, est aménagée en chambre à gaz en 1943. La carrière est également clôturée et dotée de baraquements, servant d’entrepôt ou d’atelier pour les kommandos de travail.

Maquette du KL-Natzweiler, Musée du Struthof, Photographie personnelle

Les kommandos : l’extermination par le travail

Les détenus sont indispensables aux travaux dans le camp. Il existe plusieurs types de kommandos. Le principal est spécialisé dans la construction, notamment de blocs, de terrasses, de canalisations, et l’installation des barbelés,… Ainsi, un des projets d’aménagement du camp est la Kartoffelkeller, « la cave à pomme de terre ». Il s’agit d’une excavation d’environ 115 m de long creusée à même la roche. Les historiens et les archéologues ne savent pas exactement qu’elle aurait été l’utilité de la cave une fois achevée. Les conditions de vie dans ces chantiers sont très difficiles car les SS et les Kapos, détenus chargés de surveiller d’autres détenus, « font preuve d’un sadisme ciblé » (R. Steegmann). Il existait d’autres kommandos : un pour l’entretien vestimentaire (cordonnerie, couture,…), un autre pour le jardinage afin d’entretenir les espaces verts du camp et les parterres de fleurs, ou bien un autre affecté aux services (secrétariat, coiffure, et cuisine). Peu à peu, l’exploitation du granit diminue au profit de la réparation des moteurs d’avions de la marque Junkers. Les détenus du camp participent ainsi à l’effort de guerre allemand.

Kapo surveillant le travail des détenus dans les carrières de granit rose, dessin de Rudolf Naess, DNA

Le KL-Natzweiler : lieu d’expériences humaines

L’idéologie antisémite nazie portée par Adolf Hitler prône la supériorité de la race dite aryenne. Cette dernière serait une « race pure allemande » primant sur les autres « races ». Des travaux dits scientifiques, menés par des médecins et professeurs allemands, tentent de confirmer cette thèse. Plusieurs expériences sont notamment menées au sein du KL-Natzweiler pour la Reichsuniversität de Strasbourg. 

Reichsuniversität Straßburg : l’Université de Strasbourg sous le IIIe Reich, France Bleu

Novembre 1941, le professeur August Hirt est nommé à la tête de la Reichsuniversität de Strasbourg. Hirt, grand anatomiste, est convaincu par l’idéologie nazie. En 1942, il pratique sur les détenus du camp des expériences avec le gaz ypérite (gaz moutarde). Ces expériences ont pour objectif de servir l’effort de guerre allemand. Dès 1942, Hirt souhaite réunir une collection anatomique de la race dite juive, afin de l’étudier et d’en garder une trace lorsqu’elle sera totalement exterminée. Une chambre à gaz a été aménagée dans l’ancienne salle de bal de l’auberge du Struthof pour ce projet. 57 hommes et 29 femmes ont été sélectionnés à Auschwitz puis transportés jusqu’au KL-Natzweiler. Le 11 août 1943, les 15 premières femmes juives sont gazées sur l’ordre de Josef Kramer. Le 13 août, les 14 autres femmes subissent le même sort. Les 14 et 15 août, les 57 hommes sélectionnés sont à leur tour assassinés.

Otto Bickenbach, virologue, utilise également la chambre à gaz pour faire des expériences avec le gaz phosgène, un gaz de combat. Bickenbach avait pourtant trouvé l’antidote de ce gaz avant la guerre. Il réalise ses expériences sur des tziganes et des déportés de droit commun. Eugen Haagen, bactériologue, réalise des travaux autour du typhus. Entre 1943 et 1944, il réalise deux séries d’expériences lors desquelles il inocule le virus à des sujets, certains vaccinés et d’autres non. Il avait lui-même mis en place ce vaccin dont il était insatisfait. Ces expériences ne sont pas correctement réalisées et les sujets transmettent le typhus à une partie des détenus du camp en 1944.

La vie quotidienne au sein du camp

Le réveil des détenus était fixé à 4 heures, ou 5 heures en hiver. Ils étaient réveillés par des sifflements, des hurlements et des insultes. Ils devaient ensuite faire leurs lits au carré sous peine d’être matraqués. Survenait ensuite le moment de la douche. Dans chaque baraquement, il y avait une vasque ronde où coulait de l’eau glacée. Ceux qui ne se mouillaient pas assez vite pouvaient également recevoir des coups. Les détenus pouvaient ensuite boire une petite portion d’un liquide ressemblant vaguement à du café.

L’appel se faisait à 5h30, ou 6h30 en hiver. Les détenus devaient être bien droits et parfaitement alignés. Tous devaient assister à l’appel, même les plus faibles ou les mourants. Les SS passaient pour compter les morts et les vivants. Souvent, ils faisaient en sorte que les appels durent longtemps, notamment en hiver, afin d’épuiser toujours plus les détenus.

De jour comme de nuit, l’appel. Gravure de Henri Gayot, Chemin de Mémoire

Après l’appel, les détenus étaient répartis dans les kommandos de travail, unité de travail forcé. Certains partent travailler dans la carrière ou dans les chantiers environnants. D’autres travaillent dans les kommandos de service pour accueillir les nouveaux détenus ou préparer le maigre repas des autres détenus.

Le repas du midi était composé d’une soupe claire où flottaient quelques bouts de choux et quelques maigres morceaux de viande. Le repas est servi dans des gamelles sur le camp ou directement sur les chantiers. Ce sont les kapos, qui versent la soupe aux autres détenus.

Vers 18 heures, les détenus sont de retour au camp. Les blessés et les mourants de la journée sont transportés par d’autres détenus jusqu’au camp. S’en suit un nouvel appel. Le repas du soir est constitué d’un morceau de pain, de margarine, parfois de saucisson ou de soupe. Quelques fois, les détenus pouvaient recevoir une cuillère de marmelade. Le dimanche, la soupe contenait un peu plus de viande.

À partir de 20 heures, le silence devait régner sur le camp. Les détenus étaient entassés à 3 ou 4 sur des paillasses. Ils dormaient en quinconce afin d’optimiser la place sur ces lits de fortune. 

Septembre 1944 – avril 1945 : l’évacuation du camp

L’évacuation du camp est précipitée par l’avancée des Alliées. Le 2 septembre 1944, les détenus sont évacués à partir de la gare de Rothau en trois vagues successives. Le 11 novembre, le commandant quitte le camp. Le 22 novembre, c’est la dernière évacuation. Lorsque les soldats américains de la 6ème armée entrent dans le camp le 25 novembre, ils le trouvent totalement vide. Une fois évacué, le camp de Natzweiler continue d’exister et de croître. L’administration est déplacée à Guttenbach en Allemagne dans une petite auberge. Une grande partie des détenus a été déportée dans le camp de Dachau. À partir de fin janvier 1945, l’administration du KL-Natzweiler est itinérante. Le supplice des détenus continue jusqu’à fin avril 1945 avec des évacuations vers d’autres camps toujours plus à l’Est. Ces évacuations donnent lieu à des marches de la mort.

Après l’évacuation du camp par les SS, le camp devient en décembre 1944 un « centre de séjour surveillé » pour les personnes arrêtées et en attente de leur jugement. Puis en janvier 1946, le camp est confié à l’administration pénitentiaire. Des personnes seront emprisonnées dans le camp jusqu’en 1948. 

Le camp du Struthof aujourd’hui : un lieu de mémoire

Dès la fin de la guerre, il y a une volonté de préserver ce camp qui est à la fois un lieu historique et un lieu de mémoire. Il faut parler, transmettre et expliquer aux futures générations, les erreurs du passé afin de ne pas les reproduire. Il est aussi important de parler pour ne pas oublier toutes les innocents qui ont perdu la vie. Ainsi, en janvier 1950, le camp de Natzweiler-Struthof est classé Monument Historique. Plusieurs mémoires s’articulent autour du camp : la mémoire de la résistance et la mémoire des déportés.

Le souvenir de la résistance

Des plaques commémoratives ont été érigées à plusieurs endroits du camp en hommage aux résistants qui ont été tués dans le camp. De plus, on retrouve en bas du camp la croix de Lorraine, symbole de la résistance initiée par le général de Gaulle. 

Le Centre Européen du Résistant déporté y a été inauguré le 3 novembre 2005 par le président Jacques Chirac. Ce lieu a été pensé pour être un lieu de formation, de réflexion et de rencontre. L’exposition permanente s’intitule « S’engager, résister, combattre » ; c’est une introduction à la visite du camp. Il y a également des bornes tactiles, des vidéos, des photos qui présentent et résument l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et de la résistance, notamment pour les groupes scolaires. Pour le bâtiment, l’architecte Pierre-Louis Faloci a utilisé des matériaux sombres, tels que l’aluminium, le bois, le béton brut, l’acier noir et la pierre granitique noire afin de jouer avec les contrastes de lumière et donner une impression d’austérité.

Le Centre Européen du Résistant déporté, Mémorial Struthof

Le souvenir des déportés

Une plaque commémorative a été installée en haut du camp; elle surplombe les terrasses où se trouvaient les baraquements, en hommage à tous les déportés. Il y est inscrit « à la mémoire de tous les déportés étrangers morts ici pour la liberté ». 

Le Mémorial aux héros et Martyrs de la Déportation est pensé comme un « mausolée pour les milliers de corps inconnus » (CERD), qui ont péri et ont été réduits en cendres dans les fours crématoires. Ce mémorial est le dernier lieu de repos pour des milliers de déportés qui ont été privés d’un lieu de sépulture. C’est une tombe symbolique pour tous les déportés d’Europe. Le bâtiment a la forme d’une flamme. 

Le Mémorial aux héros et Martyrs de la Déportation, Photographie personnelle

La Nécropole Nationale a été construite en 1957. Entre 1957 et 1962, 1 118 déportés ont été exhumés des camps nazis, essentiellement en Allemagne. Ils ont ensuite été inhumés au sein de la Nécropole Nationale du Struthof. L’objectif est de leur rendre hommage en leur offrant un dernier lieu de résidence après toutes les souffrances endurées.

La Nécropole Nationale, Photographie personnelle

Comment transmettre les mémoires ?

Afin de transmettre la mémoire à la fois du camp, des déportés et de la région, le Mémorial du Struthof propose de visiter le lieu de l’ancien camp de concentration. Ces visites peuvent être individuelles, collectives ou encore pédagogiques. 

Depuis le 7 juillet 2023, « le chemin des déportés » est créé. Il s’agit d’un sentier de 8 km qui permet de rejoindre la gare de Rothau et le camp du Struthof. Ce sentier à l’initiative du CERD permet de comprendre ce qu’ont vécu les déportés en retraçant leur parcours. C’est également une introduction à la visite du camp. 

Carte Chemin des déportés, Mémorial Struthof

Par ailleurs, les médias et multimédias sont également sollicités afin de remplir ce devoir de mémoire. Une série de podcasts est diffusée depuis 2023. Ces podcasts sont dédiés à l’histoire du camp et ses victimes. Une chaîne YouTube a également été créée afin de diffuser l’histoire du camp. On y trouve notamment des conférences et des témoignages.

De plus, le CERD propose également des dossiers pédagogiques afin d’accompagner les enseignants dans l’étude de l’histoire du camp. 

Le site internet du Struthof est également un outil qui contribue à la diffusion de l’histoire et de la mémoire du camp. Il propose une multitude de renseignements et d’informations qui permettent de sensibiliser tous les publics.

Bibliographie indicative


Paris Léa, Dartigolles Marianne, Leon Rohan, Bessière-Cousinié Juliette