La Prostitution dans le Languedoc entre le XIVe et XVe siècle

Souvent qualifié de plus vieux métier du monde, la prostitution occupait une place ambivalente dans la société médiévale, oscillant entre tolérance et marginalisation. Dans le Languedoc, comme ailleurs en Europe aux XIVe et XVe siècles, elle faisait l’objet d’une réglementation par plusieurs instances visant à la contrôler sans pour autant l’éradiquer. Nous avons principalement nous nous sommes principalement appuyées sur l’ouvrage : La prostitution au Moyen Âge : le commerce charnel du midi toulousain du XIIIe-XVIe s.d’Agathe Roby. Agathe Roby explore la régulation et l’évolution de la prostitution à Toulouse. Elle explore l’institutionnalisation des bordels, les dynamiques urbaines, les portraits des prostituées et leurs impacts socioculturels. Nous pouvons donc nous demander : quelle est la place de la prostitution dans le Languedoc au XIVᵉ et XVᵉ siècle ?

I- Les Prostituées Dans La Société

Les prostituées étaient qualifiées de « femmes de mauvaise vie » et étaient souvent désignées par un surnom ou un nom faisant référence à un lieu ou à une caractéristique physique. Par exemple, « la Borgne ». Toutefois, ces surnoms évoquaient avant tout leur statut de prostituées. Par ailleurs, les autorités de l’époque les considéraient comme célibataires, bien qu’elles puissent aussi être mariées. Cependant, cette situation ne plaisait pas aux autorités, qui leur demandaient alors de retourner à leur vie conjugale. En ce qui concerne les tarifs, ceux-ci étaient fixés en fonction de leur renommée et de la demande des clients. Enfin, bien que les grossesses soient rares, elles restaient possibles. Ainsi, des remèdes abortifs existaient sous forme de traités médicaux. 

Au XVe siècle, les prostituées sont intergrées en tant que témoins et reconnues comme victime de viol par la justice. On peut le voir notamment quand les prostituées du bordel public de Toulouse engagent une procédure judiciaire contre les capitouls en 1463. Elles se plaignent d’un mauvais traitement de la part de leur tenancier. Elles perdent, cependant, il est important de noter qu’il était donc possible pour elles d’engager des procès même contre les autorités municipales. 

Le cas d’une femme : Catherine de Mas Dieu

D’après le registre d’audience du parlement toulousain de 1453, Catherine de Mas Dieu vivait près de Rodez, à Mas Dieu. Elle fut accusée de prostitution après avoir quitté le domicile conjugal, son mari étant violent. Selon ce dernier, elle aurait fui de son plein gré pour rejoindre un groupe de l’armée du roi. Cependant, d’après Catherine, son mari et ses complices l’auraient abandonnée dans une rivière, la croyant morte. Lors de sa défense, son avocat resta volontairement vague sur son rôle au sein du groupe armé. Par la suite, elle s’installa à Rodez, où elle exerça d’abord comme blanchisseuse avant de devenir vendeuse de cuir. Néanmoins, le procureur du roi exigea donc son expulsion de la ville. Lorsqu’elle a l’appris, Catherine se réfugia dans une église et, en signe de contestation, sonna la cloche toute la nuit. Elle tenta alors de faire annuler son expulsion et réussit à convaincre un procureur de Villefranche de la défendre. Cependant, les sources ne permettent pas de connaître l’issue de son histoire. Ainsi, son cas montre comment une seule femme peut passer par différentes sortes de prostitutions (forcée, itinérante, encadrée) au cours de sa vie et comment il était facile d’accuser une femme de prostitution sans avoir réellement de preuve. 

Une Représentation dans l’art

La photo au dessus, représente une femme tenant un miroir et un peigne, face à un homme qui lui adresse un geste obscène. Le miroir et le peigne sont des symboles traditionnellement associés à la sirène ainsi qu’à l’allégorie de la luxure. Quant au geste de l’homme, il place son pouce entre l’index et le majeur, un signe connu sous le nom de « geste de la figue », un geste méprisant faisant référence à la sexualité.

Photos prises du livre d’Agathe Roby du presbytère de Lagrasse

Sur la photo de gauche, on peut voir une scène d’étuve où un homme nu se baigne en compagnie d’une femme. L’homme est un clerc, et un autre clerc, placé à proximité, adopte une attitude voyeuriste. 

Les femmes sont vêtues de rouge, portent les cheveux longs ou sont coiffées d’un voile, éléments qui soulignent leur statut et leur rôle dans la scène représentée. L’emplacement de ces représentations pose question parce qu’elles sont placées dans un presbytère, la résidence du curé. On pourrait croire qu’elles visent à dénoncer ce type de comportement, mais leur présence dans une chambre, à proximité de plusieurs scènes de carnaval, suggère plutôt une intention décorative qu’un message critique.

II-Le contrôle par les institutions

Le Contrôle de la prostitution: l’Église 

Au XIIIᵉ siècle, l’Église choisit d’adopter un discours pragmatique sur la prostitution. Elle est influencée par les écrits de saint Augustin (IVᵉ-Vᵉ siècle), qui la qualifiait de mal nécessaire. L’Église met aussi l’accent sur la réhabilitation des prostituées, cette vision est influencée par la nécessité d’adapter la morale chrétienne à la réalité sociale de l’époque. Pour ce faire, les clercs utilisent la figure de Marie-Madeleine appelée aussi Marie la Magdalénienne  dans les Évangiles, elle est un disciple de Jésus de Nazareth qui le suit jusqu’à ses derniers jours. C’est une prostituée repentie, elle devient donc grâce à cela un modèle pour l’Église de repentance dont elle se sert pour amener les femmes dit déviantes à se soumettre aux valeurs chrétiennes. 

Triptyque de la Vierge au Maître de Flémalle de Robert Campin ,réalisé entre 1425 et 1430, dans le contexte des débuts de la Renaissance en Flandres.

L’image reflète le rôle de l’Église dans la moralisation des femmes marginalisées, notamment les prostituées. En présentant Marie Madeleine comme une pécheresse repentie devenue sainte, L’Église utilise l’image de cette sainte pour maintenir un contrôle symbolique sur les femmes, leur sexualité et leur rôle dans la société. Pour ce faire, elle donne comme seul chemin de réhabilitation, la soumission aux dogmes de l’Église. 

Le contrôle de la prostitution: le pouvoir royal 

Parallèment, plusieurs initiatives sont mises en place  par la royauté pour tenter de contrôler la prostitution. Comme par exemple les ordonnances de Louis IX de 1254 et 1256. En 1254, Louis IX interdit la prostitution, oordonne l’expulsion des prostituées et sanctionne ceux qui les hébergent. Ces mesures, difficilement applicables, rencontrent des résistances. Quand a celle de 1256, elle opte pour un encadrement de la prostitution, elle est plus tolérée mais strictement régulée, avec des zones spécifiques pour l’exercer.Ici, nous pouvons nous rendre compte des efforts de la monarchie pour moraliser la société malgré son incapacité à étendre ces réformes dans l’ensemble du royaume. 

une miniature médiévale, des enluminures réalisées dans des manuscrits tels que « Le Livre des échecs amoureux moralisés » écrit au XIVe ou XVe siècle

Cette miniature représente l’allégorie des rapports de pouvoir, de la stratégie et de l’organisation sociale à travers le jeu d’échecs. On y voit aussi la manière dont la monarchie tentait de réguler des questions morales complexes comme la prostitution. Nous pouvons prendre l’exemple d’Albi en 1366, où un conflit sur le cantonnement des prostituées oppose l’évêque aux consuls, le duc d’Anjou, tranche au nom du roi en faveur des autorités urbaines, illustrant l’affirmation croissante de la monarchie dans la régulation des mœurs même si elle reste limitée face aux réalités sociales et culturelles de l’époque.

Le contrôle de la prostitution: la municipalité 

Afin de protéger les espaces publics et religieux et de préserver la réputation de la ville, la prostitution est à partir du XIVe siècle peu à peu cantonnée en des lieux spécifiques. Généralement placés à la périphérie des villes, ces lieux appelés bordels ou castels font l’objet d’une réglementation et d’une taxation de la part des autorités urbaines, qui supervisent leur implantation et leur fonctionnement. 

Le bordel de Foix, rue de la Ferratge, carte tirée de la thèse d’Agathe Roby 

III- Les Bordels publics

Le fonctionnement d’un établissement 

Bien que ces établissements soient la propriété des villes, leur gestion est confiée à des particuliers selon un système de fermage. Chaque année, l’exploitation du bordel est mise aux enchères et attribuée au plus offrant, qu’il s’agisse d’un notable ou d’un simple artisan. De plus, les femmes ou des couples pouvaient eux aussi obtenir ce titre. Ainsi, à Toulouse, la Grande Abbaye, l’un des plus vastes établissements de ce type, comprend un prix du fermage, selon les archives municipales, oscillant entre 100 et 200 livres par an au XIVᵉ siècle.

Ainsi, l’exploitation quotidienne est confiée à un tenancier ou une tenancière, désigné(e) sous le titre d’ »abbé » ou « abbesse du public ». Son rôle ne se limite pas à la gestion des finances : il ou elle est aussi responsable de la sécurité, du logement et de l’alimentation des prostituées. De leur côté, les autorités municipales conservent un droit de regard : elles financent l’entretien des bâtiments et imposent des règlements stricts. À Pamiers, par exemple, un texte du XVe siècle sanctionne toute forme de blasphème par une amende, voire une peine de prison, interdit aux prostituées de partager leurs gains avec des « ruffians » (proxénètes). Un proxénète, à cette époque, est généralement une personne servant d’intermédiaire entre les clients et les prostituées clandestines, opérant en dehors du cadre légal des bordels. Souvent associée à des pratiques violentes, son activité est sévèrement réprimée. 

De plus, les clients, eux aussi, sont soumis à des règles : pénétrer dans l’établissement en étant armé ou forcer une porte est passible de sanctions. Ces clients, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne sont pas des marginaux, mais des citoyens ordinaires (gens d’armes, artisans, étudiants…) souvent jeunes et célibataires, attirés par les prix bas des passes. La fréquentation des bordels est en effet socialement acceptée et seuls certains groupes comme les lépreux ou les clercs y sont formellement interdits, bien que les sanctions ne soient pas toujours appliquées. De plus, la clientèle aisée est également peu présente dans ces établissements préférant des courtisanes ou des maisons privées.

Bordel, Joachim Beuckelaer, 1502, Musée d’Art Walters Belgique

Quitter la prostitution: entre réhabilitation et marginalisation

Si les bordels publics offrent un cadre plus sécurisé aux prostituées, leur carrière reste limitée dans le temps. En général, elles cessent leur activité entre 30 et 40 ans et doivent alors trouver une autre voie. Deux possibilités s’offrent à elles : le mariage ou l’entrée au couvent.

Le mariage est particulièrement valorisé, notamment depuis le concile de Latran IV en 1215, qui en fait un sacrement essentiel. Dès 1198, le pape Innocent III encourage cette voie en affirmant que tout homme épousant une ancienne prostituée accomplit un acte pieux permettant d’expier ses propres péchés. Si cette vision charitable existe dans les discours religieux, il reste cependant difficile d’en mesurer l’impact concret dans le Midi toulousain.

L’autre solution repose sur les couvents destinés aux femmes « repenties », dont le développement s’appuie sur la figure de Marie-Madeleine, rappelons le, un symbole de rédemption.Un exemple marquant est celui de 1516, lorsqu’un prédicateur, Matthieu Menou, réussit à convertir un groupe de prostituées de la Grande Abbaye et les conduit au couvent de la Madeleine. Cet événement est relaté dans les Annales de la ville de Toulouse (1516-1517) et illustré par une enluminure où l’on voit les femmes assister aux sermons de Menou avant d’entrer au couvent. 

Enluminure, Annale de la ville de toulouse (1516-1517)

Cependant, toutes ne choisissent pas ces voies. Certaines deviennent elles-mêmes « abbesses » en prenant la tête d’un bordel public, une pratique relativement courante avant les années 1470, comme en témoignent les parcours de Gelaetat de Sardois (1420-1421) et Marguerita Dargenta (1432-1433) d’anciennes prostituées. Mais au-delà de 1470 on ne retrouve plus de tenancière femmes et cela peut s’expliquer par une hausse du prix aux enchères. D’autres, en revanche, sombrent dans la mendicité ou deviennent maquerelles, activité illégale et réprimée par la loi.

Une tolérance encadrée mais une image dévalorisée

Nous pouvons conclure cet article en disant que bien que la prostitution est admise comme un « mal nécessaire », elle n’en reste pas moins stigmatisée. Les bordels, bien que placés sous protection municipale et parfois royale, sont maintenus à l’écart de la vie urbaine, et les prostituées sont rarement citées dans les sources autrement que de manière négative.

Cette contradiction illustre bien l’ambivalence de la société médiévale face à la prostitution : tolérée, mais surveillée ; intégrée, mais marginalisée ; encadrée, mais toujours perçue comme une faute morale nécessitant, à terme, une réhabilitation ou une mise à l’écart.

Fait par Carla Denis, Eloïse Monsallié, Lucie Etchandy-Mollard et Marie-Gabrielle Jachoux.

Bibliographie indicative :

CATALO, Jean, et Quitterie CAZES. Toulouse au Moyen Âge : 1000 ans d’histoire urbaine, 400-1480. Portet-sur-Garonne : Loubatière, 2021.

LETT, Didier. Hommes et femmes du Moyen Âge – 2e éd. : Histoire du genre XIIe-XVe siècle. Paris : Armand Colin, « Cursus », 2023.

ROBY, Agathe. La prostitution au Moyen Âge : Le commerce charnel en Midi toulousain du XIIIe au XVIe siècle. Toulouse : Loubatière, 2021.ROSSIAUD, Jacques. L’amour vénal : La prostitution en Occident, XIIe-XVIe siècle. Paris : Aubier-Flammarion, 2010