Les petites filles modèles à Verfeil [2018-2019]

« Mes Petites Filles modèles ne sont pas une création ; elles existent bien réellement : ce sont des portraits ; la preuve en est dans leurs imperfections mêmes. Elles ont des défauts, des ombres légères qui font ressortir le charme du portrait et attestent l’existence du modèle. Camille et Madeleine sont une réalité dont peut s’assurer toute personne qui connaît l’auteur. » Comtesse de Ségur, Préface des Petites Filles modèles, 1858.

Les Petites Filles modèles sont le titre d’un roman pour enfants, paru en 1858, écrit par la Comtesse de Ségur, Sophie Rostopchine (1799-1874) de son vrai nom. Il fait partie d’une trilogie avec Les Malheurs de Sophie, paru la même année et Les Vacances, en 1859 dans la Bibliothèque des Chemins de Fer aux éditions Louis Hachette.

Portrait de la Comtesse de Ségur en 1823, par Orest Kiprensky exposé au musée Carnavalet à Paris

Le roman commence quand Madame de Fleurville et ses deux filles, Camille et Madeleine, rencontrent Madame de Rosebourg et sa fille Marguerite. Cependant, on retrouve aussi le personnage de Sophie, héroïne du roman précédent. Le livre est une succession de petites histoires, contenant une morale, qui vont servir à faire évoluer les personnages et qui sont également destinées à faire réfléchir le lecteur.

En réalité, Camille et Madeleine ont réellement existé. Elles étaient les petites filles de la Comtesse de Ségur et sont aujourd’hui enterrées dans le cimetière de la chapelle Saint-Sernin-des-Rais, située à proximité de la commune de Verfeil dans le département de Haute-Garonne, dans la région Occitanie, à la limite avec le Tarn.

Photo de la commune de Verfeil, issue du site internet de la commune

L’histoire de la famille

Sophie Rostopchine, est née le 1er août 1799 à Saint-Pétersbourg en Russie. Elle est la fille de Catherine Protassova (1776-1859), ancienne demoiselle d’honneur de l’impératrice Catherine II (1729-1796) et de Fédor Rostopchine (1763-1826), ministre des Affaires étrangères du tsar Paul Ier (1754-1801).

Illustration représentant Fédor Rostopchine, issue du livre Russian portraits of the XVIIIth and XIXth centuries: Edition of Grand Duke Nicholas Mikhailovich of Russia de 1905

Son père est exilé par le tsar Alexandre Ier (1777-1825) car il s’est attiré le mécontentement de la population après avoir incendié Moscou pour empêcher les troupes de Napoléon Ier (1769-1821) d’entrer dans la ville.

Il part donc en France où il amène avec lui sa famille. C’est là que Sophie rencontre Eugène de Ségur (1798-1863) avec qui elle se marie en 1819 et avec lequel elle aura huit enfants.

Gravure représentant le comte Eugène de Ségur par Claude-Marie-François Dien, lieu de conservation inconnu

Son cinquième enfant, Nathalie (1827-1910), se marie avec Paul Martin d’Ayguesvives de Malaret (1820-1886) en 1846, un diplomate de la région de Toulouse. Elle a quatre enfants dont Camille (1848-1883) et Madeleine (1849-1930).

La famille de Malaret est admise à la cour de l’empereur Napoléon III (1808-1873). Nathalie devient ainsi l’une des demoiselles d’honneur de l’impératrice Eugénie (1826-1920) et Paul un haut-fonctionnaire de l’Empire.

Eugénie, Impératrice de France et ses demoiselles d’honneur en 1855, par Franz Xaver Winterhalter, issu de la collection du Château de Compiègne
Nathalie de Malaret est la femme en robe jaune, en haut à droite du tableau

Le roman

La Comtesse de Ségur écrit avant tout pour ses petits-enfants. Les Nouveaux Contes de fées, paru en 1856, est un recueil des différents contes qu’elle écrit pour eux. Elle rédige Les Petites Filles modèles pendant que Camille et Madeleine sont à Londres.

 

Illustration du livre Les Petites Filles Modèles scannée par Régine Salens, publiée en 1975

Le roman comporte une forte tendance moralisatrice notamment sur l’éducation donnée aux enfants. Camille et Madeleine sont les « Petites Filles modèles » et sont sages et bien éduquées, Marguerite de Rosebourg prend le rôle de la jeune fille non éduquée et dont la famille de Fleurville sert de modèle, tandis que le personnage de Sophie représente la jeune fille en partie méchante à cause des mauvais traitements de sa belle-mère.

Illustration de l’édition 1918 des Petites Filles modèles, Chapitre VIII : Les hérissons

La Comtesse de Ségur est en rupture avec son époque car elle a une volonté, non pas d’apprendre aux enfants leur place dans la société, contrairement aux enseignements à l’école qui différaient selon le sexe, mais de faire d’eux, d’abord, de bonnes personnes, au sens moral du terme, tel qu’elle le concevait alors.

Le patrimoine

La famille de la Comtesse possède donc une histoire riche. Cependant, le patrimoine laissé par la famille à la commune de Verfeil est très peu mis en valeur alors que son empreinte existe bien dans le village. L’école primaire et une boutique de fleurs ont des noms qui rappellent ce passé, Comtesse de Ségur pour l’école et Petites filles modèles pour la boutique de fleurs.

Le domaine de Malaret, où ont vécu Camille et Madeleine une partie de leur enfance, constitue lui désormais une Société civile d’exploitation agricole.

Photo du domaine de Malaret (Le bâtiment en rouge) prise par César Leduc le 23 février 2019

Les tombes sont, certes, entretenues mais peu mises en valeur. Elles ne sont signalées que par un large panneau au bord de la route qui n’a que peu de sens pour les étrangers à la commune.

Photo prise par un particulier des tombes des Petites Filles modèles, situées derrière la chapelle Saint-Sernin des Rais

Enfin, il y a un musée dans le centre du village mais celui-ci n’est indiqué par aucune forme de signalisation et, de plus, il est fermé au public. Pour le visiter, il faut l’autorisation de la mairie.

Le patrimoine laissé par les Petites Filles modèles est historiquement très intéressant, tant sur l’histoire de l’aristocratie européenne du XIXe siècle que sur l’enseignement des filles ou sur l’histoire de la littérature enfantine. Chaque commune disposant d’une histoire particulière décide ou pas de valoriser cette histoire. Les arbitrages en la matière ne sont pas simples quand il s’agit de petites communes aux ressources limitées. A Verfeil, la valorisation est minimale ; elle pourrait être développée par l’installation d’une aire de jeu et de panneaux explicatifs à proximité des tombes, afin que le lieu attire et permette de diffuser l’histoire de la famille ; d’une ouverture plus grande et plus simple du musée au public dotée d’une vraie signalétique dans le village et, pourquoi, pas, dans le cadre d’une politique plus ambitieuse, par la création d’un salon du livre pour enfants à Verfeil, associé à un parcours éducatif et patrimonial autour des petites filles modèles et ce qu’elles nous disent de l’histoire du XIXe siècle.

Pour aller plus loin:

Bibliographie

Sitographie

Etudiants : Barthuel Maxime, Leduc César