Représenter l’Humain au début du XVIème siècle dans les arts et les sciences [2024]

Par MAILLE Elisa (L1), GAMBA Anabelle (L1) et ANRIDHOINI Jarod (L2)

Introduction :

Considérée comme une période d’acceptation de styles artistiques perdus avec le Moyen-Age, la Renaissance n’est pas seulement connue pour cela. Elle est notamment connue pour de nombreux artistes qui ont su renouveler le domaine artistique de leur époque en apportant de nouveaux styles et techniques mais aussi de nouveaux sujets. De ces nouveaux sujets, appuyés par l’avènement d’un mouvement intellectuel majeur, ces artistes semblent avoir beaucoup privilégié le rapport avec le genre humain. Et c’est avec  ces productions artistiques mais aussi scientifiques que nous allons examiner dans l’étude de l’humain en ce qui concerne l’image qu’il se renvoie à lui-même. Quand nous parlons d’images, nous pensons à comment se voient les Hommes de l’époque moderne. Ainsi, nous ne ferons aucune distinction de genres, de poids, de particularités physiques afin de mieux cerner le cadre général de cet imaginaire humain. En ce qui concerne le cadre chronologique utilisé, nous nous concentrerons sur le XVIème siècle, une période propice à ses représentations, étant alors héritière de la Renaissance et de ses mouvements nouveaux ou retrouvés. De ce fait, nous étudierons une période où l’Homme est en second plan comparé à la religion chrétienne. Donc nous observerons aussi le changement d’une société influencée par cette dernière. 

C’est pourquoi nous nous demanderons :

En quoi le retour à l’antique, initié au courant du XVIe siècle, a chamboulé la société européenne de cette période ?

Dans un premier temps nous étudierons le nouveau regard sur l’humain dans différents domaines. Ensuite, nous analyserons comment la société européenne était divisée. Enfin, nous verrons de quelles manières cette nouvelle vision a été mise au service des institutions.

I) Un nouveau regard sur l’Humain

  • Dans le domaine intellectuel

Ainsi on voit apparaître, dans le milieu intellectuel du XVIème siècle, une vision renouvelée de l’Humanité. En effet, au Moyen Âge, la figure Humaine  est perçue, par les élites religieuses alors influentes à cette époque, comme diabolique. L’Homme est alors vu comme un être manipulable, néfaste, qui doit se racheter afin d’accéder au pardon céleste, au Paradis. 

Avec la découverte du continent américain en 1492, on voit le développement d’un nouveau mouvement de pensée : l’Humanisme. Ce courant, qui prône le rapprochement avec l’Antiquité (créant ainsi la période Moyen Âge signifiant un âge moyen, à oublier), a en quelque sorte pour objectif de montrer à la population, où plutôt le milieu de la bourgeoisie, que l’Homme n’est pas aussi mauvais que l’on croit.

Pour ce faire, il va se consacrer à la création d’institutions afin de valoriser la notoriété de l’esprit  mais aussi du corps auprès du grand public. D’où le dicton “ un esprit sain dans un corps sain.” Ainsi apparaissent alors les premières universités telles qu’on les connaît.

Ce travail n’est pas si facile qui en a l’air. Le mouvement a besoin alors de l’aide d’un grand personnage de l’époque pour toucher plus de monde. Et il le trouve en la personne de Léonard de Vinci.

Autodidacte et polymathe italien du XVème siècle (1452-1519), il a consacré une bonne partie de son œuvre à la recherche anatomique. Parmi ses nombreuses œuvres, la plus connue est sans doute L’Homme de Vitruve. Mais il ne s’est pas arrêté à ça. Il a notamment élaboré une peinture aux proportions anatomiques quasi-parfaites sous les traits de La Joconde, exposée actuellement au Louvre.  

« L’Homme de Vitruve », Léonard de Vinci, 1490
« La Joconde » ou « Portrait de Mona Lisa », 1503-1516
  • Dans le domaine artistique

Grâce à son influence, de Vinci inspira d’autres artistes majeurs de son temps. Nous pouvons en citer quelques uns comme Michel-Ange (1475- 1564), connu pour sa fresque visible à la chapelle Sixtine, auteur de la sculpture, aussi connue que sa fresque, David au musée de Florence, ou Albrecht Dürer (1471-1528)  avec son réalisme inouï pour l’époque.

Autoportrait d’Albrecht Dürer, 1498
Extrait de la fresque de la Chapelle Sixtine, Michel-Ange, 1508-1512
David (1501-1504), sculpture en marbre de Michel-Ange, Galerie de l’Académie, Florence

Ainsi, l’Humanisme se développe grâce à l’appui du domaine artistique. En effet, nombre de ces auteurs, étant alors dans des milieux aisés, voient alors leur nombre de commandes augmenter.  Ces commandes passées et finalisées, l’on voit donc les œuvres parcourir de nombreux pays à travers toute l’Europe grâce aux commandes étrangères.

Le développement de l’Humanisme a permis alors, aux sociétés aisées européennes notamment, de mieux comprendre leurs aspects humains. Mieux encore, grâce à l’apparition d’œuvres Humanistes, ces sociétés ont pu s’ouvrir aux mondes extérieurs. Cependant, il faut se le demander, si les institutions de l’époque acceptent ce nouveau courant de pensée, surtout l’Église.   

II) Entre conflit et acceptation

  • Contrairement à l’Eglise

Ce nouvel intérêt pour la représentation de l’Homme pendant la Renaissance a apporté une nouvelle vision pour l’Humain ; est alors apparu un nouveau rapport d’antagonisme entre les sciences et les dogmes de la religion catholique. 

L’Eglise a un grand rapport d’influence dans le fonctionnement de la société, et donc dans les représentations des femmes et des hommes, d’abord dans le cadre mental. Par exemple, la femme était considérée comme le diable, comme impure, par la métaphore d’Adam et Eve issue de la Bible. Sa représentation est le reflet de cette vision et de cette idéologie. 

La représentation anatomique est donc déjà fortement influencée. Et, par l’idéologie que tout Homme est inférieur à Dieu et à Jésus, l’intérêt pour l’anatomie humaine est donc refoulée. « L’intérieur” du corps, ses humeurs et ses maux sont demeurés inexplicables et énigmatiques ; l’Humain étant la création de Dieu, il était moralement interdit de pratiquer des expériences ou des analyses approfondies sur un corps humain, comme des dissections. 

  • Utilisation scientifique

Mais à l’inverse de cette vision religieuse, le courant de la Renaissance apporte également un développement des sciences, et donc une curiosité anatomique, particulièrement sur le fonctionnement du corps humain. En effet, les médecins de cette époque ont des connaissances sur ce domaine, limitées aux écrits de Galien, intellectuel grec ayant vécu au Ier siècle avant J.-C. Le corps est considéré comme un objet d’étude et instrument du savoir ; de plus, après les épidémies ayant sévi lors des siècles précédents comme la peste noire, l’intérêt pour la santé s’accroît de plus en plus. 

Dans les villes phares du courant humaniste ont lieu des dissections publiques appelées “leçons d’anatomie” ; on peut par exemple citer l’Académie des Sciences de Paris, mais le phénomène a débuté en Italie, centre du courant humaniste. C’est d’ailleurs à l’université de Padoue en Italie que André Vésale, anatomiste et médecin flamand, décide de pratiquer ses premières dissections, étant moins contrôlé par l’Eglise. Il va révolutionner la représentation de l’Homme dans son ouvrage , qu’il publie en 1548 ; en se basant sur l’observation anatomique, il développe un canon du corps humain et un idéal de structure, qui sera repris et contribuera à l’évolution de la représentation anatomique. Par ailleurs, il appuie ses recherches et son point de vue par des reproductions imagées, souvent d’un élément du corps mis en valeur par la place accordée sur l’image, et des descriptions détaillées. On peut également citer les Tables Anatomiques d’Ambroise Paré, qui suivent une mise en forme similaire. 

Extrait de « Humani corporis fabrica », André Vésale, 1543
Extrait des « Tables anatomiques » d’Ambroise Paré, 1586

Cet intérêt amène également à un intérêt pour le “néant”, les choses qu’on ne peut encore expliquer par l’observation et la dissection d’un corps ; une réflexion sur l’âme, qui serait la forme substantielle d’un humain, et qui associée au corps donne le corps humain. Cette réflexion naît chez les scientifiques, à l’inverse du discours de la papauté.

Un autre des résultats de cet intérêt anatomique débouche sur l’apparition d’une vanité, d’une admiration allant jusqu’au fantasme par rapport aux capacités du corps humain, causées par une curiosité en plein accroissement ; la dissection peut être “trompe-l’oeil”, les représentations du corps humain sont embellies et enrichissent l’imaginaire, et la volonté d’en savoir de plus en plus sur l’Homme. 

La représentation de l’Humain durant le XVIe siècle est à la fois nouvelle et suscite de l’intérêt, mais est également controversée et crée un rapport d’antagonisme, qui va amener à un bouleversement des mœurs et à des changements dans la société moderne.

III) Une nouvelle vision au service des institutions

  • Apparition de nouvelles représentations « réalistes »

L’iconographie de la Renaissance donne aussi à voir des figures prothétiques dont le succès tient à l’apparition de nouvelles techniques réparatrices et à une nouvelle vision du corps. La réflexion sur la prothèse montre une compréhension du corps propre. La Renaissance commence à représenter un corps qui n’est plus seulement le corps mystique, mais un corps matériel, organique. Il y a la désacralisation du corps avec un regard scientifique. Des théâtres anatomiques existent afin d’assister à des dissections. Les individus difformes/informes, décapités, décomposés sont exhibés. 

Si on revient aux prothèses, au XVIe siècle, les lunettes passent d’un signe d’érudition à un attribut de folie, un signe d’ignorance/d’aveuglement ridicule car à cette époque, les verres “altèreraient” la perception de la réalité. De plus, ils donneraient la physionomie d’un monstre. 

Mais aussi, dans les représentations iconographiques des conflits militaires, l’amputation est un stigmate de la défaite qui jouent du comique de l’infirmité. 

Le maniérisme pictural comme les caricatures et le grotesque montrant une imbrication du vivant et du non-vivant suscite aussi le rire. Par exemple, les portraits d’Arcimboldo sont des compositions à la manière des collages, des combinaisons d’hétérogènes, assemblages d’éléments disparates en une forme humaine, un visage et un buste. Les pièces de ces compositions sont souvent organiques, animales ou végétales, mais aussi artefactuelles, donc de nature prothétique

« Vertumne », Giuseppe Arcimboldo, 1590

L’art graphique exprime la déshumanisation du corps. Mais on peut aussi retrouver dans les œuvres beaucoup de propagande anti-réforme. 

Après avoir parlé de la représentation des hommes, dans la littérature médicale, au XVIe siècle, la femme décrite comme “un être instable” jusque là, est enfin reconnue comme un être spécifique avec l’image invalidante de la “femme-utérus”, un réceptacle où se forment les petites créatures de Dieu. L’obstétrique se développe. La grossesse est perçue comme une maladie. La mère est importante car elle porte l’enfant et transmet le sexe, la couleur de peau et quelques traits de caractères qu’ils soient bons ou mauvais : les anormalités et les malformations sont imputables aux femmes. La misogynie, les tabous et les superstitions sont alimentés aux sources religieuses. Les recherches scientifiques sont misogynes : des comparaisons existent entre les femmes et les poules. 

Pour les procréations “sans hommes”, il y a une argumentation religieuse sur la copulation avec le diable ; ce sont donc des femmes “sorcières” qui sont envoyées au bûcher. Les explications morales et religieuses justifient la majorité des cas de malformation/mutilations/monstruosité.

  • Utilisation politique et religieuse

On peut également parler du fait que cette nouvelle vision a été reprise par le pouvoir royal dans un enjeu politique. On peut par exemple citer la représentation du roi François Ier, considéré comme le roi de la Renaissance. Ses portraits royaux s’inspirent du mouvement de la Renaissance en Italie, et cherchent à paraître réaliste et montrent une évolution depuis les rois prédécesseurs. Il souhaite apporter un nouveau courant dans la royauté française, ce qui est donc visible ; on peut retrouver des similitudes avec les autoportraits de Dürer.

Portait de François Ier, entre 1525-1550

Cependant, l’Eglise, contre cette image et représentation de l’Homme, va développer une “contre-anatomie” : le Suaire de Turin, ou la dissection au Mystère spirituel. Il s’agit d’une représentation des blessures et des douleurs infligées au Christ. Contrairement aux autres représentations du corps humain, des organes etc., cette œuvre n’inspire pas la curiosité et le fantasme mais la douleur. Cette représentation du Christ est très ambiguë, entre la science et le fantasme, la curiosité et la mélancolie de par la douleur représentée, et entre le savoir et la vanité. Cette œuvre inspire également une réflexion sur le néant après la déconstruction du corps du Christ. Elle peut aussi être un moyen de montrer qu’il ne faut pas être trop curieux et céder à la tentation.

Extrait du Suaire de Turin, XIVe siècle, redécouverte au XVIe siècle

Conclusion :

Le retour de l’Antiquité, que ce soit avec un style  inscrit dans une œuvre ou bien avec un thème reprit dans un courant artistique, à permis à la société du XVIème siècle de redécouvrir son lien avec le corps humain. En effet, nombre d’artistes, d’auteurs, de scientifiques se sont intéressés aux œuvres antiques, délaissées au Moyen Âge, afin de révolutionner la vision de l’Homme, perçue comme un être maniable et diabolique. Les autorités, d’abord réticences à cette nouvelle vision, ont su s’adapter et même s’allier avec elle pour arriver à leur fin. Ce changement d’avis aboutit à un changement des mœurs qui ainsi fait évoluer la société peu à peu. Ces représentations et nouvelles techniques seront reprises et évolueront lors du courant artistique baroque, dès la fin du XVIe siècle.

Bibliographie :

BARBIN Evelyne, Arts et sciences à la Renaissance, Paris, Ellipses, 2007, 318 p.

CEARD Jean, L’univers obscur du corps: représentation et gouvernement des corps à la Renaissances, Paris, Belles Lettres, 2021, 121 p

CORBIN Alain, COURTINE Jean-Jacques, VIGARELLO Georges, Histoire du corps. 1: De la Renaissance aux Lumières, Paris, Points, 2005, 610 p.   

GALLEGO CUESTA Susana, Traité de l’informe: monstres, crachats et corps débordants à la Renaissance et au XXe Siècle, Paris, Classiques Garnier, 2021, 448 p.

GABAUD Florent, Représentations du corps prothétique de la Renaissance à aujourd’hui, Cahiers du MIMMOC, Université de Poitiers, 2021, Vol.26 

GAMIRET Antoinette, « Représenter le corps anatomisé aux XVI XVII siècle : entre curiosité et Vanité », Étude épistémè, n°27, 2015

MARUCCI Laetitia, “L’homme vitruvien et les enjeux de la représentation du corps dans les arts à la Renaissance”, Nouvelle revue d’esthétique, 2016, n°17, pp. 105-112