L’Armagnac

Comment la connaissance et la pratique de la distillation ont-elles influencé le développement de l’utilisation de l’armagnac depuis sa création au Moyen Âge ?

L’armagnac et la distillation

L’armagnac est la toute première eau-de-vie française. Elle est produite dans les départements du Gers, des Landes et du Lot-et-Garonne, des territoires riches en calcaire et propices à la culture des raisins que l’on utilise pour la production de l’armagnac. On en produit dès le Moyen Âge, notamment à des fins médicinales, mais sa commercialisation ne commence réellement qu’à partir du XVIIe siècle pour connaître son apogée au XIXe siècle. Il existe trois étapes nécessaires à la fabrication de tous types de boissons alcoolisées : la fermentation, la distillation et la macération. 

L’étape de la distillation dans la fabrication de l’eau-de-vie se fait à l’aide d’un alambic et consiste en le fait de réchauffer des fruits préalablement fermentés dans la partie inférieure de l’alambic qui repose sur le feu. L’alambic existait déjà avant le Moyen Âge et est encore aujourd’hui une technique connue et pratiquée par les professionnels agréés, notamment pour la production d’armagnac.  L’armagnac est ensuite vieilli en fût de chêne pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies ; plus l’armagnac vieillit, plus il développe des saveurs et des arômes complexes. Les savoir-faire de l’élaboration de l’armagnac sont inscrits à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel français depuis 2020. L’armagnac est une eau-de-vie d’appellation d’origine protégée depuis 1936, ce qui veut dire qu’on ne peut faire de l’armagnac que dans la région d’Armagnac, en utilisant un cahier des charges et une méthode très précise.

L’antiquité et les premiers alambics

La Chrysopée de Cléopâtre

On attribue généralement le premier alambic (tribicos) à Marie la juive, une femme alchimiste, au Ier siècle avant J.-C. environ. L’alambic était encore loin d’arriver en Occident, ce système de cuisson à été pensé pour la première fois en Égypte, probablement à Alexandrie. Cette même femme est aussi à l’origine de ce que l’on appelle aujourd’hui le « bain-marie », une idée transmise par un philosophe chrétien anonyme au cours du IIe après J.-C. Certaines autres sources attribuent l’origine de l’alambic à Cléopâtre, entre le IIe et le IIIe siècle après J.-C., suite à la découverte d’une représentation d’un alambic à son nom retrouvée dans un manuscrit grec du XIe siècle : la Chrysopée de Cléopâtre.

Les premiers modèles d’alambics sont repris par l’alchimiste grec Zosime de Panapolis entre le IIe et le IVe siècle. Ce dernier souhaitait améliorer ses propres versions en s’inspirant à la fois du monobicos, un alambic en cuivre disposant d’un seul tube (l’alambic original), et du dibicos, un alambic à deux tuyaux inspiré de celui de la Chrysopée de Cléopâtre. On observe ainsi au IVe siècle le même type d’alambic que ceux encore utilisés aujourd’hui par les bouilleurs de cru.

Ce dispositif est repris au VIIIe siècle par des alchimistes arabes d’Andalousie pour la distillation des eaux tirées des herbes et des fleurs, pour fabriquer de l’eau de rose par exemple. La distillation au bain-marie est nettement privilégiée chez les alchimistes arabes et perses du Xe au XIIIe siècle, elle permet de fabriquer des extraits et d’obtenir des préparations médicinales en réduisant des sucs issus de plantes ou de fruits. On sait d’ailleurs que l’eau-de-vie d’armagnac était initialement utilisée à des fins médicales, bien avant de devenir un alcool de bouche.

Les vignes au Moyen Âge et les premières utilisations d’armagnac

Le vin est nécessaire à la production d’armagnac : Le processus de production commence par la fermentation du vin qui se trouve ensuite distillé pour créer l’eau-de-vie. La qualité du vin utilisé influence la qualité finale de l’armagnac.

Au Moyen Âge, les vignes occupaient une place centrale dans le paysage agricole français. C’est un héritage précieux qui remonte à la Rome antique. La culture de celles-ci était étroitement liée à la vie quotidienne des communautés, et les vignobles étaient associés aux monastères et aux châteaux. Les conditions climatiques ont en grande partie déterminé les grandes régions de production viticole. Chaque terroir à dû choisir un cépage adapté à ses conditions.

De nombreuses vignes sont réquisitionnées par le clergé et le vin devient au cours de la période une boisson essentielle. Il est alors consommé de manière quotidienne.

Les vignes avaient un grand impact, tant dans l’économie médiévale que dans l’affirmation du pouvoir des souverains régionaux. Le vin était considéré comme une boisson essentielle à la vie quotidienne, mais il s’agit également d’une source de revenu importante. Le commerce permet de créer de nouvelles voies de circulations, mais également de transmettre les savoirs liés aux vignes et à leur exploitation.

Les vignes du comte d’Armagnac en Rouergue et ses marges à la fin du Moyen Âge

Le terroir de l’Armagnac offre ainsi des conditions idéales pour la culture des cépages spécifiques utilisés dans la production de cette eau-de-vie. Les cépages blancs, tels que Colombard, Ugni Blanc et Folle Blanche, prospèrent dans ce climat unique. 

L’utilisation de l’armagnac au Moyen Âge concerne exclusivement la médecine, notamment en ce qui concerne ses premières utilisations. Effectivement, l’armagnac était reconnu pour ses propriétés curatives : meilleure digestion, diminution des maux de têtes… C’était également un très bon antiseptique au vu de sa forte teneur en alcool, ainsi qu’un excellent tonique !

L’époque moderne, entre améliorations et commercialisation

Les XVI, XVII et XVIIIe siècles sont les témoins de nouvelles améliorations techniques. Jean Chaptal, chimiste, médecin et homme politique français est à l’origine des modifications les plus importantes apportées à l’alambic entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Bien qu’amélioré, l’alambic de Chaptal ne permet d’obtenir que les petites eaux, c’est-à-dire les liqueurs à faible teneur en alcool. De plus, toutes les modifications effectuées pour tenter de pallier les différents problèmes que rencontrent la distillation génèrent des coûts élevés, que ce soit pour les combustibles ou pour la main-d’œuvre.

En 1801, Édouard Adam reprend le modèle de Chaptal et l’améliore. Les récipients présents dans l’alambic contiennent maintenant du vin et permettent d’enrichir les vapeurs et d’en retirer un titre alcoolique élevé. Ce nouvel appareil représente alors un gain de temps, d’argent et de main d’œuvre considérable puisqu’il ne suffit que d’un homme pour la faire fonctionner. L’introduction du chauffage par la vapeur marque un tournant dans cette activité : la plupart des alambics sont à présent chauffés grâce à cette nouvelle technique. La distillation doit maintenant en priorité répondre à des facteurs économiques, jusque-là non considérés. De plus, leur production se raréfie, restant en grande partie réservée aux bouilleurs de cru et aux distilleries artisanales.

Appareil distillatoire d’Édouard Adam breveté en 1805

Entre le XVe et XVIIe siècle, l’eau-de-vie d’armagnac est encore utilisée comme un remède à diverses douleurs (maux de têtes, paralysies…). Il pouvait également parfois servir d’anti-âge !

C’est seulement au XVIIe siècle que l’armagnac change de dimension puisque l’élixir est désormais commercialisé en Europe et devient un véritable bien de consommation. Les principaux artisans de ce bouleversement sont les hollandais, très friands de la boisson. C’est aussi à cette période que le vignoble dans la région Armagnac va s’étendre largement, notamment grâce à l’Edit de 1766 qui autorise le défrichement des forêts pour y planter de la vigne.

Durant l’époque moderne, les hollandais ne sont pas les seuls amateurs d’armagnac. En effet, les américains fraîchement indépendants vont importer massivement des eaux-de-vie françaises boycottant celles des britanniques. De plus, les liqueurs comme le cognac et l’armagnac vont servir de monnaie d’échange lors de la traite négrière.

L’époque moderne est une période de croissance pour le vignoble mais aussi et surtout pour la région d’Armagnac. Au XVIIIe siècle, cette eau-de-vie devient un véritable produit de luxe car sa qualité s’améliore grandement grâce aux améliorations de techniques de fabrication et au climat favorable.

Les nouvelles problématiques du XIXe et du XXe siècle

La véritable apogée de l’Armagnac se trouve dans la seconde moitié du XIXe siècle. Lorsque Napoléon III est élu, il baisse considérablement les impôts sur l’alcool tandis que le vignoble s’étend et que la production double. L’économie de la région se base alors sur la fabrication et la commercialisation de cette eau-de-vie et les villes principales comme Condom s’agrandissent.

En revanche, cette gloire est de courte durée puisqu’à la fin du XIXe siècle, les intempéries et les parasites, notamment le phylloxéra, ont réduit le vignoble de moitié en cinq ans à peine…

Suite à cette grave crise, les élus locaux mettent en place des politiques de réorientation agricole, soit la transition de la viticulture en d’autres domaines d’élevages comme les volailles ou les céréales. C’est toute une région qui se retrouve confrontée à un changement brutal d’activité du jour au lendemain.

Durant le XXe siècle, la consommation d’armagnac chute. La région est touchée par une importante crise démographique à l’origine d’une nette baisse de la production, et d’une hausse conséquente des prix en parallèle. Néanmoins, la reconnaissance du savoir-faire de la région d’Armagnac est mise en avant par le traité Fallières en 1909 : la région et ses limites territoriales sont redessinées afin de mettre en lumière l’eau-de-vie et les artisans qui sont à l’origine de sa production.

Vignoble de l’Armagnac de nos jours

De nos jours, la production et la consommation d’armagnac ont tendance à stagner sans parvenir à véritablement s’imposer ou du moins augmenter. Toutefois, des initiatives locales sont mises en place, soutenues par des décrets visant à accroître la densité de plantation des vignes, dans l’espoir de retrouver un jour la grandeur d’antan de cette eau-de-vie !

Hugo Belmonte, Clément Labite, Jeanne Enot

Bibliographie