Récits de voyage

Un texte écrit par les étudiants lors du voyage 2018 :

 

 

 Les étudiants ont pris la plume lors du voyage 2017. Voici leurs écrits.

Jour 1 par Pauline

 

Après un long périple, nous sommes enfin  arrivés à Lviv dimanche matin à 7h. Ces événements et ce contretemps, bien qu’éprouvants, a été l’occasion pour nous d’être immergés au cœur de la culture de l’Europe de l’est. C’était intéressant de voir à quel point un continent, un territoire qui nous est commun, peut être aussi diversifié.

Une bonne douche, 2 petites heures de sommeil et nous voilà repartis. Après un petit déjeuner bien complet, nous avons pris la route direction Brody. En quittant Lviv, ce qui m’a le plus frappé c’est son organisation, ses rues, ses constructions. C’est à la fois moderne, avec des centres commerciaux, mais aussi comme figé dans un temps, avec des bâtiments abandonnés au cœur même de la ville. Sur la route qui sépare les deux villes, un paysage rural encore recouvert d’une couverture blanche.

Nous sommes arrivés à Brody vers 12h. La visite de la synagogue, la première qui marque réellement, en quelques sortes, le début de notre voyage, de notre démarche, fut frappante  dans le sens où ce bâtiment emblématique, chargé d’histoire, est au centre de la ville. C’est une construction imposante, magnifique et qui impressionne par sa prestance. C’est intéressant de voir comment les habitants, locaux, sont comme indifférents. La façon dont ils laissent le temps la dégrader montre une volonté, peut être, d’effacer certains passages, certaines traces. Nous avons ensuite poursuivi avec la visite du cimetière. Cette fois encore, riche en émotion. L’image est importante pour arriver à visualiser un nombre. Nous étions là, face aux pierres tombales, silencieux. Quand on se balade dans le cimetière, puis qu’on regarde autour, essayant de prendre la hauteur, on remarque tout de suite l’usine à côté, et les pierres dégradées par le temps et les hommes.

Il y a tout un travail de recontextualisation à faire, qui je trouve n’est pas simple. Bien comprendre que le temps est passé, que les paysages ont changé, l’urbanisation aussi. C’est là que le témoin est important. Grâce à lui, on va pouvoir visualiser les choses.

Nous sommes ensuite allés manger puis repartis vers Radyvyliv là ou nous avons rencontré Vladimir P., 88 ans (12 ans lors des faits). Il nous a montré l’emplacement du ghetto et celui des magasins juifs. Il nous a parlé du déroulement de cette journée de massacre. Nous l’avons suivi sur les différents lieux, jusqu’à celui des fosses. C’était à la fois émouvant et impressionnant. Le fait qu’il se rappelle autant de petits détails nous a tous surpris. Nous sentions dans son regard que c’était à la fois difficile et important de revenir sur ces souvenirs. C’était en fin de journée, il était fatigué mais il a quand même continué à nous parler. Faire ce chemin avec lui donne un autre aspect au témoignage, une sorte d’authenticité unique. Ça nous permet de visualiser et de se plonger dans un certain contexte.

Nous sommes restés un peu sur le site, puis nous avons repris la route vers Lutsk. Nous avons posés nos valises à l’hôtel puis nous sommes partis manger, pour par la suite assister à un debriefing donné par Alexis. Puis je suis remontée dans ma chambre, la tête et le cœur remplis d’images et d’informations.

Jour 2 par Clémence, Maxime, Laura et Louise

 

« La vie humaine n’était plus rien à l’époque »

Le temps semble s’être figé à Olyka ; une calèche passe sur la route pavée, des corbeaux s’envolent, nous sommes immergés dans la mémoire de Petro. Âgé de 10 ans à l’époque, il a tout vu : l’arrivée des allemands, la formation du ghetto, de la police juive, la faim, jusqu’à la fusillade. La première image qu’il nous partage est celle d’un enfant juif, à bout de force et tentant de fuir, abattu d’une balle dans la tête sous ses yeux. De ses pas énergiques, il nous guide dans le village. À travers ses mots, deux images se superposent : celle du passé où l’on devine la vitalité de la communauté juive d’alors, et celle du présent, sans trace de cette dernière. Les seules marques visibles se résument à deux monuments mémoriaux à l’extérieur du village, près d’un ancien champ de tir soviétique transformé en un lieu de mise à mort en juillet 1942. Cachés à la vue de tous reposent les corps de plus de 4 000 juifs. «  On marche sur un cimetière », déclare ainsi Petro. S’il tient à partager ces souvenirs, c’est pour que plus jamais cela ne se reproduise.

C’est dans le même état d’esprit que l’après-midi nous rencontrons Sergueï, qui, à l’aide de photos d’archives et de ses connaissances de la ville, nous fait revivre la destruction de la dynamique communauté juive de Lutsk. Les mécanismes sont globalement les mêmes qu’à Olyka, à une plus grande échelle. À l’extérieur de la ville, dans trois fosses de 200 mètres de longueur, plus de 25 000 corps sont entassés près d’une usine de sucre, à seulement 30 centimètres de la surface.

Nous avons eu l’opportunité de rencontrer l’une des trois communautés juives actuelles de la ville, dont Sergueï est le représentant. Accueillis avec beaucoup de chaleur, nous avons échangé avec des jeunes qui sont les garants de la mémoire et de la pérennité de leur culture et qui, faisant le lien entre le passé et le présent, s’investissent dès leur plus jeune âge à apprendre et partager leurs traditions et leur histoire au reste de la population peu informée.

Jour 3 par Ludovic et Léopold

 

Lokachi et Rawa-Ruska

Ce matin, dans la ville de Lokachi, nous avons l’opportunité de rencontrer Vassyl âgé de 84 ans. Malgré son affaiblissement physique, ce dernier nous amène sur les lieux de la fosse commune d’une centaine de Roms fusillés en 1943 par un détachement allemand. C’est pour le groupe le premier témoignage d’un massacre concernant la communauté Rom, alors que les précédents témoignages portaient sur des massacres juifs.

Puis, nous reprenons la route car les distances à parcourir entre les différents sites d’étude sont importantes et le temps nous est compté. Ainsi, pendant notre repas dans le bus, nous prenons conscience de la réalité sociale des villages de l’ouest de l’Ukraine. Les lacunes territoriales en terme d’infrastructures, de services publics et de réseaux de communication sont particulièrement visibles.

En début d’après midi, nous arrivons à Rawa-Ruska après 2 heures de route. Dès notre arrivée devant un mémorial dédié aux juifs, nous comprenons tous très vite la portée symbolique de cette ville non seulement pour les juifs mais aussi pour les prisonniers de guerre français et soviétiques. En effet, la ville et sa localité représentent tous les types de modes opératoires d’extermination nazie, à savoir les ghettos, les fusillades et le camp d’extermination de Belzec. Nous sommes à ce moment là confrontés à l’ampleur des crimes nazis particulièrement virulents dans cette zone. Nous apprenons par exemple qu’environ 600 000 individus furent tués à Belzec, situé à seulement 15 kilomètres de Rawa-Ruska. De plus, il y avait 2 000 juifs à Rawa-Ruska en 1939 alors que celle-ci ne compte actuellement que 20 juifs.

En revanche, nous observons dans cette ville la délimitation matérielle des lieux de mémoire tel qu’une fosse commune des prisonniers de guerre français ou du site de la fusillade d’un groupe juif. C’est une caractéristique notable car jusqu’à ce jour, aucun d’entre nous n’avait constaté une telle précision des délimitations des fosses ou des cimetières.

En fin de journée, l’une de nos dernière visites concerne un cimetière de soldats allemands à quelques kilomètres seulement de leurs exactions. Nous sommes tous frappés par l’entretien méticuleux de ce cimetière en fort contraste avec l’état de friche des sites de massacres vus plus tôt dans la journée.

Jour 4 par Lucile

 

En cette dernière journée de travaux, nous nous sommes d’abord rendus dans la forêt Lyssynytchi, aux environs de Lviv. Il s’agit du lieu de fusillade de 200 000 personnes. Parmi elles, des populations civiles mais aussi des prisonniers de guerre de l’Armée Rouge. Le nombre et la disposition des arbres donnent au lieu une atmosphère sombre, et même, un certain sentiment d’oppression. S’y mêle aussi une gêne lorsque l’on y constate la présence de détritus : bouteilles, plastique, seringues. Le manque de reconnaissance et de respect du lieu peuvent également être observés par la présence d’une simple stèle qui ne suffit pas à rendre compte de l’ampleur du massacre.

Nous nous sommes ensuite remis en route en direction de Bolekhiv, une ville au sud de Lviv. Nous avons d’abord fait la connaissance de Mykhaïlo, né en 1932. Il nous a, lui aussi, livré son témoignage avec beaucoup de générosité. De sa maison, il entendait les tirs de mitraillettes et a vu un jeune homme courir dans son jardin et se faire abattre sur place. Pendant qu’il se souvient et qu’il nous raconte, trois ou quatre villageois curieux se joignent au groupe.

Vient ensuite la visite du cimetière juif, toujours en compagnie de notre témoin. Ici, encore une fois, la présence de détritus conforte l’idée de l’abandon du lieu mais le plus indignant semble être cette balançoire accrochée à un chêne au beau milieu du cimetière. Cette scène que l’on croirait tout droit sortie d’un film d’épouvante est malheureusement bien réelle. Elle est rendue réelle par Mykhaïlo qui nous montre de manière précise l’emplacement des fosses.

Après une petite pause repas dans un restaurant situé en face de la maison des disparus, Smiel Jager et sa famille, de Daniel Mendelsohn, nous nous sommes dirigés vers l’ancienne synagogue de la ville, aujourd’hui transformée en salle des fêtes. Là aussi, la question du devoir de mémoire, inexistant, se pose. Nous avons ensuite vu une partie de l’ancien ghetto et l’ancien cinéma mentionnés dans Les Disparus, un lieu d’horreur.

La journée s’est terminée par le témoignage imprévu de Paulina qui a, elle aussi, fait part de ses souvenirs. « Maman, quelle est ma faute, pourquoi je vais me faire tuer », ce sont les mots glaçants prononcés par une petite fille à sa mère avant de mourir. C’est avec ce dernier témoin et des applaudissements que s’est conclue cette semaine intense et riche en émotions.