Au XIXème siècle tout le territoire français est concerné par la révolution industrielle, véritable chamboulement historique qui fait passer le monde agraire et agricole dans un monde commercial et industriel. Les principaux foyers de cette révolution sont en Angleterre, en Allemagne et en France. Pour le cas de la France, elle touche tout le territoire. C’est aussi le cas dans le bassin tarnais et plus précisément la petite ville de Saint-Juéry avec le développement de la sidéro-métallurgie. Cet essor se concentre sur le site Saut du Tarn. L’usine a été primordiale dans le développement de la ville de Saint-Juéry jusqu’à sa fermeture en 1983. Aujourd’hui le site du Saut du Tarn a été converti en un musée perpétuant la mémoire de l’usine.
1793 – 1832: De l’installation révolutionnaire à la première usine
En 1823, Saint-Juéry était une bourgade essentiellement rurale. Sur 100 habitants, 76 étaient agriculteurs. Au Saut de Sabo, la force hydraulique a permis d’aborder plus tôt la Révolution industrielle. Le calme des campagnes fait place au bruit des machines. L’impact de l’usine dans le développement du village est primordial, par exemple dans l’obtention du télégraphe et du chemin de fer ou encore dans la construction d’habitations. Progressivement, des cafés et des commerces s’établissent tout autour de l’usine. En 1853, sur 100 habitants, on trouve 45 ouvriers et 41 cultivateurs. En l’espace de 30 ans, Saint-Juéry est devenue majoritairement industrielle.
La découverte en 1787 d’une mine de fer dans les cantons d’Alban et Villefranche, additionnée au besoin d’alimenter l’armée des Pyrénées en 1793 en boulets, ont incité l’implantation de forges à Saint-Juéry. Conjointement, les industriels Garrigou et Massenet, propriétaires de l’usine du Bazacle à Toulouse voient leurs activités augmenter de manière exponentielle. Pour continuer de croître ils doivent trouver un site pour développer une nouvelle usine. La rive gauche du Tarn au niveau du défilé de Caramentran à Saint-Juéry apparaît comme le lieu idéal pour implanter leur nouvelle usine. En effet, il combine la chute d’eau du Saut de Sabo qui leur octroie une force hydraulique importante et la proximité du charbon de terre de Carmaux. Fort de l’ordonnance royale accordée le 25 mai 1828, les industriels installent leur nouvelle usine à Saint-Juéry.
Le destin du Saut du Tarn est très lié à celui de différents acteurs locaux. L’installation de l’usine par Garrigou et Massenet à Saint-Juéry est conditionnée par la proximité du charbon de terre de Carmaux, des gisements métallifères d’Alban et du Fraysse et du charbon de bois de la forêt de Grésigne. Les frais d’approvisionnement en sont ainsi diminués.
1832 – 1914: développement des infrastructures et du village
La famille Talabot va marquer l’usine du Saut du Tarn dès son arrivée en 1831. C’est une grande famille, et trois frères vont s’impliquer dans l’usine. D’abord Léon Talabot va développer l’activité et ses infrastructures avec de nouveaux fours, mais aussi les trains de laminoirs. Malgré ce développement, l’usine reste en retrait par rapport à ses concurrentes. A la mort de Léon, son frère Jules lui succède. Pendant deux décennies il va lourdement investir dans des technologies dernier cri. L’usine connaît alors une réorganisation et la production se diversifie. Les effectifs doublent, passant à 350 ouvriers et l’usine permet l’arrivée du chemin de fer. Le dernier frère, Paulin, contribue notamment à l’installation de la gare de Saint-Juéry, ce qui facilite les transports de marchandises pour l’usine. Grâce aux Talabot, l’usine entre dans une nouvelle dimension en devenant un site important de la sidéro-métallurgie française.
Des difficultés entraînent le rachat du Saut du Tarn par une société dirigée par Paulin Talabot en 1873. L’usine emploie alors 420 ouvriers. En 1876, l’expérimenté Adolphe Espinasse est nommé à la direction de la Société nouvelle du Saut du Tarn. Il étudie pendant 4 ans en profondeur l’usine avant d’initier des travaux de modernisation.
En 1878, les produits du Saut du Tarn sont remarqués par le jury de l’exposition universelle et obtiennent une médaille d’or. Espinasse relocalise la conception de la matière première sur le site pour assurer l’indépendance de l’usine. Cela passe par la construction du haut-fourneau en 1882. A l’échelle locale, l’usine rachète à cette période le pont d’Arthès. Jusqu’à sa mort en 1903 Adolphe Espinasse atteint plusieurs objectifs: l’usine est devenue productrice de matières premières, dégage suffisamment de bénéfices pour investir, et occupe l’une des premières places dans le secteur de la fabrication de limes. L’usine emploie alors plus de 1 000 ouvriers.
Le haut-fourneau, source le musée du Saut du Tarn
Les premières révoltes des canuts, fabricants de soie dans la région de Lyon, ont fait naître dans la conscience ouvrière le sentiment d’une réelle communauté d’intérêts. C’est le point de départ d’une ère de revendications ouvrières, accentuée par la détresse physique et morale de ces derniers, dans cette période de capitalisme naissant. En 1885, l’instabilité politique que connaît la France, aggravée par le début de la crise sociale, ralentit la politique de grands travaux, et ne permet pas à la sidérurgie française de lutter contre la concurrence étrangère. Un premier mouvement social au sein du Saut du Tarn a lieu en 1885, dans l’atelier des limes. La grève dura plusieurs mois grâce au soutien de tout le village. Le directeur en sort gagnant mais cet événement est marqué par la création du premier syndicat du Saut du Tarn en 1892.
1914-1983: l’apogée puis le déclin de l’usine.
Pendant la Première Guerre Mondiale, les productions traditionnelles se trouvent ralenties. Le Saut du Tarn participe à l’effort de guerre et doit s’adapter à la fabrication d’obus en acier et en fonte. En 1914, l’usine compte 1 800 ouvriers alors qu’en 1915, 3 000 ouvriers envahissent les ateliers, en 1916, la production d’obus atteint 24 000 pièces par mois. En 1917, 3 455 ouvriers travaillent au Saut du Tarn, parmi eux des étrangers suppléent les français partis au front. L’usine connaît son apogée en termes d’effectif dans le cadre de l’effort de guerre. Cependant, dès 1918, le nombre d’ouvriers diminue drastiquement.
Dans les années 1890 l’usine subit une série de modernisation liée à l’apport de moteurs hydrauliques et de turbines. Ces dernières transforment l’énergie mécanique liée à la force du Tarn en énergie électrique. Dès 1898, l’usine produit sa propre électricité grâce à sa première centrale hydroélectrique, ce qui lui permet de s’agrandir rapidement. Pour continuer de se développer économiquement, il devient obligatoire d’augmenter la capacité de production d’électricité. Ainsi l’usine se dote de 5 centrales hydroélectriques en une vingtaine d’années. Les centrales permettent même au Saut du Tarn de vendre de l’électricité à EDF, car leur production dépassait leurs besoins.
Après l’apogée de l’usine pendant la Première Guerre Mondiale, a lieu un lent déclin de 70 ans. Il est marqué par la baisse du nombre d’ouvriers. L’usine est, comme le monde entier, touchée par le Krach boursier de 1929 et par des inondations en 1930. C’est la fin de l’expansion du site. Le déclin se poursuit avec en 1934, une diminution de 1500 ouvriers. Elle conserve cependant en 1935, sa place de plus grande productrice de limes d’Europe avec 7 millions de produits. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, l’usine est en pause et les savoir-faire sont réquisitionnés par les nazis. Des mutations amènent à l’effacement petit à petit des productions traditionnelles. Grâce aux aides de l’Etat, l’usine survit jusqu’en 1983, date de sa fermeture définitive.
L’usine du Saut du Tarn aura été déterminante pour le développement de villages entiers, Arthès et Saint-Juéry pour ne citer qu’eux. Elle a mis en relation de nombreux acteurs locaux, en passant par Toulouse, Albi, Saint-Juéry, Carmaux, Ambialet, jusqu’à prendre une importance nationale. Malgré tout, sa croissance constante jusqu’au lendemain de la grande guerre est stoppée net par la crise de 1929. Par consequent, elle a été dépendante du soutien de l’Etat jusqu’à sa fin en 1983. Mais cette fin apparaît comme le début d’une nouvelle histoire, en effet des anciens employés de l’usine ont transformé un bâtiment de cette dernière en musée à sa gloire, et font ainsi perdurer l’histoire du site et des hommes qui l’ont façonné.
Bibliographie :
https://blogs.univ-jfc.fr/vphn/?page_id=13188