LA CAPSULE TEMPORELLE

AVRIL 2024
Comité de rédaction – Yvon GAY, Doriëlle FONSECA-FUMOUX, Maël BOUDON, Raphaël MEILLAC, Théo VADET

ÉDITO :

Le Tarn est connu pour sa grande figure de Jean Jaurès, mais on pourrait se demander si c’est Jaurès qui doit définir le Tarn ou bien le Tarn qui définit Jaurès. On pourrait en d’autres termes montrer que Jaurès est le paroxysme d’un territoire labouré par le socialisme sur un demi-siècle. Le socialisme est une idéologie marxiste polysémique qui, à l’époque dans le département, a su se structurer au terrain qu’il a habité et aux changements qu’il a traversé. Des changements qu’encore aujourd’hui nous pouvons constater dans les villes de Carmaux, Mazamet, Graulhet où l’industrie remplace les manufactures. Dès la fin de l’Empire et le début de la IIIe République en 1871, le Tarn devient l’exemple type de la société moderne qui définira le XXe siècle suivant. Des bouleversements sociaux, politiques, culturels et surtout économiques vont faire basculer le Tarn comme toute la France dans un siècle de grandes guerres et idéologies. Le Tarn sera le lieu de nombreux processus qui permettront l’avènement du socialisme et que le socialisme alimentera dans son projet de transformation. Tel est notre volonté avec cette revue, nous voulions chercher à faire revivre des dynamiques et des évènements qui ne sont jamais morts. Mais qui ont été obscurcies et déformées par les bouleversements du XXe siècle mettant fin à cette période de croissance du socialisme dans le Tarn. La mort de Jaurès et la fin du processus de transformation du socialisme en 1921, marquent cette fin et cachent cette période qui est pourtant l’un des moments où le Tarn fut en pointe des dynamiques d’un siècle. Nous allons ainsi vous présenter des articles symboliques vous permettant de vous immerger dans cette époque par les passerelles que nous offre la contemporanéité. Dans notre démarche comme dans nos articles, nous voulons vous offrir des capsules temporelles revisitant cette époque.

Y.G.

SOMMAIRE

I. Le Tarn, entre continuité et rupture ?

Le Tarn, un moteur du syndicalisme

Tribune

L’émergence des syndicats et de la SFIO dans le Tarn

II. Le Tarn, sujet ou acteur des grandes transformations nationales

Le Tarn aux couleurs de la République

Les notables socialiste, une antithèse ?

Jaurès est mort ! Vive Jaurès !

La Fête du Travail à Carmaux : Un Appel à l’Unité et à la Solidarité Ouvrière

III. Le Tarn : une histoire du socialisme et de la République

Débat d’idée : Est-ce que le Tarn est socialiste ?

Analyse électorale :  1871-1919, l’âge rouge du socialisme dans le Tarn ?

Histoire d’une revue

I. Le Tarn, entre continuité et rupture ?

Les villes industrielles : le poumon rouge du syndicalisme et du socialisme.

La grève au Creusot, Jules Adler, 1899, Beaux-Arts de Pau.

Le Tarn, un moteur du syndicalisme

Avec près de 14000 personnes lors des récentes manifestations contre la réforme des retraites, à Albi. Mais aussi plus largement le département entier du Tarn, a encore montré une fois de plus que ce territoire reste l’un des bastions des idées socialistes avec des villes aux histoires industrielles telles que Carmaux, Mazamet et Graulhet. La Terre de Jean Jaurès est riche d’une forte histoire industrielle et de luttes ouvrières.

Fermé il y a tout juste 30 ans, les mines de Carmaux sont une histoire remontant au milieu du XVIIIe siècle avec l’autorisation de l’exploitation du charbon et de la houille par Louis XV. Cependant cette exploitation de la houille ne va vraiment connaître une ampleur grandissante qu’avec l’industrialisation du XIXe siècle et sa mécanisation galopante, on passe ainsi de 270 mineurs en 1822 à près de 2000 en 1880.

Cependant, ce qui va très vite différencier les mines carmausines des autres est son activité et ses revendications syndicales. En effet, le premier syndicat ouvrier voit le jour en 1883, soit 1 an avant la loi autorisant la création du syndicat ouvrier en France (Loi Waldeck-Rousseau de 1884). Néanmoins, ce qui a vraiment propulsé les mines de Carmaux sur la scène nationale arriva en 1892 avec ce que l’on appelle « La Grève de Carmaux ». Débutant avec le licenciement de l’employé Calvignac qui se trouvait aussi être maire de Carmaux au motif que sa profession de mineur et sa position de maire étaient incompatibles. La grève prit rapidement de l’ampleur avec l’envoi de l’armée par le président du conseil de l’époque, Émile Loubet, transformant la grève en un enjeu national. Très vite, de grandes personnalités politiques de l’époque se rangeront aux côtés des grévistes. On peut ainsi citer Clemenceau, futur président du conseil durant la Grande Guerre, ainsi que le plus important et le plus célèbre qui reste Jean Jaurès et qui prendra parti des grévistes dans La Dépêche du Midi. Ces derniers devinrent ainsi ses plus ardents et fidèles partisans tout au long de sa carrière politique, ce qui lui permit de devenir député de Carmaux en 1893.

Photographie d’un des puits de la mine de Carmaux, site de la municipalité de Carmaux.

Vient ensuite la célébrissime ville de Mazamet, dont son histoire et sa longue tradition du travail de la laine en a fait la capitale mondiale du délainage au cours du XIXe et XXe siècle. L’histoire de cette industrie florissante débute durant la révolution industrielle au XVIIIe siècle avec une industrialisation s’accélérant au fils des décennies, on dénombre ainsi officiellement, sans compter les femmes et les enfant travaillant eux-aussi dans les usines, près de 5000 ouvriers en 1786 travaillant dans l’industrie lainière. Cependant, cette industrie, bien qu’importante à une échelle régionale, ne prit vraiment une ampleur qu’en l’année 1851 avec l’importation de peau de mouton argentin qui permit d’ouvrir une nouvelle une nouvelle activité qui permit de propulser Mazamet sur la scène internationale en lui donnant le monopole de cette activité jusque dans les années 70. Naturellement, ce développement d’activité industrielle entraîna un développement de la classe ouvrière, on compte ainsi environ 6000 en 1900. Un autre mouvement ayant marqué la classe ouvrière mazamétaine fut “La Grève”, une grève ouvrière de grande ampleur s’étant déroulée de janvier à mai 1909 et ayant mobilisé la quasi-totalité des ouvriers du délainage du bassin de Mazamet.

Photographie de l’intérieur de la gare de marchandise de Mazamet remplie d’expédition de laine, site de la municipalité de Mazamet.

Enfin, le dernier grand lieu d’industrialisation dans le Tarn fut la ville de Graulhet, autre grand centre économique et socialiste du Tarn. De la même manière que les deux autres villes précédentes, l’épopée de Graulhet dans le cuir commença avant le XIXe siècle et prit de l’importance avec la mécanisation de l’activité. Du fait de sa proximité avec Mazamet, l’activité du travail du cuir profita d’un afflux massif de peau de mouton, rejet du délainage. La ville comptait à la fin du XIXe près de 150 usines en rapport avec l’activité du cuir. De plus, avec Carmaux, la ville de Graulhet se retrouve fortement touchée par les idées socialiste, on peut le voir avec la création d’un syndicat ouvrier, illégale au moment de sa création vu que précédant de près de 4 ans l’autorisation des syndicats en France. Ainsi, en 1900, près de la quasi-totalité des effectifs ouvriers était syndiqués. Ce fort mouvement syndicale n’hésita pas à se faire remarquer de par les nombreuses grèves qu’ils organisèrent entre 1880 et 1910.

Photographie de l’intérieur de l’usine Chabbal à Graulhet, blog mémoire de Graulhet.

Ainsi, même si la majorité de ces industries ont fermé dans le Tarn, leurs héritages persistent encore à ce jour, qu’il soit culturel avec des lieux tels que des musées ou politique avec l’enracinement profond de la gauche dans le département.

M.B.


TRIBUNE :

De 1892-1895, Carmaux fut traversé par des grèves historiques et difficiles pour les ouvriers de la verrerie, pour défendre leur droit politique et leur droit à l’autodétermination. Que ce soit pour défendre leur représentation politique et leur droit à faire de la politique que de diriger eux-mêmes leur entreprise. Ils lutteront pour défendre leur maire et frère ouvrier Calvignac licencié pour son engagement politique et lanceront ainsi l’un des plus grands mouvements syndicaux. Il y a 130 ans Carmaux faisait son second 1er mai en grève…

1 er mai 1891, à Fourmies nos frères travailleurs tombaient comme des mouches face à la tyrannie bourgeoise usant de son pouvoir pour faire oublier dans la mort et le sang cette force de travail auquel, il est toujours refusé les droits à la sûreté du travail, au bien-être, au mérite sur le capital de la richesse formé. Cette richesse qui doit tout à ces corps tomber dans la poussière qu’ils côtoient tous les jours et qui est la seule force de ces travailleurs pour exister et gagner le droit d’exister pleinement. Nous n’oublierons pas ces hommes ! Nous commémorons chaque 1er mai, leur sacrifice pour fonder une société débarrassée du capitalisme vorace et cannibale des bourgeois. Nous n’oublierons pas ce combat, ni cette victoire, celle des syndicats à s’organiser et se former en corps ouvrier uni pour exister dans cette société où nous ne valons pas plus que la machine que nous sommes les seuls à faire marcher. Nous sommes essentiels à la fabrication et à l’extraction du verre, du charbon, de la laine, du cuire… et le Tarn est le lieu de toutes les luttes depuis déjà 2 ans.

Le Tarn est scruté par le monde ouvrier et les bourgeois nous voient nous battre depuis 2 ans, faire preuve de tous les courages et de toute la fraternité que notre classe sait user contre la tyrannie. La lutte continue jusqu’au moment où notre droit à être maître de notre production sera reconnu. Carmaux lutte en tant que classe unie pour son droit à récupérer la verrerie comme le lieu de ses droits et de son travail. Carmaux est comme ailleurs le lieu où l’industrie et l’ouvrier se combattent alors que l’outil doit obéir à l’ouvrier. Récupérons notre contrôle sur la machine et prenons ce qui nous revient. Carmaux a le courage d’une classe, Carmaux a la capacité de renverser la vapeur et de reprendre la verrerie. Cela nous sera permis par la capacité de la force ouvrière à être une classe, un corps, une force de tous les changements. Le capital doit changer de camp, non plus être nos chaînes mais notre propriété à tous. Tous devons partager le fruit de nos efforts qui doivent nous revenir et être partagés. La fin du règne de certains et le début du gouvernement de tous, la dictature du prolétariat arrive. La lutte continue et le monde nous regarde, notre combat en inspire plus d’un pour nous suivre. Nous façonnerons par nos corps et notre force une Société et des sociétés où les ouvriers retrouveront leurs droits sur le capital qu’ils forment. La lutte continue pour reprendre le pouvoir aux voleurs et charognards qui nous enlèvent tout ce qui nous revient. La lutte continue car… 

C’est la lutte finale ! 
Groupons-nous, et demain, 
L’Internationale, 
Sera le genre humain… 

Y.G.


L’émergence des syndicats et de la SFIO dans le Tarn

L’émergence des syndicats et de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) dans le Tarn constitue un tournant décisif dans l’histoire sociale et politique de cette région. Au cœur de la Révolution industrielle, les travailleurs tarnais se sont organisés pour faire face aux conditions de travail difficiles, tandis que les premières branches socialistes ont été le fer de lance d’une lutte pour la justice sociale. Retour sur les prémices d’un mouvement qui a marqué durablement le paysage tarnais.

Alors que le Tarn se transformait sous l’effet des progrès technologiques et de l’essor des industries minières et textiles, un mouvement silencieux mais puissant prenait forme : celui des travailleurs se dressant contre les injustices de leurs conditions de travail. C’est dans ce contexte que naquirent les premiers syndicats. Parallèlement, les premières lueurs du socialisme se faisaient sentir dans les coins les plus reculés du département, annonçant l’avènement d’une force politique nouvelle : la SFIO. 

Naissance des syndicats dans le Tarn : une réponse aux conditions de travail difficiles

Les premiers syndicats dans le Tarn ont pris racine dans les industries minières et textiles, où les travailleurs étaient confrontés à des conditions particulièrement difficiles. Ils ont commencé par revendiquer des demandes élémentaires telles que des salaires décents, des heures de travail raisonnables et des conditions de travail sûres. Les premières formes d’organisation étaient souvent informelles, mais avec le temps, ces syndicats ont acquis une structure plus formelle et ont commencé à jouer un rôle central dans la vie sociale et politique du département. Les premiers syndicats à Carmaux, fondés en 1881, et à Graulhet, établis en 1880, sont des exemples de cette montée de l’organisation ouvrière dans la région. Par ailleurs, les grèves et les manifestations sont devenues des outils de lutte essentiels pour les syndicats, qui ont cherché à faire pression sur les employeurs et les autorités locales en faveur de leurs revendications. Malgré la répression patronale et les obstacles juridiques, le mouvement syndical dans le Tarn a continué de croître, porté par la détermination des travailleurs à défendre leurs droits et leur dignité.

Les débuts de la SFIO dans le Tarn : un bouclier du socialisme

Parallèlement à l’émergence des syndicats, le Tarn a également été le terreau fertile pour le développement de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), prédécesseur du Parti Socialiste est instaurée en 1905 lors du Congrès de Globe (congrès de fondation de la Section Française de l’Internationale Ouvrière et premier congrès socialiste) par les socialistes Jean Jaurès, Jules Guesde et Albert Willm. Inspirée par les idéaux socialistes et l’aspiration à une société plus juste et égalitaire, la SFIO a rapidement trouvé un écho favorable parmi les travailleurs tarnais.

« Les trois flèches »


Logo du parti politique socialiste français : Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) créé en 1934.

NARRITSENS André, Logo SFIO, Aux origines des « trois flèches », PCF Aubervilliers (2011)

Les premières branches de la SFIO ont été créées dans le Tarn au tournant du XXe siècle, attirant des militants dévoués et des intellectuels engagés, et reflétant les divers courants de la gauche française à l’époque. On peut alors citer les courants réformistes ainsi que révolutionnaires, chacun guidé par une même ambition : représenter les intérêts de la classe ouvrière de France. 

Lors de ses premières élections en 1906, plusieurs membres éminents du parti ont été élus. Parmi eux figuraient des personnalités telles que Jean Jaurès, Jules Guesde, Aristide Briand et Édouard Vaillant. Leur leadership intellectuel et idéologique a tracé la voie du socialisme moderne, unifiant diverses tendances idéologiques au sein de la SFIO. En tant qu’élus, ils ont apporté une voix politique officielle au parti, plaidant pour les droits des travailleurs et la justice sociale dans les arcanes du pouvoir. Leur capacité à mobiliser les masses laborieuses et à négocier avec d’autres forces politiques a été cruciale dans la consolidation du mouvement socialiste en France. Ainsi, les pionniers de la SFIO ont laissé un héritage indélébile, façonnant non seulement le parti, mais aussi le paysage politique français, et jetant les bases du socialisme moderne.

Aujourd’hui, alors que les récits des luttes passées résonnent encore dans les rues et les places publiques du Tarn, il est clair que l’émergence des syndicats et de la SFIO a laissé un héritage indélébile dans l’histoire sociale et politique de la région. Ainsi, ces mouvements pionniers ont jeté les fondations d’une conscience ouvrière et sociale qui continue à inspirer les luttes pour la justice et l’égalité. Leurs efforts ont tracé la voie pour les avancées sociales et les droits des travailleurs que nous connaissons aujourd’hui, rappelant que le changement durable est le fruit d’une lutte collective.

D.F.

II. Le Tarn, sujet ou acteur des grandes transformations nationales

Jean Jaurès entre figure locale et nationale.

Hommage à Jean Jaurès – Histoire – 1914-1918 – Assemblée nationale, site de l’Assemblée nationale.

Le Tarn aux couleurs de la République

Le Tarn est un territoire encore essentiellement rural à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, imprégné de l’Église catholique et d’une éducation religieuse courte ce qui n’est pas propice au développement des idées socialistes. Mais ils ont eu la chance qu’une fois la République imposée dans les années 1880, les lois Ferrys pour une école laïque, gratuite et obligatoire, ainsi que la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905 ont permis l’ouverture au socialisme et sa possibilité de devenir la nouvelle école de pensée.

Votée il y a un peu plus de 5 ans, la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État est un véritable bouleversement et une grande victoire pour la gauche française ! Bien que conçu à Paris, ce monument juridique trouve une partie de son origine dans notre beau département Tarnais. 

En effet, l’un des artisans de cette victoire n’est autre que Émile Combes, homme politique majeur du paysage républicain français et originaire de Roquecourbe dans le Tarn. L’un des points de cette loi est l’interdiction des écoles religieuses au profit d’écoles laïques et républicaines. Albi ne fut heureusement pas épargné par cela, comme nous avons pu le constater avec la fermeture de l’établissement scolaire religieuse du Bon Sauveur. Cette loi, couplée aux lois Ferry permit de déloger l’influence cléricale des plus jeunes générations tarnaise tout en leur inculquant les valeurs républicaines. En concert avec cette loi, la République s’est engagée à enrichir chaques villes et villages de France d’établissements scolaires modernes, qu’ils soit existant ou construit pour l’occasion. On peut le constater à Albi avec l’agrandissement du collège de Bitche pour en faire l’École Primaire Supérieure de Garçons. 

Ainsi, cette loi est l’aboutissement d’un effort national à laquelle la Gauche tarnaise n’a pas été sans contribution.

M.B.


Les notables socialiste, une antithèse ? 

Existe-t-il des notables socialistes au début du XXe siècle ? Si la question ne se pose plus aujourd’hui, elle est pertinente quand on étudie la genèse de l’un des partis historiques français. Au début les idées socialistes sont portés par des partis locaux issues des syndicats, avec un aspect essentiellement groupusculaire. S’appuyant sur les masses populaires et ouvrières subissant le système capitaliste tel que décrit par Marx, ils se formèrent en force sociale et politique. Le but était de former une organisation structurée pouvant renverser le système ou du moins lui tenir tête. La fonction tribunitienne qui caractérise le courant socialiste est ainsi apparu. Selon Aude Chamouard, docteur en histoire, le parti socialiste est à la base un parti de masse. En effet, le parti compte 40% d’ouvriers dans ses élus en 1920, ce qui est énorme par rapport aux autres partis français. Il est recherché la formation et l’organisation des masses en interne en y faisant évolué des membres éduqués ou non pour en faire des élus, des cadres et des dirigeants. Naturellement ceux les plus éduqués ayant le plus de compétence et d’éloquence pouvaient plus facilement se hisser en haut de l’organigramme. Mais avec la diminution de l’influence de l’Église et de son éducation les cadres formés par la république pouvaient mieux saisir et adhérer aux thèses socialistes. En plus de quoi les idées socialistes devinrent la nouvelle pensée dominante et structurante des masses éduquées par la République et socialisées au sein du mouvement ouvrier. De ce fait, les élus socialistes de Haute Garonne sont déjà qualifiés par les journaux de « notable toulousain ». En effet, même si la base est fortement ouvrière, les élus sont déjà des notables. De par le fait que le mouvement est très vite formé et formaté par des élites économiques et culturelles s’appuyant sur le système sociale et politique pour encrer territorialement leur influence.

Mais cette problématique semble être inhérente à l’exercice même de la politique. Les socialistes qui sont issus du mouvement ouvrier n’ont ni le temps,  ni l’aisance matérielle, ni l’ascendance pour être qualifiée de notable selon la définition de Weber. Mais la république est construite par des notables, pour des notables. Le réseau politique est indispensable pour évoluer dedans. De plus, les hommes politiques de cette période ne font pas exception à la règle, ils sont pour la plupart des professionnels de la politique. Or, les ouvriers  n’ont pas le temps ni l’énergie pour prétendre à des postes d’élus. Les socialistes vont donc être obligés de devenir des notables pour évoluer au sein de la république. Effectivement, les ouvriers ne sont représentés qu’à 20% dans les élus du parti en 1930. Georges Barthélemy, maire de Puteaux, définit parfaitement la réalité du parti : « Depuis Thivrier, premier maire socialiste de France, cinquante ans de pratique nous ont appris notre histoire et nous ont appris notre métier ».

On peut donc dire que si le parti s’est progressivement détaché de sa base ouvrière, c’est tout simplement qu’il a suivi le cursus classique de la république. Mais qu’en évoluant contre cette « République bourgeoise » à laquelle ils ont dû se plier pour la changer, ils ont aussi dû s’organiser en interne comme elle, et ainsi devenir les notables qu’ils combattaient.

R.M.


Jaurès est mort ! Vive Jaurès !

Le processus par lequel le socialisme a acquis une élite a trouver son paroxysme avec Jean Jaurès au début du XXe siècle dans le Tarn. Ce professeur de philosophie, républicain modéré, suite à la grève de Carmaux en 1892 se convertit aux idées socialistes et devient le meneur dans le Tarn et dans le pays de la lutte des classes. De ces combats locaux aux grandes causes nationales, il devient le meneur de la SFIO mais fut tuer en 1914 pour son combat contre la Guerre.

Ils ont tué Jaurès ! C’est avec ce cri de stupeur que la France socialiste se réveille le samedi premier août. L’assassin, de son nom Raoul Villain, l’a froidement abattu à la sortie du café du croissant de Montmartre. À cause d’une tension toujours plus forte entre l’Allemagne et la République française, Jaurès s’était positionné à la tête d’un mouvement pour la paix. Ce tragique événement nous amène à retracer la vie du grand homme, de figure du mouvement ouvrier à militant pour la paix.


Jaurès est né le 3 septembre 1859 à Castres. Après une jeunesse heureuse dans la ferme familiale, il effectue un parcours scolaire brillant et devient professeur au lycée d’Albi. Il est élu une première fois sous le blason républicain mais il sera battu par un monarchiste aux élections suivantes. Il est contraint de retourner enseigner à la faculté de Toulouse. Il découvre à ce moment l’idéologie socialiste et il se convertit assez lentement. La grève de Carmaux, dans laquelle il  s’investit corps et âme, le transforme en socialiste convaincu. Il est élu sous cette bannière en 1893. Il ne quittera plus jamais l’hémicycle jusqu’à la journée tragique d’hier.

Jean Jaurès

Appel à l’union des prolétaires à Lyon, 1913

ROGER Violet, Jean Jaurès, le 25 mai 1913, phootgraphie, L’Humanité (07 Juillet 2022)

Dès lors, Jaurès sera de toutes les grandes luttes progressiste de notre temps. Il va défendre les verriers d’Albi, s’opposer à l’impérialisme en Asie et en Afrique, défendre Dreyfus qui est accusé de trahison par les forces réactionnaires. Orateur brillant mais homme simple, il était le héraut du mouvement ouvrier. Depuis 10 ans, il lançait l’alerte sur la menace d’un conflit généralisé entre grandes puissances européennes. Les réactionnaires et les va-t-en guerre l’auront finalement tuée hier, ce qui ouvre une sombre période pour notre pays et pour l’Europe entière. Notre rédaction présente ses plus sincères condoléances et amitié à sa famille.

L’homme est mort mais ses idées doivent perdurer ! Vive l’internationale ouvrière et vive la république !

R.M.


La Fête du Travail à Carmaux : Un Appel à l’Unité et à la Solidarité Ouvrière

Le 1er mai 1920 à Carmaux, la Fête du Travail prend une importance particulière, soulignée par un appel à l’unité et à la solidarité ouvrière. Au milieu des festivités, cette journée rappelle l’importance de rester unis pour défendre les droits des travailleurs et poursuivre la lutte pour de meilleures conditions de travail. De cette manière, Carmaux réaffirme son engagement de justice sociale et de solidarité qui ont toujours caractérisé son histoire. Et il le fait malgré la perte de son chef local et national, Jean Jaurès peu avant la guerre qui a laissé la France emprunt de sang et de chauvinisme. Faisant de la lutte pour les droits des ouvriers un combat secondaire, le Tarn qui est lui emprunt du sang rouge et de l’héritage idéologique de Jaurès a continué le combat et l’implantation des idées socialistes.

Un appel au rassemblement

Affiche de promotion pour l’événement de la fête du 01 Mai 1920 à Carmaux. 

Affiche politique, “Fête du 1er Mai 1920”,  Archives départementales du Tarn, Albi

Carmaux, le 1er mai 1920 – Aujourd’hui, la ville de Carmaux s’est parée des couleurs du mouvement ouvrier pour célébrer la Fête du Travail, une journée dédiée à la reconnaissance des contributions des travailleurs et à la solidarité ouvrière. Dans un contexte marqué par les récents bouleversements politiques et sociaux, cette année l’appel à la fête souligne une importance particulière, mettant l’accent sur l’unité et la résilience de la classe ouvrière face aux défis du monde moderne.

« Vive le 1er Mai ! » 

Les rues de Carmaux résonnent aujourd’hui des chants et des cris de joie des travailleurs, venus nombreux pour célébrer la Fête du Travail. Dans une ambiance empreinte de solidarité et de détermination, cette journée symbolise bien plus qu’une simple commémoration ; elle incarne l’esprit déterminé de la classe ouvrière, à défendre ses droits et à poursuivre la lutte pour un avenir meilleur.

Les festivités débutent dès l’aube, alors que les travailleurs se rassemblent autour des symboles de leur mouvement, brandissant fièrement leurs bannières et leurs slogans revendicatifs. 

Aux Travailleurs de Carmaux & de la Région

Les discours enflammés des leaders syndicaux résonnent dans les rues, rappelant les luttes passées et appelant à l’unité dans la poursuite de leurs revendications. Au-delà des revendications politiques, à savoir les luttes visant à améliorer les conditions de travail et les droits des travailleurs – réduction des heures de travail, augmentation des salaires, amélioration des conditions de travail et reconnaissance des droits syndicaux, la journée est également marquée par des moments de convivialité et de partage, renforçant les liens de solidarité au sein de la communauté ouvrière à travers l’organisation de fanfare, déjeuner et meeting.

« Vive la vraie République du peuple ! » 

Ces mots écrits en gras, sur un fond rouge, dénotent d’une force de caractère impressionnante. Ils résonnent comme un appel à une république où les travailleurs sont mieux représentés et où la justice sociale est au cœur des politiques gouvernementales. Les ouvriers de Carmaux ont affirmé leur engagement à poursuivre la lutte pour des conditions de travail dignes et une répartition équitable des richesses. 

Dans cette « République du peuple » idéale, les travailleurs ne sont pas de simples pions, mais des citoyens à part entière, où ces derniers sont mieux représentés et où les principes de justice sociale sont au cœur de chaque politique gouvernementale, leur permettant de jouir de droits et de protections garanties par l’État. La Fête du Travail à Carmaux a été l’occasion de réaffirmer cette vision d’une société plus juste et égalitaire, où chaque individu a la possibilité de prospérer et de contribuer au bien-être commun.

« Vive l’Internationale ouvrière ! » 

Carmaux devient alors le point de diffusion de l’idéal internationaliste et ce, dans la France entière. Des délégations syndicales venues d’autres régions se joignent à la célébration, témoignant de l’unité de la classe ouvrière au-delà des frontières nationales. « Pour protester contre les puissances qui nous exploitent et nous oppriment et affirmer sa foi en l’avènement prochain d’une République d’humanité, de justice et de fraternité ! » proclame l’affiche rouge vif, appelant à la protestation contre les forces puissantes qui exploitent et oppriment les individus, en mettant en avant la vision d’une République future fondée sur des valeurs d’humanité, de justice et de fraternité. 

En cette journée historique, Carmaux réaffirme son engagement envers les idéaux de solidarité, de justice et de progrès social qui ont toujours guidé son histoire. Alors que les travailleurs retournent chez eux, les chants de solidarité continuent de résonner dans les rues, témoignant de l’esprit inébranlable et la détermination de la classe ouvrière.

Cette journée mémorable, inspirée par une simple affiche datant de 1920, incarne l’esprit brave de la classe ouvrière de Carmaux. Elle rappelle que, même face aux difficultés, l’unité et la solidarité restent les fondations sur lesquelles reposent les luttes pour un avenir meilleur pour tous les travailleurs.

D.F.

III. Le Tarn : une autre histoire du socialisme ?

Le Tarn, une terre de socialisme depuis 150 ans.

Tarn libre, Nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites : plus de 18 000 manifestants à Albi, près de 8 000 à Castres, article du 23/03/2023, photo de Alexandre Renault.

Débat d’idée : Est-ce que le Tarn est socialiste ?

Jean Jaurès le député de Carmaux, ville ouvrière où le syndicalisme est l’essence de la communauté des travailleurs de la mine et de la verrerie, faisant de grand discours devant une masse populaire l’enorgueillissant d’un discours pour l’égalité sociale et contre la République des bourgeois parisiens. Voilà l’image d’Épinal que l’on se fait de ce Tarn de la première moitié de la IIIe République. Mais le Tarn et son rapport au socialisme sont plus larges que Jean Jaurès, que les Toulousains aiment à s’approprier d’un Sud-Ouest en avant-garde du progrès et de la lutte pour les droits sociaux. Jean Jaurès n’est pas ce qui fait le socialisme dans le Tarn, il n’est pas l’essence de cette image caricaturale que l’on se fait du Tarn mais la conséquence. Lui-même serait d’accord pour avouer que l’essence du socialisme dans le Tarn est son peuple ouvrier moteur et victime de la transformation sociale en cours au XIXe siècle.

Jaurès, couverture Bande-Dessinée, scénario: Jean David Morvan, Frédérique Voulyzé; Historien: Vincent Duclert; Dessin: Rey Macutay; couleur: Walter; 2014 chez Glénat et Fayard

Durkheim comment comprendre la transformation

Émile Durkheim justement né à Épinal en 1858 qui fut l’un des investigateurs de la sociologie française, décrivait si bien. Pour lui, l’industrialisation transforme les solidarités et les liens sociaux entre les individus et formant les collectifs. La solidarité mécanique qui faisait l’identité du groupe, se mut en solidarité organique. La solidarité fondée sur les similitudes du Jaurès, couverture Bande Dessinée, scénario: Jean David Morvan, Frédérique Voulyzé; Historien: Vincent Duclert; Dessin: Rey Macutay; couleur: Walter; 2014 chez Glénat et Fayard mode de vie entre individus, sous l’Ancien régime la société était homogène avec 90 % de la population vivant et travaillant de la terre. Cette situation similaire entre tous faisait le sentiment identification et de compassion menant à la solidarité, elle se faisait systématiquement. Alors que la révolution française et industrielle qui suivit transforma les liens sociaux et donc les modes de solidarité. La création de travaux différenciés avec la division du travail en tache séparé et spécialisée. Les travailleurs d’une usine se concentrent sur des taches différentes avec des situation sociale et économique différencié mais la solidarité se fait par la complémentarité des rôles. Cette transformation par l’usine est fondamentale, des populations issues de l’agriculture vont se concentrer dans la périphérie des villes où est installées les usines et activités comme Carmaux pour Albi, ou Graulhet entre Lavaur, Castres et Albi. La logique étant d’attirer des populations issues de la campagne pour travailler avec un niveau de vie légèrement meilleur que leur territoire d’origine. Cela va sortir du monde agricole nombre de populations parfois venue de territoire périphérique, comme les Aveyronnais. Durkheim qui est un contemporain de ces transformations a ainsi pu constater que l’ouvrier va être l’outil du changement global de l’économie, l’ouvrier est nécessaire à l’agriculteur pour lui fournir de l’énergie ou des outils, et le paysan pour nourrir cette population. Mais très vite les ouvriers vont comprendre qu’ils peuvent tirer profit de ce renversement par un développement des idées socialistes issues de Marx.

Marx comment passer de l’ouvrier au prolétariat

Marx est né en 1818 et mort en 1883, fut le grand penseur politique, sociale et économique qui analysa les bouleversements de son époque. Il considère la rupture que représente le basculement vers l’industrialisation comme un changement du paradigme. On passe du modèle où le paysan produit et est propriétaire de sa production à l’ouvrier qui n’a que sa force de travail est sa seule propriété productive, son capital. Le capital en tant que moyen de production et le fruit du capital sont la propriété du patron. Il y a une aliénation au travail, qui rend le patron et son capital nécessaire à la capacité productive du travailleur. Marx prône alors que les travailleurs dont la force productive est tout aussi essentielle pour actionner la machine se forment en groupe social, en force sociale capable de négocier et d’exiger du patronat des concessions sur la valeur et le profit crée de la juxtaposition du Capital et du travail. Le marxisme est fondé sur cette idée que la force sociale d’un groupe majoritaire est essentiel, nommé prolétariat, se forme comme force active pour renverser la situation de domination. Politiquement et socialement cela prendra la forme des syndicats comme unité de base de l’organisation du prolétariat qui peut ainsi avoir une conscience de classe, savoir qu’ensemble ils forment un groupe social conscient de ce qui le définit et de son impact.

Très vite à Carmaux est formé le premier syndicat en 1881 et à Graulhet en 1880, le peuple ouvrier en tant que force sociale est bien antérieure à Jaurès. Il se forme en force politique très vite, il va se rapprocher des idées marxistes qui se développent dans les populations plus éduquées mais en contact direct avec cette nouvelle force sociale, les professeurs ou les populations employés dans les usines pour la comptabilité ou l’écriture parfois issue de ce même monde ouvrier. Très vite à Carmaux est formé le premier syndicat en 1881 et à Graulhet en 1880, le peuple ouvrier en tant que force sociale est bien antérieure à Jaurès. Il se forme en force politique très vite, il va se rapprocher des idées marxistes qui se développent dans les populations plus éduquées mais en contact direct avec cette nouvelle force sociale, les professeurs ou les populations employées dans les usines pour la comptabilité ou l’écriture parfois issue de ce même monde ouvrier.

Le Tarn, une contre narration ?

La pensée de Marx ne s’oppose pas à celle de Durkheim ou de Weber, qui considère les classes comme des groupes sociaux formées de facto par la similitude des caractéristiques sociales, politiques et économiques. Toutes ces conceptions montrent que la fin du XIXe siècle est riche de débat et d’évolution de la sociologie concrète et des conceptions académiques.

« La sociologie était la nouvelle biologie, il fallait comprendre ce nouveau corps social : le prolétariat.»

S’il nous était offert de pouvoir changer cette représentation pour la coller à cette réalité vécue et constatée à l’époque elle serait la suivante : un territoire, le Tarn, plutôt rural, où d’anciennes activités économiques commencent à profiter des politiques du second empire pour moderniser l’artisanat et les manufactures pour les plonger dans le vacarme mécanique et l’obscurité souterraine de l’industrie et de la modernité technique. Dans ces mines et usines, les ouvriers passent de la faucille au marteau. Ils comprennent qu’ils sont un corps indispensable et rentrent en lutte lorsqu’ils le jugent utile comme pour marquer leur indépendance et faire remarquer leur indispensabilité. Jaurès a vu cela lors de la grève de 1892-1895 et compris non pas qu’il fallait convertir les masses au socialisme mais les élites, dont lui-même faisait partie, ou alors de créer une élite socialiste. Il se lança dans la grande quête tribunitienne du socialisme, en tant qu’elle forme les esprits et organise la lutte, tout en formant en son sein sa propre nouvelle élite. Le Tarn n’est pas le conte socialiste d’Épinal avec Jaurès comme héros, le Tarn entre 1871 et 1919 est le lieu de la lutte, des transformations comme un exemple remarquable de ce que l’implantation des idées socialistes permet, et Jaurès en est la conséquence et non la cause. Tous les sociologues pourront y trouver la mine du socialisme de Marx à Durkheim en passant par Weber, la classe prolétarienne y fut active même sans Jaurès et j’en prends pour preuve que même après sa mort la lutte continue…

Y.G.


Analyse électorale : 1871-1919, l’âge rouge du socialisme dans le Tarn ?

Juillet 1871, le retour de la République et des monarchistes au pouvoir, la France d’après-guerre voit la République s’imposer jusqu’à la droite de gouvernement et les radicaux sont le maillon essentiel de tous les gouvernements. Qu’est-ce qui a changé dans cette période ? Quelles évolutions électorales l’expliquent ? Lorsqu’on regarde les cartes produite par J. Cagé et T. Piketty les radicaux en 1871 sont présents uniquement dans des territoires où ils ont un encrage de longue date alors qu’en 1919 l’implantation de la gauche semble se faire sur un grand nombre de territoire ancrés dans l’industrialisation, au Nord-Est, le Sud-Ouest et le Sud-Est avec des niches industrielles motrices des républicains et des socialistes.

Élection législative juillet 1871, les radicaux uniquement dans des poches territoriales.

Élection législative 1919, la gauche républicaine et socialiste bien plus présente sur une large partie du territoire, surtout dans les zones industrielles.

Entre la guerre Franco-Prussienne et la Première Guerre mondiale, les partis de gauche ont beaucoup évoluer se dirigeant vers le républicanisme et le pacifisme. La France entre le retour de la démocratie avec le suffrage universel direct pour l’élection législative, et les élections d’après-guerre à la veille d’une séparation de la gauche entre les plus républicains, socialistes, et les communistes, révolutionnaires pro-bolchévik. La gauche semble avoir évolué conceptuellement et électoralement.

Une corrélation évidente entre le vote à gauche et l’industrialisation

Lorsque l’on se penche sur les résultats des élections législatives entre 1871 et 1919 on peut voir grâce aux données de T. Piketty et J. Cagé la corrélation évidente entre la carte sociologique et électorale. En 1876, les législatives sont anticipées et marquent une nette progression des partis républicains de gauche. La périphérie de Paris, le Nord-Est et la Savoie avec le contour méditerranéen plutôt populaire et ouvrier, avec des mines ou des activités industrielles, sont des terreaux fertiles pour ces partis. Ce que l’on constate en 1898, avec une grande accélération des milieux industriels, le long de la Garonne et dans le Tarn ainsi que dans le Nord et autour de Paris, une hausse et surtout une densification du vote républicain (progressiste) et socialiste. De par la fragmentation des électorats et des idées socialistes, il n’y a pas d’homogénéité autour d’un parti unique, ce qui rend la lecture trouble. Néanmoins si on se concentre sur la Gauche et les partis avec la plus grande conscience sociale, il y a une nette progression autour de ces poches industrielles qui propagent ces idées autour en même temps que l’industrie.

Élection législative 1876, la gauche républicaine et socialiste se développe surtout dans des zones urbaines où elle possède des notables. Le Tarn n’en fait pas partie.

Élection législative 1898, la gauche républicaine et socialiste bien plus présente dans les premières niches industrielles et urbaines.

Le Tarn : comment les idées socialistes se propagent-elles ?

Le Tarn en 1898, est un excellent exemple de ce processus de propagation des idées socialistes par l’instauration de capsule socialiste sur le territoire où celui-ci se forme et se renforce pour mieux s’encrer. Lors des législatives de 1898, le Nord du Tarn commence avec Graulhet et Carmaux ainsi que sous l’influence toulousaine et ferroviaire à voter socialiste. Les poches les plus dynamiques collant parfaitement à la carte industrielle et sociale.

Élection législative de 1898 dans le Tarn.

Lors des élections législatives qui suivirent, on constate comment ce processus électoral se développe dans le Tarn. Les niches industrielles de Graulhet et Carmaux, socialistes et engagés dans le syndicalisme, vont préparer les électeurs et offrir la souche militante pour remporter les élections. À l’occasion des élections de 1902, Jean Jaurès est réélu député socialiste et prend la tête du camp socialiste national, l’unissant autour de la pensée marxiste et de la tradition républicaine radicale voire révolutionnaire. Ainsi en 1902, le Tarn est aux 3/4 acquits à la cause socialiste sur la surface de son territoire avec des niches en avant-garde. En 1919, cela permet au socialisme de rester une force essentielle sur ce territoire malgré le chauvinisme d’après-guerre qui ne lui est pas favorable. Le territoire est uniformément couvert par les idées socialistes grâce à l’alliance entre ouvriers et paysans avec ses poches industrielles acquises à sa cause.

Élection législatives 1902, Le Tarn vote au ¾ de son territoire pour des candidats socialistes ou radicaux.

Élection législatives 1919 dans le Tarn. Le vote socialiste et radical progresse et s’homogénéise sur le territoire.

Ce que l’on peut retirer d’une telle analyse, c’est que le socialisme est autant la cause que la conséquence des évolutions sociologiques dans le Tarn comme en France entre 1871 et 1919. Les élections en sont le révélateur, ainsi les poches qui à cette époque vont commencer à voter socialiste puis communiste comme dans le Nord ou en Savoie vont être profondément marqué par ces évolutions et donc sur la fin de ce processus à la fin des années 70. Dans le Tarn, le processus semble différent car les idées socialistes se sont encré dans les représentations et dans les traditions de votes. Mais aussi grâce à une stabilisation sociologique induite par la périurbanisation toulousaine qui mène dans le Tarn les catégories les plus modestes travaillant dans l’industrie toulousaine. Aujourd’hui, s’il y a un recul des idées socialistes ou progressistes dans le Sud, qui a toujours été plus rural, et conservateur, que le Nord, ce dernier reste très ancré à Gauche avec la victoire en 2022 d’un député LFI dans une triangulaire avec la majorité présidentielle, et l’extrême droite. Le socialisme dans le Tarn semble s’être converti aux idées socialistes par des bouleversements sociaux mais elles semblent restées par la force de l’intériorisation politique qu’elles ont suscitée dans les pratiques électorales. Comme le montrent Cage et Piketty, 20 % des raisons du vote relèvent aussi d’habitude et d’intériorisation politique collective et traditionnelle.

Cf : J. Cagé et T. Piketty, une Histoire du conflit politique, Elections et inégalités sociales en France, 1789-2022, Seuil, Ecohistoire, 57 rue Gastond-Tessier, Paris XIXe, septembre 2023

Y.G.


Histoire d’une revue :

L’Histoire, et la manière dont on l’écrit, a toujours alterné entre des phases de retour sur des analyses de terrains et l’écriture de grands récits collectifs. Un peu comme en économie, il y a des démarches macroscopiques et microscopiques. Cette revue a à cœur d’user des deux pour illustrer et comprendre des pages souvent dissimulées derrière le vernis de la vulgarisation excessive et du sensationnalisme une histoire interactive. Entre le territoire et la Grande Histoire, la valeur de l’Histoire Contemporaine est bien de permettre de réfléchir par des dynamiques multidimensionnelles. Cela revient à faire une topologie historique d’une époque ouvrant sur la suivante et fermant la précédente. Là était le cœur de notre démarche en cherchant à comprendre l’implantation des idées socialistes dans le Tarn entre 1871 et 1921. L’ambivalence dans cette démarche et dans cette période est bien que l’on soit dans une double dynamique propre au socialisme, entre sa volonté de changer la société et de pourtant être la conséquence des changements antérieurs qu’il combat. Et pourtant les socialistes veulent s’institutionnaliser et de pérenniser ces idées dans le paysage politique tarnais et National. Là est peut-être l’intérêt de notre travail, des étudiants éprouvant leur territoire pour lier le Grand au Petit en faisant du sens dans l’Histoire pour revivre et faire survivre cet héritage. Nous avons écrit ces capsules pour faire durer ce patrimoine et aspirer à mieux le comprendre en actualisant notre rapport et à sortir des grands récits, pour en faire l’Historiographie et comprendre les fondements d’une contemporanéité. Les idéologies et la réalité sont ainsi grâce à l’histoire revue, relue, reliée pour illustrer notre monde en transformation. Ce travail est ainsi une étape dans une démarche de reconstruction de notre rapport à l’histoire de celle très scolaire à celle très académique, qui recherche par la contradiction à répondre aux grands questionnements.

Y.G.

Bibliographie

O U V R A G E S

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R E V U E (S)

  • Revue du Tarn 2005, n°199, p. 425-431 (PA 71)