Métissage, acculturation et syncrétisme à la Nouvelle-Orléans du XVIe au XVIIIe siècle

Située dans l’État de la Louisiane, La Nouvelle Orléans est une ville fondée en 1718 par des colons français.

Drapeau de la ville de La Nouvelle-Orléans également utilisé pour symboliser la Louisiane française.

Source: Wikipédia.

Face au contact avec la population locale et avec une volonté d’expansion économique et coloniale, elle est au départ un petit port qui devient, petit à petit, une ville. Cette ville se distingue notamment par son brassage culturel unique en son genre, résultat de siècles d’influences diverses. Ainsi, le métissage culturel désigne le mélange d’influences culturelles diverses, par exemple dans le domaine musical, architectural, linguistique, etc. La ville est rapidement devenue un carrefour commercial crucial, attirant des colons et des commerçants de différentes parties du monde.

Les français initièrent les premiers contacts avec des tribus locales peu après leur arrivée, avec des personnages comme Pierre Le Moyne d’Iberville. Ces échanges furent facilités pour certains par le commerce illégal de fourrure. Lors de la Guerre de Sept ans, de 1756 à 1763, de nombreuses tribus amérindiennes ont formé des alliances avec les puissances européennes. Elles avaient pour but de protéger les natifs tout en les faisant combattre aux côtés des colons. Ce qui peut sembler être une relation stable ne représente cependant pas l’ensemble des échanges entre natifs et colons. En effet, les européens cherchaient souvent à imposer leurs dogmes religieux ainsi que leur modèle économique. L’exemple le plus marquant reste celui de l’esclavage, qui fut importé par les colons français à leur arrivée au début du XVIIIe siècle. La vie des tribus locales fut donc rapidement impactée par cet ajout, puisque les esclaves venus d’Afrique se mêlèrent aux populations locales. Ce changement radical impacta aussi le paysage du lieu de vie des amérindiens. En effet, les esclaves issus de la traite atlantique ont été utilisés pour construire la ville de la Nouvelle-Orléans.

Un exemple de contact entre français et amérindiens:

Wihelm Lamprecht, Père Marquette et les Indiens, 1869, Haggerty Museum of Art.

Source: Google Arts & Culture.

C’est au cours de cette construction que s’affirme un principe majeur des normes de la société européenne : l’urbanisme.

La construction de la Nouvelle-Orléans se base sur des plans conçus par Adrien de Pauger, un ingénieur et architecte normand de la fin du XVIIe siècle. Ces derniers sont à l’origine du Vieux Carré, le quartier historique de la ville. Sa particularité se trouve dans son utilisation de la géométrie. Ce quartier utilise des formes carrées pour la réalisation de ses bâtiments, donnant lieu à la formation de rues à angle droit, faisant aujourd’hui sa renommée. Ce dernier témoigne parfaitement du contexte pluriculturel dans lequel s’inscrit la fondation de la ville. Victime d’un fort ouragan en 1722, elle est entièrement reconstruite grâce aux travaux de Pauger, mais aussi de Louis-Pierre Le Blond de la Tour, ingénieur en chef. Face aux maisons des locaux faites à base de bois et d’écorces, les colons érigent de grands bâtiments, pour la plupart administratifs, religieux ou militaires. Cette vision de l’urbanisme s’étend par la suite à toutes les colonies françaises d’Amérique, prenant l’architecture du Vieux Carré comme un modèle. Cette architecture se base sur le travail d’artisans, et non d’académiciens. Malgré quelques différences notables avec l’architecture issue du vieux continent, c’est cette dernière qui pose les fondements des villes de la Nouvelle-France, avec notamment l’exemple de la Nouvelle-Orléans et de son quartier français. Pauger marque l’histoire de la ville puisque c’est lui qui a attribué les noms des rues. On retrouve ainsi des personnages importants dans l’implantation de la ville comme d’Iberville (vu précédemment) ou encore Philippe d’Orléans, régent du jeune roi Louis XV au moment de la fondation de la Nouvelle-Orléans.

Philip Pittman, Plan de La Nouvelle-Orléans, 1770, Bibliothèque du Congrès des États-Unis.

Source: Site internet des collections de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis.

En outre, la puissance de La Nouvelle-Orléans ne s’expliquait pas (du moins au XVIIIe siècle) par sa population. 

En effet, la ville ne peut être perçue à ce moment-là comme une réelle métropole, car elle ne dépasse pas les 9000 habitants jusqu’au début du XIXe siècle. En réalité c’est son rôle de port de commerce entre les ports coloniaux espagnols et français notamment qui font d’elle une puissance maritime. 

Le mode de vie des habitants se retrouve directement impacté par le commerce. En effet, une grande partie de la population vit du commerce. Cette prépondérance commerciale s’est imposée dès la fondation de la ville en 1718. Le secteur demeure privé et vers le début des années 1720 il est confié pour vingt-cinq ans à la Compagnie des Indes de John Law. Les marchandises transitent principalement par les ports de La Nouvelle-Orléans (port historique et port de La Balise): du tabac, de l’indigo ou encore des peaux de daim. Toutefois, le transport de marchandises n’est pas la seule activité économique maritime puisque le commerce esclavagiste y tient aussi une place. Ce dernier reste pourtant à relativiser car La Nouvelle-Orléans n’a pas été, lors de la colonisation française, un port négrier majeur. L’explication principale de ce phénomène est qu’une grande partie des navires en provenance d’Afrique, préférait s’arrêter dans les Antilles où le commerce était bien plus rémunérateur. De plus, les mauvaises conditions de traitement des futures esclaves durant le voyage, causa la mort d’une grande partie d’entre eux. Au-delà de l’activité commerciale et esclavagiste, la Compagnie des Indes est aussi chargée d’assurer la défense de la colonie. 

Casimir Balthazar, Portrait de John Law, 1843, Musée de la Compagnie des Indes de Lorient.

Source: Site internet des collections du Musée de la Compagnie des Indes de Lorient.

Outre l’aspect économique, l’établissement du port de La Nouvelle-Orléans tient aussi d’une volonté politique. Celle-ci s’exprime par le rôle central de Pierre Le Moyne d’Iberville (navigateur au service de la couronne française) lorsqu’il fonde les premiers établissements coloniaux autour de l’embouchure du Mississippi en 1699. Par ailleurs, c’est sur les conseils des tribus amérindiennes locales qu’il détermina l’emplacement de petites colonies situées à proximité du futur emplacement de la ville. En réalité, les liens entre colons français et amérindiens sont largement antérieurs à 1699, puisqu’il en existe déjà depuis quelques dizaines d’années au Pays des Illinois, sur la partie nord du Mississippi

Auteur inconnu, Portrait de Pierre Le Moyne d’Iberville, date inconnue, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Source: Site internet des collections de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Enfin, cette terre constitue un point stratégique car elle permet de relier les colonies françaises des Antilles vers les colonies du nord de l’Amérique.

Ensuite, l’influence européenne sur la Nouvelle-Orléans a eu des répercussions significatives sur sa population, façonnant l’identité culturelle et sociale de la ville de manière profonde. Les colons français, espagnols, et plus tard les immigrants allemands et irlandais, ont apporté avec eux leurs propres coutumes, langues et traditions. Cette diversité est encore visible aujourd’hui dans la richesse culturelle de la ville.

Ce mélange se caractérise aussi par des influences françaises et espagnoles qui, ont donné naissance à une culture créole spécifique. Ceux-ci ont joué un rôle central dans le développement culturel de la Nouvelle-Orléans. Par le biais de leur présence en Louisiane, les français ont renforcé la communauté acadienne, qui reste aujourd’hui active. Les acadiens sont une ethnie de l’Est américain s’étendant des rives du Mississippi jusqu’au Maine. Elle joue encore un rôle de nos jours puisque de nombreuses associations revendiquent son histoire, souvent mise de côté. L’influence européenne a également laissé sa marque sur la langue. Le français était la langue dominante à l’origine, mais une fois passée sous le contrôle espagnol, l’espagnol a également eu une influence notable. Toutes ces rencontres linguistiques aboutissent à la création d’un langage spécifique aux créoles louisianais. Cette influence a également touché le domaine religieux. L’Église catholique, principalement de tradition espagnole, a joué un rôle majeur dans la vie spirituelle de la population. Les célébrations religieuses et les festivals ont souvent des racines européennes et chrétiennes qui contribuent à la vitalité culturelle de la ville.

Les déplacements de populations en Amérique du Nord après la Guerre de Sept ans, on peut observer un grand mouvement de migrations vers La Nouvelle-Orléans.

Source: Université du Maine.


En somme, l’influence européenne a laissé un héritage profond et durable sur la population de la Nouvelle-Orléans, créant une mosaïque culturelle unique. Appuyée en grande partie par le commerce, elle est un port caribéen où son commerce est florissant, l’intégrant dans un contexte d’échanges de populations avec d’autres grands ports coloniaux. Par la même, la construction de la ville en elle-même dépendait du contact entre populations amérindiennes et françaises, conduisant au contact de deux civilisations différentes. Après l’arrivée des colons, le contact avec les tribus amérindiennes se poursuivit sur des bases économiques. Mais ces relations commerciales ont pris un tournant d’asservissement, où les colons ont causé de nombreux dégâts dans certaines tribus, comme avec la Guerre civile (1747-1750) chez les Chactas. Ce mélange culturel est aussi marqué par des vecteurs des normes sociales européennes, l’une d’entre elles étant l’architecture. Cette dernière a impacté la Nouvelle-Orléans, avec notamment le quartier du Vieux Carré, symbole de l’influence européenne outre-atlantique. Elle se démarque comme une ville où le charme incomparable réside dans son brassage culturel. Au fil des siècles, la ville a su fusionner les héritages français, espagnol, africain et créole pour créer une identité culturelle riche et diversifiée.

Bibliographie indicative:

  • Susanne BERTHIER-FOGLAR, La France en Amérique : mémoire d’une conquête, Chambéry, Université de Savoie: Laboratoire Langages Littératures Sociétés, 2009.
  • Nathalie DESSENS, “Du Sud à la Caraïbe : La Nouvelle-Orléans, ville créole”, E-rea : Revue électronique d’études anglophones, vol.14, Paris, Laboratoire d’Études et de Recherches sur le Monde Anglophone (LERMA), 2016.
  • Gilles HAVARD et Cécile VIDAL, Histoire de L’Amérique française, Paris, Flammarion, 2019.
  • Shannon LEE DAWDY, Building the Devil’s Empire : French Colonial New Orleans, Chicago, Chicago University Press, 2008.
  • Jacques MATHIEU, La Nouvelle-France : les français en Amérique du Nord, XVI-XVIIIe siècle, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2001.