Bernard Gui, né dans le Limousin, plus précisément dans la commune de La Roche-l’Abeille, en 1261, est une figure centrale de l’inquisition dans le Midi au Moyen-Age. Il embrasse les ordres à l’âge de 19 ans comme novice et entre dans un couvent de l’ordre dominicain. Il est membre de cet ordre religieux mendiant, aussi appelé ordre des prêcheurs, créé en 1215 à Toulouse. Il devient lecteur puis prieur d’Albi dix ans plus tard, puis de Castres, Carcassonne ou encore Limoges. Finalement, il est mandaté Grand Inquisiteur de Toulouse en 1307, et fera face aux grandes hérésies de son époque, le catharisme et l’hérésie vaudoise.
Durant sa carrière, il se consacre à la mémoire dominicaine en faisant œuvre d’hagiographe, c’est-à-dire en écrivant des ouvrages consacrés à la vie et à l’œuvre d’un ou de plusieurs saints. Il s’intéresse également à l’histoire des laïcs.
Nous allons ici nous centrer sur cette dernière partie de sa vie et présenter Bernard Gui comme un écrivain à l’envergure imposante.
Ses sources
Comme tous les historiens et les clercs de son époque, Bernard Gui se base surtout sur des sources antérieures, provenant en grande partie de ses prédécesseurs. Il constitue ainsi tout au long de sa vie et de ses voyages un corpus conséquent de sources. Son travail est donc marqué par d’incessantes corrections de ses ouvrages dont il existe pour la plupart plusieurs versions.
Le dominicain s’appuie principalement sur deux types de sources. Il y a d’abord les sources écrites, souvent reprises d’autres historiens. Il se base ainsi sur des chroniques universelles (celles de Guillaume de Nangis par exemple), des biographies et compilations de notices biographiques (la Vita Karoli d’Eginhard par exemple), quelques sources locales (textes de clercs méridionaux racontant l’histoire de lieux locaux) ainsi que des sources de première main. Ces sources sont souvent citées très imprécisément, voire pas du tout. On remarque aussi la présence de sources orales, c’est-à-dire de récits qui lui sont faits directement, surtout pour les événements plus proches de son époque.
Ses méthodes
Pour traiter et exploiter au mieux ses sources, Bernard Gui fait preuve d’une méthode très rigoureuse, qui passe par différents procédés. Il va ainsi faire de la compilation, une méthode très répandue à l’époque, liant les sources entre elles pour former des ensembles cohérents et complets. Ce procédé implique parfois de faire des choix entre des sources en désaccord. Il privilégie alors la source qui fait le plus autorité selon lui ou à défaut les cite toutes sans émettre de choix. Ainsi, il choisit de faire confiance à Eginhard plutôt qu’aux autres sources portant sur Charlemagne, car il considère comme plus fiable.
Bernard Gui est également un abréviateur, rédigeant des versions courtes de nombreux ouvrages, les siens mais aussi ceux d’autres clercs qu’il recopie, comme cela se faisait beaucoup à son époque. Ces textes abrégés sont présentés comme des sortes de manuels, plus pratiques et centrés sur quelques éléments, notamment la généalogie et la chronologie.
Enfin, comme le dit Anne-Marie Lamarrigue, une des grandes spécialistes du personnage, « Bernard Gui, s’il est mesuré, n’est pas neutre pour autant ». Le dominicain est influencé par ses fonctions ecclésiastiques et inquisitoriales ainsi que par ses origines méridionales. Cela se remarque dans le choix de ses sources et des ses sujets, mais aussi dans sa façon d’aborder certains desdits sujets. Il s’intéresse ainsi particulièrement aux croisades méridionales des rois de France en omettant de nombreuses autres batailles qu’ils ont menées.
Une œuvre historique importante
L’œuvre historique de Bernard Gui est, à bien des égards, ambitieuse pour son époque et constitue un corpus de grande qualité. Parmi tous ses ouvrages, on retiendra quelques œuvres particulièrement importantes et complètes.
Premièrement, on peut citer le Reges Francorum, la chronique des rois de France, dont il existe 6 versions rédigées entre 1312 et 1331. Ce texte, qui retrace les règnes de tous les rois de France depuis Clovis, est, malgré quelques erreurs, extrêmement précis dans les dates et les faits. Ainsi, il ne se trompe jamais de plus de 7 ans sur une date, ce qui est une prouesse pour l’époque. De plus, Bernard Gui innove en y réalisant le premier arbre généalogique connu des rois de France.
Il rédige également, sur un modèle similaire mais sans arbre généalogique, une chronique des comtes de Toulouse et une chronique des empereurs. On citera également Flores chronicorum (Fleurs des chroniques), une chronique universelle où il traite entre autres de l’histoire de France, et quelques ouvrages sur l’histoire de lieux locaux comme le monastère saint-augustin de Limoges.
Globalement, Bernard Gui se voit comme un chroniqueur, c’est-à-dire comme quelqu’un qui enregistre les faits dans l’ordre de leur succession, détaillant la continuité historique sans forcément d’analyse. Ce genre des chroniques est très répandu au Moyen-Age et Bernard Gui s’inscrit donc dans une longue tradition.
Son œuvre hagiographique
Pour autant on peut noter que Bernard Gui se livre également tout au long de sa vie à la rédaction d’œuvres hagiographiques, c’est-à-dire des ouvrages qui racontent la vie des Saints et qui sont destinés à la lecture en public dans le cadre de prédication par exemple.
Parmi ces œuvres hagiographiques de grande ampleur, on retrouve des catalogues comme Noms des apôtres écrit en 1313 ou les 72 disciples du Christ qu’il remaniera à plusieurs reprises pour plus de clarté. Également d’autres ouvrages écrits de sa main s’intéressent à des saints plus locaux comme le Traité sur les Saints du Limousin et un Catalogue des saints du diocèse de Toulouse qu’il remaniera en 1317 pour y intégrer des modifications survenues dans la géographie ecclésiastique.
Mais son œuvre hagiographique qui reste de loin la plus importante et mémorable est le Speculum Sanctorale, un immense légendier que Bernard Gui va composer durant les 20 dernières années de sa vie. Cet ouvrage tient une place à part dans les œuvres hagiographiques de l’époque de par sa singularité. En effet, malgré une bibliothèque dominicaine déjà bien riche, ce livre est commandé vers 1312 par Béranger de Landorre, un dominicain très influent. Cet ouvrage sera donc conservé dans la bibliothèque des dominicains et fera l’inventaire des fêtes dédiées au Christ, à la Vierge ainsi qu’à l’Église, aux apôtres, martyrs et confesseurs.
Les ouvrages pratiques
Enfin, Bernard Gui est l’auteur d’ouvrages pratiques tels que la Practica ou le Livre des sentences : la Practica est le premier manuel d’Inquisition, écrit entre 1319 et 1323, il porte sur les pratiques et les méthodes d’inquisition, il développe et analyse les différentes hérésies rencontrées mais également les sentences qui leur sont administrées (par exemple : l’élargissement, l’enlèvement des croix ou le pèlerinage).
Cet ouvrage nous permet de comprendre l’influence de l’Église ainsi que la lutte qu’elle entreprend contre les hérésies occitanes très localisées comme l’hérésie albigeoise. Cet ouvrage est donc une source clé qui sera utilisée et étudiée par les historiens.
Bernard Gui élabore un autre ouvrage célèbre de par son ampleur, le Le livre des sentences, destiné aux autres inquisiteurs. Il recueille les actes de 11 sermons généraux et ses 916 décisions de justice, pendant son mandat d’inquisiteur à Toulouse, contre 636 personnes (décisions individuelles ou concernant toute une communauté hérétique). Ces sermons révèlent l’objectif premier des Inquisiteurs occitans qui est la conversion des hérétiques et non l’anéantissement de l’individu. En effet, il semble plus sage et en accord avec la doctrine chrétienne pour l’Eglise que de pardonner les péchés plutôt que de sanctionner les hérétiques à la mort.
La postérité de Bernard Gui de par son œuvre et repris dans la culture populaire
Finalement, en tant que figure historique, Bernard Gui laissera un héritage non négligeable à la postérité. Pour ce qui est de son influence de nos jours, on peut distinguer son image populaire très négative d’un inquisiteur sans pitié, répandu notamment via des œuvres telles que le film ou le livre d’Umberto Eco, Le Nom de la rose dans lequel le personnage apparaît et est interprété à la limite d’une parodie de lui même comme la figure de l’inquisiteur par excellence, c’est à dire un inquisiteur sanguinaire et malfaisant. Outre cet exemple, on retrouve aussi une manifestation de cette vision grand public de la figure de Bernard Gui dans la statue en cire de lui se trouvant dans du musée de la torture de Carcassonne.
Outre son image dans la culture populaire, Bernard Gui a un impact encore aujourd’hui notamment avec l’héritage qu’il laisse derrière lui en tant qu’écrivain. En effet, ses travaux sont étudiés par les historiens spécialistes de l’inquisition et des hérésies occitanes: Bernard Gui est aujourd’hui devenu une source d’époque de premier choix.
Pour conclure, la figure de Bernard Gui a plusieurs aspects, son activité d’homme d’église et d’inquisiteur n’étant pas la partie de sa vie la plus mémorable et remarquable bien qu’elle soit importante. Ses écrits comme ses ouvrages sur les hérésies occitanes et l’inquisition, en firent, plus qu’un personnage historique, un historien marquant de son époque. Et enfin la postérité de son œuvre et sa redécouverte par le public, via le cinéma ou la littérature, font de lui une figure emblématique dans l’imaginaire collectif. Le travail d’inquisiteur de Bernard Gui et ses écrits lui ont permis de devenir une figure incontournable de son temps et de sa fonction, tant chez les spécialistes que dans la culture populaire.
Pour aller plus loin
BIGET Jean-Louis (études réunies par J. Théry), dans Église, dissidences et société dans l’Occitanie médiévale, CIHAM Editions, Lyon, 2020
LE FUR Didier, “L’inquisition, enquête historique : France, XIIIe-XVe siècle”, Librairie générale française, Paris, 2012
AMARGIER Paul, “Eléments pour un portrait de Bernard Gui”, dans Les Cahiers de Fanjeaux, n°16, Toulouse : Éditions Privat, 1981, p.19-37
PAUL Jacques, “La mentalité de l’inquisiteur chez Bernard Gui”, dans les Cahiers de Fanjeaux, Année 1981, p.279-316
LAMARRIGUE Anne-Marie, “Bernard Gui, 1261-1331 : un historien et sa méthode”, Honoré Champion, Paris, 2000
MONTAGNES Bernard, “Bernard Gui dans l’historiographie dominicaine” dans Les Cahiers de Fanjeaux, n°16, Toulouse : Éditions Privat, 1981, p.183-203