Au quart temps du xxie siècle, l’université et ses acteurs n’ont jamais été aussi présents dans la sphère publique. Les prises de positions des étudiants, des professeurs, des institutions dans les questions ultra-contemporaines, les attaques contre la recherche universitaire, auxquelles répond le mouvement Stand Up For Science, sont monnaie courante. Des évènements de médiation scientifique, désormais bien inscrits dans les agendas, font sortir régulièrement les chercheurs de leurs laboratoires (Nuit des chercheurs, Fête de la Science, Festival L’histoire à venir à Toulouse, Journées du Patrimoine, etc.). L’institutionnalisation des liens entre science et société a même été consacrée par la loi de programmation de la recherche de 2021 et la mise en action du programme SAPS, « Sciences avec et pour la société ». L’organisation assez récente de ces évènements et la structuration des liens entre une institution pluriséculaire et la société laissent supposer deux choses contradictoires : soit la pratique est devenue tellement habituelle qu’elle finit par être formalisée, soit la vénérable institution a du mal à sortir de ses murs et a besoin de l’aiguillon d’une institutionnalisation des formes relationnelles pour le faire.
C’est, en réalité, un débat ancien car les enjeux sont importants. Pour la sphère universitaire, ils sont multiples : apporter une réponse, via la formation et la recherche, aux besoins de l’environnement social, politique et économique et, ainsi, justifier les investissements consentis par l’État et les collectivités pour son existence ; bénéficier de l’apport matériel et humain de l’extérieur (les chargés de cours professionnels) et alimenter sa réflexion sur la mise à jour de ses programmes d’enseignement et de ses thématiques de recherche ; contribuer à la vie de la Cité et de la Nation de toutes les manières possibles. Pour la sphère extérieure les problématiques relèvent de la bonne formation des cadres dont elle a besoin ; de la possibilité d’accéder à de la recherche ou encore de la connexion de ses propres cadres avec le monde académique quand ils participent à l’enseignement. Ces enjeux ont beau être importants, les liens avec « l’extérieur » ne sont pas toujours bien acceptés, soit pour des raisons idéologiques (l’Université ne doit pas se compromettre avec le monde économique), soit pour des divergences portant sur l’organisation de la science (à l’Université la recherche fondamentale, aux entreprises ses applications). Du côté du monde extérieur, les relations avec le monde académique peuvent, par ailleurs, paraître très compliquées.
Le colloque « L’université hors-les-murs » propose de revenir sur la genèse des relations de l’université avec le monde extérieur à ses murs, du début du xixe siècle à la fin des années 1960, en France et à l’étranger. Son ambition est d’enrichir l’inventaire, la chronologie et l’analyse de ces relations, pour toutes les facultés (droit, lettres, médecine et pharmacie, sciences, théologie) et leurs dépendances (écoles, instituts, stations, bureaux, etc.), dans une optique d’histoire comparative entre pays, entre facultés, entre disciplines, en combinant approche « par le haut » et approche « par le bas ». Un intérêt particulier sera porté à la situation des facultés de province. La problématique internationale pourra apparaître mais ne fera pas l’objet d’un traitement spécifique, les relations internationales des universités constituant un champ très spécifique.
Le colloque s’inscrira dans la continuité des travaux déjà engagés, souvent menés dans des perspectives plus générales, comme celle sur l’organisation de la recherche. Jean-François Picard dans La République des savants (1990, p. 150) rappelait ainsi qu’au moment du colloque de Caen de 1956, Henri Longchambon avait demandé « qu’on mette les industriels dans le coup ». Nombre d’ouvrages dédiés aux problématiques de la production des savoirs ont aussi fait cas des universitaires impliqués (Gibbons, 1994, Pickstone 2000, Pestre, 2015). Les établissements d’enseignement supérieur non universitaires comme les Grandes écoles ou le Conservatoire national des Arts et Métiers ont fait l’objet de nombreux travaux. C’est le cas également pour certains segments des universités comme les instituts et notamment ceux des facultés des sciences (Birck et Grelon 2006 et 2007, Rollet et Choffel-Mailfert 2007, Charru 2024), ou certaines communautés scientifiques (Pestre 1992, Verschueren 2024). Les pistes soumises à la réflexion visent à les compléter en élargissant la thématique à toutes les facultés et en abordant cette question de façon plus générale.
Axes envisagés
- Formes institutionnelles et matérielles de la relation avec l’extérieur
- Les structures facultaires dédiées et assumées : instituts techniques, écoles pratiques, stations, bureaux de contrôle et bureaux d’études, etc., installées dans, ou en marge, des facultés.
- Les structures dédiées créées par des universitaires hors des facultés (comme certaines écoles de commerce).
- Les donateurs/financeurs extérieurs de l’université et leur apport matériel et financier (locaux, domaines, stations, subventions, matériel, etc.).
- Les relations avec les fabricants de matériel scientifique.
- La construction des relations avec l’extérieur et les initiateurs de ces relations.
- Les universitaires hors-les-murs
- Part et typologie des universitaires engagés à l’extérieur et formes de cet engagement : pluriactivité synchrone (comme dans le cas de universitaires médecins), expertise, appartenance à des commissions, études, etc.
- Modalités concrètes.
- Réseaux non-académiques : politiques, industriels, éditoriaux, confessionnels…
- Les champs relationnels
- Relations avec le monde économique (industriel, agricole, des services), le monde de la santé (humaine et animale), le monde éducatif hors-universités, les militaires, le monde confessionnel, le monde culturel, artistique, le monde de l’édition, la sphère du débat public et de la vulgarisation et le monde politique (hors engagements politiques et mandats quand ceux-ci coupent le lien avec l’université).
- Relations structurelles et/ou conjoncturelles (par exemple à l’occasion d’une guerre ou d’un évènement particulier).