Les Aveyronnais de Paris ( 1830 – 1960 )


Comme le disait Louis Bonnet à propos de l’ascension des Aveyronnais à Paris, leur but était de “ tondre l’univers et ramener la laine au pays”. Cette métaphore illustre parfaitement la volonté des Aveyronnais de monter faire affaire dans la capitale.
Nous avons choisi d’aborder une période allant de 1830 à 1960 afin de traiter à la fois des débuts de la migration, de son apogée et de sa continuité à la suite des deux guerres mondiales. Cette période de 130 ans est donc riche en histoire et en changements politiques qui ont influencé la migration des Aveyronnais vers Paris.


Vie dans les campagnes et attraction de Paris

carte po
Carte postale représentant un marché aux bestiaux en Aveyron

Le monde des campagnes est très touché par la révolution industrielle qui s’opère tout au long du XIXe siècle. En effet on observe une mécanisation progressive de ce dernier amené par l’avènement du moteur à explosion. Les machines permettent d’augmenter les rendements tout en diminuant le nombre d’Hommes nécessaire pour produire. On constate donc un phénomène d’exode rural, les gens partent vers la ville pour travailler dans un nouveau secteur : l’industrie. Autre facteur qui explique cet exode rural : les conditions de vie. En effet le monde agricole reste reculé et ne profite pas des améliorations que l’on peut constater en ville, d’autant plus que les familles sont nombreuses, certains tentent donc leurs chance à la capitale non seulement pour trouver un travail plus rémunérateur mais aussi pour profiter d’avancés en matière d’hygiène que l’on retrouve uniquement en ville. Enfin notons que l’avènement du chemin de fer au même moment à permis de faciliter les déplacements entre villes et campagnes, ce qui explique aussi pourquoi les Aveyronnais sont partis si nombreux tenter leur chance à Paris.
Paris est une ville au statut particulier car en plus d’attirer les classes riches de la population et les étranger grâce à son image de « ville lumière » ( notamment avec les expositions universelles de 1889 et 1900 ), la capitale attire aussi des populations plus modestes qui veulent trouver un emploi. Or Paris fourmille de petits métiers en tout genre et assure à tous les ruraux qui veulent travailler la possibilité de le faire dans les plus
brefs délais . En revanche, les conditions de vie et de travail sont tout aussi difficiles que dans les campagnes bien qu’elles soient totalement différentes.


Les premiers métiers


A leur arrivée, les bougnats commencent par effectuer des petits métiers, les trois principaux étant porteurs d’eau, charbonnier et tenanciers de petit commerce.
Le porteur d’eau était un métier ancien, qui remonte au XVIe siècle. Comme son nom l’indique, le métier de porteur d’eau consistait à transporter des seaux d’eau potable venant des dix fontaines d’eau potable de Paris jusqu’au immeubles et habitations. Au fil du temps le métier à évolué notamment avec l’arrivée du tonneaux ( qui facilite le transport ) avant de disparaître progressivement de la capitale au fur et à mesure du temps et de l’adduction à l’eau des bâtiments. Les premiers aveyronnais montés à Paris travaillaient également dans le milieu du charbon, d’où leurs surnoms « bougnats » venant du mot occitan « charbougnat » traduisait charbonnier. Leur métier consistait à commercialiser et livrer le charbon.
Petit à petit ( fin du XIXe, début du XXe siècle ) on note une certaine transition dans la forme que prennent les métiers des bougnats. On note souvent le même schéma social qui se reproduit, le bougnat monte à Paris, gagne de l’argent, épargne cet argent et acquiert avec ce dernier un local dans lequel ils montent un petit commerce et/ou un débit de boisson. Les femmes jouent alors un rôle important dans l’ascension des bougnats à Paris car ce sont elles qui tiennent le petit commerce quand le mari continue à travailler comme
porteur d’eau ou charbonnier. Quand le débit prend de l’ampleur on voit les hommes devenir des gérants et le débit de boisson devenir une brasserie ou un café. Les Aveyronnais en particulier font fortune dans le monde des cafés, dont certains sont devenus des grands cafés parisiens que l’on connaît toujours aujourd’hui.

Photographie d’une famille de bougnat devant un café-charbon parisien, début XXe siècle

Portrait type d’un bougnat


De par leur présence importante dans le Paris du XIXe siècle, les bougnats sont devenus un groupe social à part entière de la capitale, qui font partie des classes les moins riches de la société. Ils sont souvent caricaturés par les auteurs de l’époque comme des bourreaux de travail, peu instruits qui vivent en communauté ( généralement dans les XIe et XVIIIe arrondissements de Paris ) qui ne se mélangent pas, ce qui leur vaut de nombreuses caricatures par la presse de l’époque. On peut cependant dresser un portrait type du bougnat à la fin du XIXe siècle :
• Il vient de l’Auvergne
• Il effectue des travaux manuels dans les secteurs du charbon, ou de l’eau
• Il achète un local dans lequel il monte un petit commerce avec sa femme
• Certains font fortune dans le monde de la boisson ( cafés / brasserie )
• Il reste grandement attaché à sa terre natale


1880 – 1914 : Au plus fort de l’immigration


Entre 1880 et 1914 les Aveyronnais connaissent l’apogée de leurs ascension vers Paris. Ils ont réussi à se constituer en une véritable communauté dans la capitale. On peut identifier trois facteurs qui expliquent la réussite de ces derniers.
Premièrement, leur force de travail. Réputés pour être des travailleurs acharnés quels que soit le métier, les Aveyronnais ont su faire fructifier leurs efforts pour acquérir peu à peu du capital et le réinvestir. Autre facteur de réussite, la centralisation des métiers dans trois domaines : l’alimentation, le charbon et l’hôtellerie. Le fait de se concentrer uniquement sur ces trois axes à permis aux Aveyronnais d’exceller dans ces métiers, de se développer, de prospérer au point où vers les années 1900 il est presque obligé d’être Aveyronnais pour tenir un café à Paris. Dernier facteur de réussite, la création d’un réseau d’entraide unique entre terre natale et la capitale. Comme le dit Françoise Raison-Jourde dans son ouvrage La colonie auvergnate de Paris au XIXe siècle : « c’est à l’intérieur de l’amicale, transposition de l’unité villageoise, que s’équilibre ces rapports entre l’aventure personnelle et l’appui de la communauté. » En effet à partir des années 1880 ce n’est plus la structure de marché du travail parisien qui permet de comprendre cette ascension des Aveyronnais mais bel et bien le réseau qui s’est créé entre eux.
On note également que d’autres phénomènes de migrations ont eu lieu dans d’autres régions de France sur le modèles des Aveyronnais à Paris, c’est les cas de la Bretagne ou de la Savoie par exemple mais ces derniers entament leurs ascension vers la capitale seulement vers 1880, quand les Aveyronnais l’on entamé plus tôt, vers 1830. Cela leur à donc permis d’établir un fort réseau d’entraide dans la capitale, pour faire venir et
installer rapidement les nouveaux arrivants. Entre 1880 et 1914 ce réseau était particulièrement efficace et apparaît comme étant un facteur très net de la réussite des Aveyronnais à Paris. Ce réseau d’entraide s’accompagne d’un système financier solide. Avant la Première Guerre mondiale, on retrouve à échelle réduite ( villages ou amicales ) de nombreuses transactions financières entre aveyronnais restés au pays et aveyronnais de Paris. Dans les faits les plus riches, gérants de grands cafés, aident financièrement les nouveaux arrivants et se positionnent comme de grands prêteurs d’argent. On peut aussi citer deux grandes familles aveyronnaises qui sont devenues de grands acteurs dans le monde des cafés : la famille Richard et la famille Tafanel. Ces derniers ont fait fortune dans le commerce de la boisson en gros et en plus de fournir à eux deux l’entièreté de la capitale en boissons, ils se positionnent aussi en temps que préteur d’argent pour les nouveaux arrivants. Via un réseau d’entraide fort qui se concrétise par un système financier solide lui aussi il semble donc que Paris réussissent aux Aveyronnais. Ayant fait fortune ils se positionnent aussi comme des préteurs importants. Paris semble donc réussir aux Aveyronnais.


Colonie Auvergnate et Ligue Auvergnate

Portrait de Louis Bonnet

Cependant l’ancrage des Aveyronnais dans la capitale est à lire en parallèle avec l’implantation des Auvergnats au même moment à Paris. Le terme Auvergnats renvoie ici, non pas à tous les habitants de l’Auvergne comme on la connaît aujourd’hui, mais aux habitants de l’Aubrac auxquels on ajoute la Corrèze, la Haute-Loire, le Lot, l’Aveyron, le Cantal et la Lozère. L’Auvergne est donc une région plus étendue ce qui permet aux Auvergnats de se constituer en une vaste colonie sur Paris, le tout en ayant un certains poids politique car on retrouve de nombreux auvergnats aux plus hautes fonctions de l’Etat mais aussi engagé dans la politique de la ville de Paris ( conseil municipal, conseil général de la seine, tribunaux de commerce ). En 1882 Louis Bonnet lance le journal L’Auvergnat de Paris, un journal consacré à l’Auvergne qui fait le lien entre terre natale et Paris, ce dernier est un lien fort pour structurer la colonie. Mais l’élément véritablement révélateur de la grande influence des Auvergnats aux sein de la capitale est la création, par Louis Bonnet, en 1887 de la Ligue Auvergnate. Cette dernière est une organisation apolitique dont le but est de s’offrir une protection mutuelle ( plus plus forts aident les plus faibles ), de faire des actions de bienfaisance entre compatriotes et surtout de « défendre les intérêts du pays natal et de la colonie ».
Les Auvergnats adhérant à la ligue bénéficient de nombreux avantages tels que : des consultations médicales et judiciaires gratuites dispensées par des médecins ou des avocats auvergnats pour des auvergnats ; une réduction sur les prix des médicaments pour tous les sociétaires dans les officines tenues par des Auvergnats, la distribution chaque année de l’annuaire de la ligue, la possibilité d’être logé et de trouver un travail au sein de la colonie, le prêt d’argent entre Auvergnats. La ligue Auvergnate apparaît donc comme une véritable instance dans Paris et a permis à de nombreux auvergnats de monter s’installer à la capitale. Cependant les Aveyronnais ont toujours eu une place à part dans cette ligue car bien qu’ils y adhèrent ils gardent tout de même des liens très forts entre eux et font fortune dans leur domaine de prédilection, les cafés de Paris.

Les deux Aubrac


On estime qu’il y a environ la moitié de la population de l’Aubrac qui est montée à Paris au tournant du XXe siècle, dans son Enquête ethnologique sur les Aveyronnais de Paris, Georges Henri Rivière va même jusqu’à employer l’expression des « deux Aubrac », l’un étant situé dans le Massif Central, l’autre étant un Aubrac reconstitué dans la capitale française. Ces deux zones pourtant éloignées géographiquement sont en réalité
très proches socialement, car les liens sont forts entre la capitale et la terre natale.
De façon générale, on constate un même schéma migratoire des Aveyronnais vers Paris. Étant donné qu’ils ne souhaitent pas rester toute leur vie à Paris, la migration est temporaire. Ainsi, chaque génération est marquée par un flux continu d’Aveyronnais entre leur terre natale et la capitale. Généralement, le schéma est le suivant :
• Les jeunes parents donnent naissance à un enfant à Paris après être venus travailler une fois mariés.
• Les enfants sont alors envoyés en Aubrac pour y être élevés par les autres membres de la famille, souvent les grands-parents.
• Une fois que les enfants ont atteint l’âge adulte, soit environ 18/20 ans, ils reviennent à Paris afin, à leur tour, d’aider leurs parents dans leur affaire, puis de la reprendre une fois ces derniers âgés.
• Enfin, quand vient l’âge de la retraite, ils retournent en Aubrac et ainsi de suite.
Cela explique qu’on ne qualifie pas les Aveyronnais de Paris comme étant Parisiens car ils passent une bonne partie de leur vie loin de la capitale. En gardant ce lien avec la terre, on observe également un développement économique en Aubrac. Les travailleurs à Paris envoient régulièrement des fonds à leurs proches. De ce fait, une amélioration des infrastructures économiques, éducatives et sociales a lieu en Aubrac.

L’hyperpuissance des Amicales


Le véritable lien entre ville et campagne se fait au moyen de nombreuses amicales. Les amicales sont des associations regroupant des membres d’un même village qui s’associent sur Paris pour l’entraide et la convivialité.
C’est en 1900 que la première Amicale d’Aveyronnais voit le jour à Paris, sous le nom de “Société amicale et philanthropique des originaires du Canton de Sainte-Geneviève”. À peine quatorze années plus tard, ce sont une centaine d’Amicales qui existent. C’est à partir de 1901 avec la loi portant sur la liberté d’association que la création d’Amicales va être en constante augmentation. Les liens étant déjà existants bien avant la mise en place de ces Amicales, leur succès ne fut pas étonnant. Chaque Amicale disposait ainsi de lieux de
réunion propres, d’assemblées, et d’un banquet annuel. Le rôle des Amicales est également renforcé par leurs contacts avec diverses organisations, dont la plus connue : La Ligue Auvergnate.
La vocation conviviale des Amicales des Aveyronnais de Paris se traduit par un moment fort : le banquet. Le patois était de mise, leur permettant ainsi de se sentir comme chez eux, dans une ville ou parler patois aux clients donnait l’impression de se moquer d’eux. Les premiers bals furent organisés par Louis Bonnet, créateur de la Ligue auvergnate. D’après ses mots, ces bals étaient le lieu ou pouvait être exalté « l’orgueil
d’être Auvergnat ». Dès le premier bal, le succès fut important notamment grâce au parrainage de L’Auvergnat de Paris, très populaire auprès des Aveyronnais installés à Paris.
La Première Guerre mondiale marque une période d’inactivité des Amicales et certaines d’entre elles disparaîtront. Cependant, une fois la guerre finie, le regain d’activité fut tel que de nouvelles Amicales sont apparues. Une des nouvelles missions des Amicales était alors d’organiser des quêtes pour construire des monuments aux morts dans l’ensemble de l’Aubrac.


Des cafés connus et reconnus

Discussion entre les gérants de la brasserie Lipp, du café de Flore et du café des Deux-Magots,

Pour citer quelques exemples d’affaires qui sont aujourd’hui des symboles du café parisien ouvert par des Aveyronnais : les cafés de Flore et des Deux Magots et la brasserie Lipp. Dont on retient le témoignage de Marcellin Cazes qui commença comme porteur d’eau puis garçon de café avant de reprendre la brasserie Alsacienne et en faire une institution dans le monde des bistrots parisiens ( encore aujourd’hui ). La recette du succès des Aveyronnais, comme Mr Cazes, c’est non seulement des patrons exigeants, très peu compatissant avec leurs salariés et leur faculté à créer une ambiance dans leurs affaires. Les gens viennent manger mais aussi profiter d’une atmosphère chez Lipp mais aussi au café de Flore et aux Deux- Magots .

Pour conclure, les Aveyronnais de Paris ont su profiter des dynamiques migratoires du XIXe siècle pour mener à bien un exode rural et s’immiscer dans une branche spécifique du secteur du travail parisien, le monde des Cafés. Cependant ils ont gardé des liens forts avec la terre natale et l’on retrouve malgré la succession des générations un attachement au village natal. A l’heure actuelle l’ascension vers la capitale n’est plus le fait seulement des Aveyronnais mais l’on retrouve toujours un fort réseau d’entraide des Aveyronnais à Paris.


“ A Paris il est Aveyronnais, en Aveyron il cherche à monter à Pari
s »


Bibliographie :

Ouvrages
RAISON-JOURDE Françoise, La colonie Auvergnate de Paris au XIXe siècle, Paris, Ville de Paris commission des travaux historiques, 1976, 400 p.
CHODKIEWICZ Jean-Luc, L’Aubrac à Paris, une enquête d’ethnologie urbaine, Paris, CTHS,
2014, 230 p.
BAROU Jacques, « L’alimentation. Une ressource économique et identitaire pour les immigrés », Hommes & Migrations, n° 1283, 2010, p. 12-23.

Émission Radio
MAYAUD Jean-Luc, “ Une histoire de nostalgie – les aveyronnais et le mal du pays”, La fabrique de l’histoire, Paris, France Culture, 2006.

ENGELEN Océane L2

VERLAGUET Clara L2

STAINTON Rudy L1