Si vous vous promenez régulièrement autour de la Cathédrale Sainte Cécile, vous aurez sûrement remarqué cette statue en pierre, figure féminine de ce qui semble être une simple bergère sur le baldaquin ouest, cette statue porte en réalité le nom de Sigolène. Devenue une sainte régionale, elle aurait accompli divers miracles près du monastère qu’elle fonde dans l’albigeois.
Les premières fouilles archéologiques sur la commune de Lagrave dans Tarn, entre Gaillac et Albi, débutent en 1820 : le mobilier excavé est mis au jour par un agriculteur souhaitant exploiter à nouveau ses terres. C’est bien plus tard grâce au Comité Départemental d’Archéologie, qu’une ancienne crypte, celle du Troclar (Du latin torcular signifiant pressoir), est dévoilée contenant de nombreux sarcophages, dont celui de Sainte Sigolène. Ces fouilles ont permis la découverte de plusieurs vestiges datant du Haut Moyen-Âge (395 – 987), mais l’appui principal de ces découvertes archéologiques est la vita de Sainte Sigolène. Ainsi bien que ces diverses sources nous indiquent de précieuses informations nous nous sommes demandés en quoi la figure de Sigolène et sa crypte sont-ils représentatifs de la vie au Haut Moyen-Âge en albigeois ?
Premièrement nous nous demanderons à travers les mythes de son histoire qui était Sigolène pour ensuite étudier plus en détail les fouilles du Troclar et enfin comprendre la société médiévale qui l’entourait.
Au VIème siècles le Royaume Franc que l’on connaît est coupé en deux entités territoriales distinctes : La Neustrie et l’Austrasie avec pour capitale Metz dont est issue la famille de Sigolène ainsi proche du pouvoir.
Albi à la fin du VIIème devient austrasienne faisant de cette région une zone disputée notamment pour ses routes commerciales, c’est pourquoi la famille de Sigolène est missionnée de s’installer à Albi pour asseoir la domination austrasienne.
Quant à Sigolène, elle est mariée jeune à un notable de la région. Elle prend ainsi part dans cette mise en place du pouvoir familial puisqu’il est important qu’une famille qui arrive de la capitale Metz ainsi considérée comme étrangère puisse affirmer son pouvoir. En plus de cela elle fonde un monastère féminin au Troclar étendant donc leur emprise au domaine religieux puisque son ascension est plus largement l’ascension de sa famille dans un maillage tant social que politique et religieux.
Dans le récit de sa vie dite son hagiographie ou vita il est écrit qu’elle fait voeux de chasteté dès les premiers temps de son mariage et convainc son époux de respecter sa vie pieuse. Le rôle de l’historien ici n’est pas d’étudier la véracité de la légende mais de l’analyser pour comprendre la société médiévale.Elle est devenue une sainte populaire en accomplissant divers miracles comme la création d’une fontaine avec de l’eau bénite guérisseuse, elle aurait ainsi guérit des lépreux ou permit à un infirme de retrouver l’usage de ses jambes.
La présence de monnaies antiques permet de penser que Sigolène s’est installée sur un lieu déjà vénéré tout comme les fragments de sarcophages en marbre provenant des Vème et VIème siècle ainsi antérieurs.
De plus, la céramique retrouvée cuite au four, sans décor, témoigne de la transition entre des poteries mérovingiennes du Vème siècle et le mobilier attribué aux VIII – Xè qui quant à lui revêt des ornements. Mais la prudence s’impose d’autant que cet habitat a donc connu plusieurs occupations rappelant l’origine franque de la famille de Sigolène dont les tombes recouvrent souvent des nécropoles plus anciennes comme à Tournai ou Krefeld-Gellep (1).
La reconstitution de fouilles nous permet de comprendre que la nécropole comptait trente deux sarcophages d’une certaine régularité dans l’alignement et dans l’orientation de la troisième zone de fouille appelée chronologiquement Troclar III (2) alors que le désordre règne dans la disposition de ceux de Troclar I qui contiennent parfois les restes de trois corps superposés : résultat de leur réutilisation et déplacement le plus souvent pour obtenir une place près de celui de la sainte .
Quant au monastère il est installé sur la villae soit le domaine agricole du père de Sigolène. Cela permet donc d’accélérer la construction de ce dernier. Le monastère aurait été divisé en cabanes individuelles dites laures où les moniales entretiendraient une vie seule mais les réfectoires et dortoirs communs aux autres monastères de cette époque comme Altaripa sur les rives du Thoré permettent de penser ici que seule Sigolène s’isolait quotidiennement. En effet, la retraite volontaire des servantes du Christ était matérialisée par l’enceinte en bois qui encadre les bâtiments dont il est difficile d’évaluer les dimensions précises tout comme le nombre de moniales qui y vivaient. Grâce à l’hagiographie de Sigolène, nous savons qu’il existait également à l’extérieur du monastère au moins un petit hospice pour accueillir les malades et pèlerins desquels prenait soin l’abbesse grâce aux plantes médicinales. En réalité, ces incertitudes quant à l’architecture sont dûes aux étapes de constructions successives dont les fouilles ont fait connaître une partie des vestiges de la première église sous le sol de l’abside et de la nef d’une plus récente. Ce petit édifice abritait temporairement la sépulture de Sigolène avant d’être amené dans l’église romane à l’extérieur du monastère. En somme, nous ne pouvons affirmer la présence de deux églises seulement !
Enfin à propos de la diffusion du culte de sainte Sigolène à son époque, l’édifice dut rester modeste mais les multiples provenances des monnaies byzantine datant de 870, semblent indiquer la renommée croissante des miracles. Au début du XIIè, après le transfert d’une partie des reliques dans l’église Saint-Salvy puis dans la cathédrale d’Albi, la crypte est arasée et scellée par un béton de chaux sous le sol d’une dernière église. Désormais à Troclar, seules quelques traces de peintures sur le chevet de la confession subsistent pouvant évoquer des motifs de l’époque romane (VI – IXè) dont des draperies stylisées malheureusement abîmées par la conservation négligée au début des fouilles.
Enfin, Les fouilles témoignent donc d’une occupation plus ancienne d’origine gallo-romaine sur le site de Lagrave, grâce à de nombreux objets retrouvés sur place, comme des outils, ou encore des céramiques. Mais cette occupation s’avère antérieure, remontant jusqu’au Paléolithique, comme l’attestent les terrasses alluviales, vastes plaines accolées à une vallée. De plus, Lagrave pouvait facilement communiquer avec Toulouse, Montans et Albi grâce au cami fèrrat (chemin « ferré », c’est-à-dire solidement empierré), situé tout proche et qui reliait ces trois grandes agglomérations.
Au haut Moyen Âge les villages s’apparentaient plus à un regroupement de bâtiments d’habitations, de lieux de réserves et de champs. Malgré l’importance de la religion pour les sociétés du Moyen Âge, les agglomérations n’étaient pas polarisés autour des édifices religieux, les bâtiments étaient composés d’une structure en bois et de murs en torchis.
Dans ces unités d’habitations on retrouvait des silos pour la conservation du blé, ce sont de grandes fosses en formes de bouteilles enterrées et fermées hermétiquement pour favoriser la conservation. Les agglomérations possédaient des fours, qui servaient aux habitants à faire cuire leur pain, partie importante de leur alimentation. La majorité de leur alimentation était ainsi composée de céréales et de viandes, provenant de leurs élevages ou de la chasse. Le site du Troclar a, quant à lui, prouvé la présence de l’exploitation du Tarn par les coquillages et restes de poissons retrouvés.
Enfin, pour l’agriculture bien que ressource majoritaire, est complétée notamment par une activité textile ayant retrouvé sur le site le matériel nécessaire à la tonte des moutons et au tissage de la laine.
Enfin, en albigeois existent des organisations politiques plurielles, au haut Moyen-Âge, l’Occitanie était composée de différentes entités politiques comme des duchés et des comtés, ainsi que de nombreuses seigneuries administrées par les seigneurs locaux. L’équilibre des pouvoirs ne pouvait se faire sans l’intervention des alliances matrimoniales et des rivalités politiques.
Les monastères, qu’ils soient féminins ou masculins, ne servaient pas uniquement de centre religieux. Ils avaient également une forte dimension politique. En effet, lorsque les monastères étaient construits par des familles aristocratiques, ceux-ci servaient avant tout à asseoir le pouvoir politique de la famille dans les territoires alentours du monastère. Par conséquent, les femmes se trouvant dans le monastère, pour les monastères féminins, jouaient ainsi un rôle d’éducation pour les jeunes de sa famille, mais l’abbesse à la tête du monastère, et par extension sa famille à l’origine de la construction du monastère, avait un rôle de protection des septa secreta, c’est-à-dire des lieux saints du monastère, qui pouvaient contenir des reliques.
Dans le cas de Sainte-Sigolène, son monastère au Troclar a été construit sur des terres familiales, avec l’aide financière de son père notamment. Sa famille, originaire de Metz, vient d’arriver à Albi et à besoin d’asseoir son influence sur leurs terres qui étaient alors inoccupées.
En somme, à travers la personne de Sigolène et sa famille s’exposent les relations géopolitiques médiévales témoignant des liens entre religion, politique et travail exprimés dans la tripartition de la société rythmée par le calendrier agro-liturgique.
Quant à son monastère, il représente bien le Haut Moyen-Âge en manque de sources laissant malgré de nombreux efforts des incertitudes sur les diverses constructions ecclésiales et leur datation.
(1) Nécropole mérovingienne située en Allemagne sur un édifice romain antérieur
(2) Dénomination chronologique des fouilles de I à IV :
1971 : l’extension du cimetière communal révèle 15 sarcophages et une majeure partie de l’église gothique qui recouvrait la première crypte classé Monument historique en 1994.
1972 – 1974 : découverte sur une rive du Tarn d’un habitat semi-enterré détruit par des constructions contemporaines.
1974- 1986 : sondage sur la zone de Troclar I révélant un bâtiment arasé et 17 sarcophages.
1993 – 1995 : au nord de Troclar I la reprise des fouilles révèle un regroupement de six habitats entourés de 81 silos.
Bibliographie
• ALLIOS Dominique, La céramique médiévale en Midi-pyrénées (VIe – XIIe siècles), Université Toulouse II, 1998
• AUDISIO Gabriel (dir.), Saint et sainteté, Aix-en-Provence, Rives nord-méditerranéennes, 1999, 76 p.
• BIGET Jean-Louis, Église, dissidences et société dans l’Occitanie médiévale, Lyon, CIHAM, 2020, 946 p.
• CABOT Marie-Claude, CABOT Pierre, POUSTHOMIS-DALLE Nelly, REAL Isabelle, Sainte Sigolène, sa vie, ses églises au Troclar, Toulouse, Archéologie du Midi médiéval, 1997, 340 p.
• DUBY Georges, KLAPISCH-ZUBER Christiane, PERROT Michelle, L’histoire des femmes en Occident, Paris, Perrin, Tempus, 2002, 704 p.
• ECO Umberto, Art et beauté dans l’esthétique médiévale, Paris, Librairie générale française, Le livre de poche, 2002 [1986], 316 p.
• LE GOFF Jacques, La civilisation de l’occident médiéval, Paris, Flammarion, Champs Histoire, 2008 [1964], 374 p.
• VICAIRE Marie-Humber, La femme dans la vie religieuse du Languedoc, Toulouse : Editions Privat, Cahiers de Fanjeaux, 1988, 396 pages
Bernel Manon, Tragné Emma, Belaygue Ana et Monmouton Guillaume