“Moi, avec les barons de ma terre dont j’ai éprouvé la valeur, avec ma compagnie et mes intimes, avec les Toulousains, en qui j’ai toute confiance, et avec mon frère Bertrand, qui s’y est bien préparé, j’irai vous secourir avant que vous n’ayez guère eu à soutenir la lutte, de sorte qu’à la fin du combat l’honneur nous en restera.”
-Raimondet (futur Raymond VII) avant la bataille de Baziège en 1219.
Les comtes de Toulouse ont fait partie des grands féodaux du royaume de France qui ont marqué durablement l’Histoire de France, notamment la dynastie des Raimondins qui inscrivit son nom dans l’Histoire avec Raymond IV de Saint-Gilles, l’une des grandes figures de la première croisade. C’est cette dynastie qui fut au centre de la tourmente des croisades des albigeois. Mais avant ces événements les comtes ont connu une ascension semée d’embûches.
De la création du comté de Toulouse au VIIIe siècle jusqu’à son rattachement définitif au royaume de France au XIIIe siècle, le comté a traversé des périodes d’indépendance fluctuante, vis-à-vis du roi de France, au cours de ces cinq siècles d’existence. La volonté d’indépendance des comtes de Toulouse est due à de multiples causes endogènes et exogènes.
D’un comte bénéficiaire à un comte héréditaire (778 – 1094)
Le comté de Toulouse est créé par Charlemagne en 778 afin d’organiser le sud de l’Empire carolingien. En effet, les territoires ayant été conquis sous le règne de Pépin III, Charlemagne doit sécuriser le Midi de l’actuelle France. La création du comté s’accélère avec la bataille de Roncevaux en 778 qui se solde sur un massacre des forces carolingiennes. Ce dernier choque la cour impériale et Charlemagne crée le comté de Toulouse la même année. Corson est le premier des comtes de Toulouse. C’est un guerrier franc qui a reçu cette charge pour les services qu’il a rendus pendant la conquête de l’Aquitaine sous Pépin III. Le comte est donc nommé directement par l’empereur et doit rendre des comptes à ce dernier lors d’assemblées. Pour illustrer ce propos, on peut noter que Corson s’est fait révoquer par Charlemagne en 780 pour défaillance.
Portrait imaginaire de Charlemagne par Albrecht Düer en 1513.
Le comté possède une importance stratégique notable car cette entité politique protège aussi bien des Arabes que des invasions des Gascons. L’action du second comte de Toulouse : Guillaume de Gellone démontre le rôle du comté. Le comte repousse en 800 l’invasion d’Hicham Ie qui avait conquis Gérone en 793. Le quatrième comte : Bérenger de Toulouse maintient quant à lui l’ordre en Aquitaine perturbé par Loup III Centulle en 819. Depuis 781, l’Aquitaine est un royaume dirigé par un des fils de l’empereur comme Louis le Pieux. Les comtes de Toulouse ont pour mission de protéger l’Aquitaine et par extension les fils des empereurs qui s’exercent au pouvoir dans ce royaume. Les comtes de Toulouse peuvent aussi servir en tant que Missi Dominici comme Bérenger, le quatrième des comtes, qui contrôla le comté de Reims en 829.
Avec le capitulaire de Quierzy-sur-Oise en 877, les comtes de Toulouse, alors en guerre dynastique entre les Raimondins et les Guilhemides, bénéficient de l’hérédité du titre qui avait commencé sous Frédelon qui devient comte en 849 grâce à sa fidélité. En effet, Frédelon ouvre les portes de Toulouse à Charles II pendant la révolte de Pépin II. Cet événement mène à l’exécution de Bernard de Septimanie.
Du fait de la guerre civile qui opposa les fils de Louis le Pieux, à savoir Charles le Chauve, Lothaire 1er et Louis le Germanique, à cause du partage de l’Empire inégal de l’Empire entre les successeurs. Les aristocrates du monde franc ont gagné en autonomie et en puissance en échange de leur soutien dans la guerre, notamment en Francie Occidentale où ils sont de plus en plus mécontents. En effet, sous le règne des empereurs Charlemagne et Louis le Pieux, le soutien des seigneurs inféodés était récompensée par le don de terres et de richesses obtenues par les conquêtes réalisées par l’Empire, sauf à la suite de la guerre civile. Le manque de conquêtes résulte inévitablement en une pénurie de rémunération des seigneurs Francs en échange de leur fidélité et des concessions sont alors à faire. Sous le règne de Charles II, né le 13 juin 823, dit “le Chauve”, dernier fils de Louis le Pieux, Roi des Francs puis fait empereur d’Occident par le pape Jean VIII en 875, est remis en question par l’aristocratie impériale. L’empereur dépassé par le mécontentement de ses vassaux perd petit à petit du terrain sur le plan politique et subit des pressions constantes de ces derniers. À la fin de son règne en 877, l’empereur cède devant ses vassaux en promulguant alors le capitulaire de Quierzy-sur-Oise. Dans ce contexte, Frédelon, premier comte de Toulouse de la dynastie raimondine, devient comte après avoir repris Toulouse des mains de Bernard de Septimanie en 849, au nom de Charles le Chauve avec qui ils se sont alliés contre le roi Pépin II d’Aquitaine qu’ils trahissent. Frédelon en profite alors pour faire prendre de l’autonomie au comté. Cet acte assure ainsi la place de la dynastie dans la ville avec l’approbation royale, le roi ne pouvant pas leur refuser leurs initiatives de par l’importance stratégique du comté de Toulouse dans le royaume de Francie Occidentale. Charles II est donc contraint de maintenir leur entente envers le comte de Toulouse.
L’apogée des Raimondins (1094 – 1194)
Les comtes de Toulouse parviennent à mettre en place une stratégie matrimoniale efficace qui leur permet de consolider leur influence dans la région. La maison des Raimondins forge des alliances avec les comtes et vicomtes locaux, et y renforce son autorité. Raymond IV épouse la fille de Bertrand, marquis de Provence. La stratégie matrimoniale des comtes de Toulouse a aussi pour but de se concilier avec la papauté qui devient une grande alliée des comtes de Toulouse, et plus particulièrement lors de la première croisade contre le monde musulman de 1095-1099.
Les comtes de Toulouse entreprennent la construction ou l’entretien de tout un réseau castral, notamment aux abords de ses frontières ou à proximité de domaines de vassaux perturbateurs. Les comtes n’hésitent pas à réaménager les châteaux de leurs anciens rivaux une fois leurs domaines rattachés au comté, comme ceux des comtes de Mauguio ou des vicomtes de Nîmes. Le XIIe siècle voit naître une recrudescence de constructions de lieux de résidence et de palais dits palais-forteresse qui reflètent ainsi le caractère itinérant de la cour des comtes. Château-Narbonnais est le nom donné au château médiéval le plus prestigieux des comtes de Toulouse : un édifice imposant accompagné de tours et d’un donjon pouvant servir de prison.
Les désirs de conquêtes du comte de Toulouse, couplés avec les revendications du comte de Barcelone sur la même région, alimentent une rivalité grandissante entre les deux puissances méditerranéennes. Gilbert Ier de Gévaudan, comte de Provence, est assassiné en 1111 et meurt sans héritier. Sa femme, Gerberge de Provence, offre la main de sa fille aînée au comte de Barcelone, Raimond-Bérenger III, lui cède ainsi le comté de Provence. Alphonse Jourdain, fils de Raymond IV, revendique la succession de Gilbert Ier en sa qualité de comte de Saint-Gilles. Il affronte Raimond-Bérenger III. Après quelques succès initiaux, Alphonse se voit contraint de battre en retraite jusque dans la ville d’Orange où il est assiégé par les hommes de Raimond-Bérenger III. Le siège est inefficace, et le statu quo force les deux camps à s’entendre sur un partage de la Provence. En 1125, un traité fait d’Alphonse le nouveau seigneur des baronnies du nord de la rivière de la Durance. Tandis que Raimond-Bérenger III s’empare du comté de Provence au sud.
À la mort de Raimond-Bérenger III, une nouvelle guerre éclate. Raimond-Bérenger IV de Barcelone et Bérenger Raimond de Provence se disputent l’héritage de leur père. Alphonse s’allie avec Raimond de Baux, seigneur de Marignane, et un groupe important de seigneurs provençaux. Ce dernier prend le dessus sur son ennemi avec l’appui des flottes génoises et pisanes. Bérenger Raimond meurt lors d’une attaque sur Mauguio. Victorieux, Alphonse Jourdain repart à Tripoli en août 1147. Il y meurt un an plus tard. Désorganisés par le décès de leur grand allié, les révoltés provençaux sont durement réprimés par Raimond-Bérenger IV.
Raymond V, fils d’Alphonse Jourdain, hérite du comté de Toulouse en 1148. Quatre années plus tard, Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre et duc de Normandie, se marie avec Aliénor, fille du défunt duc Guillaume X d’Aquitaine. Il devient donc duc d’Aquitaine le 18 mai 1152. Le comté de Toulouse étant féodalement intégré au duché d’Aquitaine, Henri II déclare une guerre ducale à l’encontre de Raymond V. Il s’allie à Raimond-Bérenger IV et de nombreuses familles dont les Trencavel. Face à ce péril, Raymond V épouse Constance, sœur du roi de France Louis VII. Cette alliance matrimoniale empêche toute intervention du roi d’Angleterre en territoire français. De plus, Louis VII rappelle à Henri II ses obligations féodales dues à son titre de duc de Normandie. Henri II ne renonce pas à ses revendications mais ne trahit pas son roi.
Le déclin progressif de l’autorité des comtes de Toulouse (1194 – 1271)
Le comte de Toulouse Raymond VI met un terme définitif à la grande guerre méridionale en se réconciliant avec ses anciens ennemis par la voie diplomatique. Il passe d’abord un accord avec Richard Cœur de Lion qui accepte de lui rendre les territoires qu’il avait conquis en échange du mariage du comte avec sa sœur Jeanne d’Angleterre. Le comte arrive au bout de plusieurs rencontres avec le souverain Pierre II d’Aragon à apaiser les relations et même à signer une alliance défensive. Cet apaisement avec la maison de Barcelone est en partie possible car les enjeux autour du comté de Provence deviennent moins vitaux. Cette politique s’inscrit dans la dynamique de centralisation du pouvoir comtal amorcée depuis Raymond IV.
Mais cette prospérité prend fin lorsque l’Église accuse Raymond VI de laisser l’hérésie se propager. En 1203, il promet au légat du pape, Pierre de Castelnau, qu’il va se débarrasser des hérétiques du Midi. Cela ne convainc pas la papauté qui l’excommunie en 1207. Le meurtre du légat en 1208 n’arrange pas la situation puisque cela pousse le pape Innocent III à lancer un appel à la croisade le 10 mars 1208 : c’est le début de la croisade des albigeois. Le comte Raymond VI montre sa bonne volonté en faisant pénitence à Saint-Gilles en 1209. La même année le comte essaye de régler le conflit diplomatiquement en se rendant à la cour du roi de France et à Rome pour plaider sa cause, sans succès. Pendant ce temps, Simon de Montfort s’empare de Carcassonne et des autres domaines de la famille Trencavel. Raymond VI se résout alors à prendre les armes pour lutter face aux croisés. Il parvient à les repousser ainsi qu’à reconquérir une partie de l’Albigeois mais est défait devant Castelnaudary. La croisade prend un tournant décisif pour le comte pendant la bataille de Muret le 12 septembre 1213, lorsque son allié le roi d’Aragon y trouve la mort. Vaincu, Raymond VI laisse le chef croisé entrer dans Toulouse.
Raymond VI se retire alors en Aragon tandis que son vainqueur se proclame comte de Toulouse. Mais la partie n’est pas encore finie pour les Raimondins; en effet, l’héritier de Raymond VI, Raimondet, futur Raymond VII, est toujours dans le Midi et la famille comtale possède encore des soutiens comme la ville d’Avignon et plusieurs vassaux de Provence. Raimondet s’empare d’abord de la ville de Beaucaire en 1216, Simon de Montfort tente de là lui reprendre mais en vain. Une révolte éclate alors dans Toulouse qui empêche Simon de Montfort de regagner la ville. Pire, elle ouvre ses portes à Raymond VI le 13 septembre 1217. Toulouse accueille celui qu’elle considère comme son comte légitime, en exil depuis trois ans. Simon de Montfort tente de reprendre la ville lors d’un siège. Ce dernier prend fin le 25 juin 1218 date à laquelle Simon de Montfort meurt sous les murailles de la ville.
Après un conflit sanglant, Amaury de Montfort, nouveau meneur de la croisade après la mort de son père, quitte le Languedoc et lègue ses droits sur le Midi au roi de France. Raymond VII, dans la continuité de son père, envoie un ambassadeur auprès du pape Honorius III qui parvient à convaincre le souverain pontif de cesser la croisade. La réconciliation avec l’Église s’officialise lors du Concile de Montpellier en 1224. Raymond VII prend pour engagement de lutter contre l’hérésie cathare dans sa région.
Mais en 1225, l’Eglise considère les efforts du comte comme insuffisants. Il est excommunié par le pape qui relance la croisade. Le roi Louis VIII part lui-même en croisade. Raymond VII n’a désormais plus aucun soutien de ses alliés, qui lui préfèrent la fidélité de leur roi plutôt que de leur pair. Poussé par des habitants lassés de tant d’années de guerre, Raymond VII est contraint de capituler en 1229. Alphonse de Poitiers, prince de sang royal, épouse la fille de Raymond VII, Jeanne. C’est ainsi que le titre de comte de Toulouse se rattache au Royaume de France suite à la mort de la dernière raimondine, après près de quatre siècles d’existence.
Henri Darbas L2; Pierre Quinet L2; Alexandre Garcia L1; Ronan Lecoq L1