Friedel Bohny-Reiter était une infirmière du Secours suisse aux enfants qui a travaillé volontairement au camp de Rivesaltes de novembre 1941 à novembre 1942. Lors de son séjour elle tenait un journal intime, publié de nombreuses années plus tard, à l’initiative de l’historienne Michèle Fleury-Seemuller. Elle y décrit son quotidien et donc ce qu’elle voit dans le camp. Elle présente à plusieurs reprises les conditions de vie de ce camp : les personnes qui souffrent de la faim c’est-à-dire les cachectiques, le froid, la pluie qui pénètre dans les baraques et aussi les difficultés pour chausser les enfants dont les souliers sont usés. Elle se plaint également du fait que les gens extérieurs au camp ne comprennent pas ce qui s’y passe réellement :
« C’est dur de ne pas pouvoir aider, mais nous n’avons pas de chaussures. Est-ce que notre Conseil fédéral donnera suite à notre demande pour des habits ? Si seulement beaucoup de ces gens pouvaient jeter un coup d’œil dans notre camp ! »
Friedel Bohny-Reiter a participé dans l’envoi d’enfants et de femmes enceintes à la maternité d’Elne, afin qu’ils soient dans de meilleures conditions pour leur santé, ce dont témoigne M. Charles Latsmann qui a séjourné dans cette maternité.
Friedel Bohny-Reiter ne souhaitait pas publier son journal comme l’explique Michèle Fleury-Seemuller :
« Friedel Bohny-Reiter a beaucoup hésité à donner son accord à la publication. Elle doutait de l’intérêt de ses écrits, elle les trouvait trop personnels, trop sentimentaux. Finalement elle y a consenti avec quelques coupures. »
On voit bien qu’elle n’avait pas l’intention de transmettre son témoignage, que sa représentation du camp est personnelle et que ce journal lui servait à assimiler ce qui se passait autour d’elle. Pourtant, ce journal est une source à part entière qui permet d’avoir une représentation du camp par une personne qui y vit et qui est plutôt neutre dans le conflit. Cette représentation se transmet ici par le témoignage, mais les photographies peuvent aussi donner une représentation de ce camp.
C’est le cas de Paul Senn, photographe suisse engagé par « la division presse et radio de l’armée suisse » lors de la Seconde Guerre Mondiale, a effectué plusieurs reportages, dont un sur les camps d’internement en France. Les deux photographies suivantes ont été prises dans le camp de Rivesaltes. Sur toutes les photographies on peut observer que les personnes sont couvertes de plusieurs couches de vêtements, ont des couvertures ou sont à proximité de poêles, ce qui correspond au climat décrit par Friedel Bohny-Reiter. On peut également voir qu’il y a un réel souci d’esthétisme surtout sur les deux photographies suivantes : elles sont
bien cadrées et travaillées, l’éclairage est bien choisi. On voit que ces photos n’ont pas été prises en cachette, elles sont travaillées et la plupart des gens regardent l’objectif et lorsque ce n’est pas le cas, on devine la mise en scène. D’où l’importance de connaître l’auteur de la photographie, ce qui permet de comprendre qu’il ne s’agit pas de propagande mais d’un reportage.
Contrairement à la photographie ci-dessous, dont l’auteur est inconnu, ce qui pose problème pour comprendre la raison de la prise de cette photographie. La scène est mal cadrée et semble avoir été photographiée depuis l’intérieur d’un bâtiment. La personne qui l’a prise n’est pas réellement sortie à découvert. L’auteur voulait-il laisser une trace de cette déportation ? Voulait-il se souvenir des événements ? L’historien ne peut que émettre des hypothèses concernant l’identité du photographe : un déporté ou encore une personne travaillant dans le camp, dans tous les cas une personne qui se cache et qui se hâte pour photographier la scène.
Enfin, pour ce qui est de la mémoire de ce camp et donc participer à sa représentation dans la mémoire collective, Denis Peschanski explique qu’il s’agit d’un lieu complexe. Dans le cadre de la construction du mémorial de Rivesaltes, il explique la difficulté lié à la mémoire de ce camp :
« Comment on arrive à construire un projet unique, avec des histoires plurielles et des mémoires plurielles. […] C’est un défi extrêmement compliqué à relever, sauf à essayer de trouver, au-delà d’une unité de lieu, une unité historique ».