Nationalisme, xénophobie et antisémitisme

Pendant la première moitié du XXe siècle, le nationalisme se développe de manière importante dans différents pays d’occident. On désigne par nationalisme un courant de pensée, une idéologie politique, qui met en avant les caractéristiques propres d’une nation (histoire, culture, langage, …), les valeurs traditionnelles d’un pays, etc. Des éléments qui sont élevés au rang d’arguments pour prôner la supériorité d’une nation sur toutes les autres. Le nationalisme est, au XXe siècle, souvent accompagné de xénophobie. La xénophobie est l’hostilité systématique face aux étrangers, ceux qui ne sont pas de la même nation que soi. Les étrangers sont considérés comme une menace, il faut donc réagir de manière à ce qu’ils ne nuisent pas à la sécurité de la nation et de ses habitants.

Ces deux notions existent bien avant le XXe siècle, dans le cas de la France, l’affaire Dreyfus en 1894 démontre la puissance de l’antisémitisme, une forme extrême de xénophobie qui a pour cible la population juive. Le capitaine Dreyfus est, pour certains, un Juif, un étranger et donc un ennemi de la nation. La crise économique de 1929 va permettre à ces idéologies de se développer, les étrangers sont renvoyés chez eux tandis que l’identité nationale alors en crise est consolidée par différents moyens : la propagande dans les médias, ou encore, les événements culturels comme l’exposition coloniale de 1931.

Le 3 septembre 1939, la France entre en guerre aux côtés du Royaume-Uni contre les trois nations de l’axe : l’Allemagne nazie d’Hitler, l’Italie fasciste de Mussolini et l’Empire du Japon de Hiro-Hito. De mai à juin 1940 près de deux millions de soldats sont fait prisonnier et les populations civiles fuient l’avancée des troupes allemandes. La débâcle de juin 1940 paralyse le pays : les administrations, les services publics ne fonctionnent plus. Le 14 juin, les troupes allemandes arrivent à Paris. Dans la nuit du 16 au 17 juin, le maréchal Pétain forme son gouvernement, le 22 du même mois l’armistice entre la France et l’Allemagne est signé, le gouvernement du maréchal s’installe à Vichy le 2 juillet, huit jours plus tard de nombreux députés et sénateurs donnent les pleins pouvoir au maréchal Pétain pour écrire une nouvelle constitution, c’est à ce moment-là que la IIIe République est abolie et l’État français se met en place sous le contrôle du gouvernement de Vichy.

Le gouvernement va développer un programme politique complet dans lequel le nationalisme et la xénophobie ont une place très importante notamment dans le domaine législatif et culturel. Pour cela, il a à sa disposition différents outils : les médias (radios, journaux, actualités) contrôlés par la censure et le bureau de propagande, des organisations telles que des milices, des légions de combattants volontaires, mais aussi de véritables institutions telles que des syndicats ou le soutien d’une partie de l’Église catholique.

Nous allons maintenant étudier la place de la xénophobie et du nationalisme dans la France du début du XXe siècle et plus particulièrement sous le régime de Vichy. Nous allons tenter de comprendre comment les Français se représentent eux-mêmes, comment se représentent-ils les étrangers qui menaceraient la nation durant l’entre-deux-guerres jusqu’à la fin du régime de Vichy ? Quelles en sont les implications ? Pour cela, il faut appréhender la manière dont le régime de Vichy construit l’image d’un « bon français » et le concept d’Anti-France. Puis étudier le mode d’expression de la xénophobie et du nationalisme en France de la fin de l’entre-deux-guerres à Vichy, le rôle des médias, des partis politiques, des églises, sans oublier les forces opposées au régime. Et enfin, nous verrons comment le régime crée un État xénophobe et nationaliste à partir de ces éléments.

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Nationalisme et xénophobie dans l’entre-deux-guerres

Des idéologies qui imprègnent la France des années 30

Le nationalisme se définit comme une idéologie politique qui tend à mettre en avant une identité nationale, basée sur des liens qui les unissent (langue, culture). La théorie nationaliste affirme la prédominance de l’intérêt national par rapport aux intérêts des classes et des groupes qui constituent la nation, et qui se veut indépendant de la communauté internationale. Le nationalisme des années 1930 se voit doté d’un antisémitisme montant qui renforce l’idée d’une identité nationale unique et en crise. L’antisémitisme, qui s’était relativement apaisé en France après la première Grande Guerre, reprit donc une importance incontestable dans les mentalités des années 1930. Le rejet des Juifs était un sentiment très répandu, mais rarement exprimé.

Le succès rencontré par le numéro spécial de Je Suis Partout consacré aux Juifs, qui dût être réédité à trois reprises, confirmait l’accroissement de l’antisémitisme en France (1). En 1936, la victoire du Front Populaire et la formation d’un gouvernement présidé par Léon Blum radicalisèrent davantage l’expression de la haine dans les rues de la capitale et des grandes villes. Lorsque l’ombre de la guerre se profila sur la France, ce sont les Juifs qui en furent désignés comme responsable, accusé de pousser au conflit pour se venger d’Hitler. Ainsi, l’expression « sale Juif » devenait d’un usage banal.

 

Il est sûr que l’antisémitisme trouvait préférentiellement ses troupes à droite et à l’extrême-droite. Mais il faut souligner qu’un tiers des délégués avaient jadis appartenu à des partis de gauche, dont 21,2 % au parti communiste. La critique s’enracinait dans les partis eux-mêmes. Les communistes, rivaux du parti socialiste au sein de la classe ouvrière, concentraient leurs attaques contre les Juifs de la SFIO, surtout Léon Blum, ce « Juif bourgeois » qui s’était opposé à eux lors du congrès de Tours. Même au cœur de la SFIO, parmi les propres amis de Blum, se développaient aussi des attaques antisémites. Mais au-delà des états-majors politiques, régnait aussi, dans le « peuple de gauche » un antisémitisme plus ou moins spontané. Pour tout un petit peuple d’ouvrier, d’artisans, d’employés, le nom mythique de Rothschild représentait le grand capital, les profits énormes, un monde égoïstement fermé. Et les autres Juifs participaient de ce monde. Les syndicats de toute tendance multiplièrent les attaques contre ces concurrents détestés.

Cependant, la montée de l’antisémitisme ne s’arrêta pas en si bon chemin, puisqu’il alla jusqu’à contaminer la communauté juive elle-même ; ainsi trouvait-on des Juifs antisémites, inscrits à l’Action Française, ou autres organisations d’extrême-droite. L’antisémitisme avait pour ainsi dire gagné toutes les portions et communautés du pays, y compris celle qui était sa principale victime. Si même les Juifs se mettent à haïr les Juifs, il peut être intéressant de se demander qui ne les déteste pas, voire les défends.

La défense des Juifs contre la montée de l’antisémitisme dans les années 1930

Malgré le succès rencontré par l’antisémitisme et l’engouement de la population pour cette pensée, la communauté juive et ceux qui la soutiennent, bien que moins virulent, n’en furent pas moins nombreux. Parmi les différentes aides, on retrouve notamment des structures créées par des Juifs français, comme la Ligue Internationale Contre l’Antisémitisme, qui constituait une aide précieuse dans la lutte contre l’antisémitisme.

Quoiqu’il en fut, les activistes et les modérés étaient au moins d’accord sur un point : les deux groupes se félicitaient qu’Israël n’était pas totalement isolé dans sa lutte contre l’antisémitisme (2). Le parti communiste accordait également sa sympathie aux Juifs en tant que victimes de la bourgeoise capitaliste et du fascisme. La défense d’Israël rallia même à sa cause des membres de ligues d’extrême-droite, comme ce fut le cas pour le colonel de La Rocque, chef des Croix de Feu. En dehors des milieux politiques, la cause des Juifs était défendue avec conviction par quelques-unes des personnalités les plus représentatives de l’Église de France. Le progrès de la formation biblique, grâce notamment aux travaux du Père Lagrange, attirait l’attention sur les origines juives du christianisme et contribuait à éveiller la sympathie en faveur d’Israël.
Du côté protestant, l’aide ne fut pas moins importante. Les réformés, particulièrement nourris de culture biblique, se montraient très sensibles à l’étroite parenté spirituelle judéo-chrétienne. Une partie de la haute société témoignait ouvertement, elle aussi, une certaine bienveillance envers les Juifs
. Il s’agissait plus d’une entente dans les rapports et d’une absence de préjugés qu’une prise de position pleinement assumée. L’on peut donc constater que si les attaquants des Juifs sont nombreux, leurs défenseurs ne le sont pas moins. Mais la haine d’Israël conduira la France à sombrer dans une haine plus vaste, ne s’en prenant non plus seulement aux Juifs, et ne se basant plus sur la religion, mais à tous types d’étrangers, quels qu’ils soient, selon des critères biologiques : c’est l’ébauche d’un racisme français.

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(1) REBATET Lucien, Je Suis Partout, 1er avril 1938.

(2) BATAULT Georges, Israël contre les nations, Paris, 1939, p. 96.

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