Le système concentrationnaire français (1940-1945)

Les années trente marquent un tournant dans l’histoire européenne avec la mise en place d’États fascistes soutenant des politiques raciales. Peu après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, on assiste déjà à la création des premiers camps allemands comme celui situé à Dachau (mars 33), qui accueillent opposants politiques, juifs, tziganes, homosexuels et plus tard même des prisonniers de guerre. Tous ne servent pas le même but : si certains sont destinés à des fonctions d’internement, d’autres s’inscriront plus tard, lors de la guerre, dans l’engrenage mortel de la Solution finale.

La défaite de la France face à l’Allemagne nazie (juin 40) provoque un bouleversement politique avec le partage du territoire en deux zones distinctes : une zone occupée sous autorité allemande et une zone dite « libre » jusqu’en 1942, avec un gouvernement autoritaire sous l’égide de Pétain. Ces profonds changements viennent renforcer un climat de xénophobie et d’antisémitisme déjà développé durant l’entre-deux-guerres, et qui amènent la France à participer activement à la déportation résistante. Des camps d’internement puis plus tard, de déportation sont créés dans la zone libre comme dans la zone occupée : chaque camps à sa fonction et ils n’accueillent pas tous les mêmes populations. A des degrés différents, les camps français ont contribué à la solution finale. C’est dans ce contexte que nous consacrerons nos recherches aux camps ; antichambres de la déportation, en essayant de mettre en lumière la logique et le fonctionnement de la déportation en France de 1940 à 1944 et en particulier du point de vue du Sud-Ouest. Nous verrons quels sont les acteurs de ce mécanisme de déportation, puis la logistique mise en place pour organiser cette déportation vers les camps Allemands, et enfin quelle fut l’influence des camps du Sud-Ouest dans la déportation.

Dès la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne (3 septembre 1939) suite à l’invasion de la Pologne, le gouvernement français ordonne l’internement de tous les ressortissants de puissances ennemies qui rejoignent alors les camps français d’avant-guerre1 déjà peuplés par des réfugiés étrangers, souvent républicains espagnols. Cependant, la lourde défaite de l’armée française l’année suivante bouleverse le régime politique du pays qui est alors divisé en deux lors de l’armistice de juin 1940. D’une part, une zone nord occupée, constituée des trois cinquièmes du territoire, et placée sous la double autorité de l’Allemagne nazie et du régime de Vichy. D’autre part, une zone sud dite « libre » administrée exclusivement par le régime de Vichy (jusqu’en novembre 1942, date à laquelle elle passe elle aussi sous la double autorité franco-allemande).

Le temps de l’internement : 1940-1941

 

Dans l’urgence qui caractérise la mise en place des camps français durant les premiers temps de l’Occupation, les camps de prisonniers de guerre prévus en cas de victoire française à la Bataille de France sont rapidement transformés en camps d’internement. Le 3 septembre 1940, seulement deux mois après l’installation de Pétain au pouvoir, une loi permettant l’enfermement par mesure administrative de tous les individus « dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique » (1) est édictée. Celle-ci vise les opposants politiques au régime de Vichy et plus particulièrement les communistes, interdits de parti politique et préoccupation majeure de l’État inquiet de leurs liens avec l’URSS stalinienne. Dans la continuité une loi paraît le 4 octobre 1940 prévoyant l’enfermement des « étrangers de race juive (2)» et marque ainsi le début des emprisonnements pour des motifs raciaux sur le territoire français. Grâce à ses deux lois, le gouvernement de Vichy peut désormais arrêter arbitrairement les personnes – ou communautés – de son choix, provoquant ainsi le remplissage des camps déjà existants ainsi que le lancement de la construction d’une centaine d’autres sur tout le territoire. Si, dans les premiers temps, ce sont majoritairement des personnes de nationalité étrangère qui sont internés – diaspora juive polonaise par exemple – par la suite, il n’y aura plus de distinction avec les ressortissants de nationalité française. De plus, alors qu’en 1940 les arrestations se font de manière individuelle, l’achèvement dans l’urgence des infrastructures nécessaires au cours de l’année 1941 signe le début des rafles de masse dont la première a lieu le 14 mai en région parisienne. Le gouvernement suit une logique d’exclusion dont l’internement massif est l’instrument : à la fin de 1941, les camps français sont saturés.

L’année 1942 marque une rupture radicale dans l’histoire concentrationnaire française. A partir de cette année-là, les camps d’internements situés sur le territoire français entrent dans l’engrenage de la Solution Finale. Ils deviennent des étapes-relais, « camps de transit », vers les camps de concentration – ou d’extermination – d’Europe de l’Est. Certains camps de la zone Nord se « spécialisent »dans la déportation de détenus comme par exemple le camp de Royallieu-Compiègne (majorité de déportés politiques) ou celui de Drancy (Juifs), véritables plaques tournantes des convois envoyés à l’étranger. Quant à ceux qui sont détenus dans le Sud, ils sont envoyés dans les camps du Nord en attendant d’être également déportés.

Composé de Juifs internés provenant de ces deux camps, le premier convoi français part pour Auschwitz le 27 mars 1942. Au total, plus de la moitié des déportés Juifs de France sont transférés durant le deuxième semestre 1942. Exception faite pour le cas particulier de l’Alsace-Moselle, territoire annexé au Reich à l’armistice, où un camp de concentration nommé Natzweiler-Struthof est créée dès les premiers moments de l’occupation et dont la prise de fonction a eu lieu un an auparavant en mai 1941. Il s’agit du seul camp situé sur le territoire français actuel dont le titre officiel était « camp de concentration ».

Contrairement à la croyance populaire, la déportation débute en zone « libre » avant l’invasion de celle-ci par les allemands le 11 novembre 1942 comme l’illustre la carte ci-dessus. Une collaboration est entendue au début de l’été 1942 entre le gouvernement vichyste et les cadres nazis au sujet de la déportation des détenus de la zone « libre ». La France passe donc d’une logique d’exclusion à celle d’une logique de persécution qui conduit à la mort de près de 80 000 juifs en l’espace de deux ans.

Entre 1941 et 1944, près de 84 % de juifs français transitent par Drancy, camp sous contrôle allemand mais dont l’administration est française. Etape-clef du système concentrationnaire en France, ce « Camp des juifs » est un symbole de la déportation.

A l’origine conçu comme un projet architectural dans la banlieue parisienne au début des années trente, le site doit accueillir les premiers gratte ciels destinés à servir de logements sociaux. La crise de 1929 et ses répercutions économiques ralentissent le chantier ; le projet est alors revu à la baisse et sert de caserne provisoire aux gardes républicains mobiles (GRM – corps de gendarmerie). C’est dans ce contexte que, dès sa victoire sur la France, l’Allemagne réquisitionne le site directement et le transforme en camp de fortune pour les prisonniers de guerre. Il accueille par la suite au mois de décembre 40 de nombreux civils britanniques et canadiens sur le motif qu’ils sont ressortissants de puissances ennemies aux Reich. Grâce aux témoignages (3) d’anciens prisonniers et du rapport de la Croix-Rouge, on constate que le niveau de vie du camp augmente tout au long de l’année 1941 au fur à mesure qu’il est correctement équipé.

Tout cela change en août 1941, date à laquelle le camp est vidé de ses prisonniers et de ses installations puis transformé en camp d’internement pour les juifs raflés en région parisienne. Ci-dessous, on peut voir une partie de l’arrivée en masse au camp de Drancy par autobus de ces victimes.

Parqués à Drancy dans l’urgence, et en raison d’un différent administratif entre Allemands et Français quant au budget, les internés n’ont ni nourriture ni mobilier à leur arrivée au camp. Moins d’un mois après sa mise en service, le 1er septembre 1941, pas moins de 4 279 juifs sont recensés. Entassement des personnes à 50 ou 60 par chambre, état de sous-nutrition (la faim est l’élément revenant le plus dans les lettres (4) malgré la volonté de rassurer les proches) et vivant sous une discipline militaire extrême, les conditions d’internement sont très dures. Une partie de la gestion est déléguée à certains internés. Se met alors en place une hiérarchie pyramidale à l’effet pervers : ceux occupant des postes à responsabilités usent et abusent de leur pouvoir au détriment de leurs codétenus dans l’optique de se protéger en s’attirant les bonnes grâces de l’autorité allemande. On peut de ce fait établir une corrélation avec les Kapos juifs d’Auschwitz comme le décrit Primo Levi dans son œuvre Si c’est un homme. Ce phénomène semble très commun dans l’univers concentrationnaire.

En 1942, de par sa position, le camp de Drancy est directement intégré au plan de la Solution Finale. A partir de juillet 1942, c’est principalement par cette «étape » que passent les déportés juifs de France en transit pour les camps de concentration/extermination de l’Est. On estime qu’environ 63 000 (5) sur 76 000 déportés juifs sont ainsi passés par Drancy, soit à peu près 84%. De toute la France, les détenus des camps d’internement sont envoyés à Drancy afin d’être déportés généralement moins d’un mois après leur arrivée. Au total, 63 convois quittent le camp entre mars 1942 et août 1944 avec en moyenne 1000 personnes à bord. A l’approche des armées alliées de Paris, le 17 août 1944 part le dernier convoi en emportant avec lui Alois Brunner, responsable du camp, ainsi que plusieurs SS fuyant la capitale. Le lendemain, le 18 août, la Croix-Rouge investit le camp et commence à procéder aux libérations des 1386 internés restants (6). Le dernier interné de Drancy est évacué le 20 août 1944, date à laquelle le « Camp des juifs » cesse d’opérer.

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(1) Denis Peschanski, La France des camps, Paris, Gallimard, 2002, p. 169
(2) « Les ressortissants de race juive pourront, à dater de la promulgation de la présente loi, être internés dans des camps spéciaux par décision du préfet du département de leur résidence » Article premier, loi 4 octobre 1940
(3) Poznanski, Peschanski, Drancy, un camp en France, Paris, Fayard, 2015, 297 p
(4) Lettres de Drancy, Paris, Tallandier, 288 p
(5) Référence : http://www.memorialdelashoah.org/index.php/fr/memorial-de-drancy/le-memorial-de-la-shoah-a-drancy
(6) Drancy, un camp en France, Peschanski, Paris, Fayard, 2015

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