Image du camp du Vernet d’Ariège

Dès sa reconversion en camp d’internement administratif, le gouvernement de Vichy s’appliqua à donner au camp du Vernet le rôle de prison pour « les ennemis de la nation, dangereux pour la sécurité nationale » soit 4500 individus allemands, communistes, étrangers et bien d’autre. Ce camp s’avéra vite être un des plus difficiles du sud de la France, ce que Pierre Laval justifia en ces termes :

« Il n’y a pas lieu de faire régner, dans les camps de Gurs, d’Argelès, de Rivesaltes ou des Milles, une discipline aussi stricte qu’au Vernet où se trouvent des repris de justices et des extrémistes ».

L’image donnée par le gouvernement fut donc celle d’une prison renfermant de dangereux individus sévèrement réprimés.

Arthur Koestler, un ancien interné en 1941 en témoigna en décrivant ce camp comme étant « le plus dur de France, les conditions étaient en dessous de celles des camps nazis ». Il attesta ensuite de l’état boueux du sol, du manque de nourriture, du travail à fournir, trop dur pendant les périodes de grands froids, des couchettes à même le sol,… Ces conditions de vie difficiles furent citées de nouveau par Rosa B. dans une lettre interceptée par la police. Elle rappelait l’état délabré des baraques :

« les hommes sont entassés dans des baraques sans chauffage et sans éclairage. […] Ils sont entortillés dans des guenilles ou la vermine peut grouiller ».

Apparaît aussi dans sa lettre une plainte concernant le manque de nourriture :

« Ils ne reçoivent que leur ration de pain et, deux fois par jour, une soupe d’eau claire où nagent quelques rondelles de navets ou de carottes ».

Elle fit remarquer que se trouvaient dans ce camp pas seulement des soldats polonais mais aussi leurs familles, marquant une première incohérence entre les paroles du gouvernement et ce qu’il s’y passait vraiment. Nous pouvons voir que les témoignages de Arthur Koestler et Rosa B. participent ici à donner une représentation dure et sévère du camp du Vernet.

Les dessins de Carlos Duchatellier, qui était lui aussi un interné, reflétèrent l’aspect inhumain du camp. Le dessinateur réalisa nombre de ses œuvres qu’après sa sortie du camp et ne les publia pas, ce fut une amie à qui il les avait confié qui le fit. Nous découvrons donc ici un but différent de celui du témoignage d’Arthur Koestler qui souhaitait montrer à la population ce qu’il vécu vraiment dans le camp. Carlos Duchatellier dessina pour extérioriser son vécu et non pour dénoncer. Le but de l’image dans cette situation était de mettre sur papier son traumatisme, comme pour s’en débarrasser.

Cadavre dans  le camp du Vernet d'Ariège, dessin de Carlos Duchatellier

Cadavre dans le camp du Vernet d’Ariège, dessin de Carlos Duchatellier

Sur le dessin ci-dessus, la maigreur du cadavre reflète la malnutrition dont les prisonniers souffraient mais aussi le manque d’hygiène puisque le défunt demeure dans le camp et non enterré ou brûlé.

Hommes dans le camp du Vernet d'Ariège en train de se réchauffer autour d'un poêle, dessin de Carlos Duchatellier

Hommes dans le camp du Vernet d’Ariège en train de se réchauffer autour d’un poêle, dessin de Carlos Duchatellier

Sur le dessin ci-contre, nous pouvons voir des hommes regroupés autour d’un poêle et revêtus de manteaux montre quant à lui les difficultés énoncées par Arthur Koestler qui dénonçait les conditions de vie difficiles dues au froid.

La photographie ci-dessous dont l’auteur reste inconnu dénonce quant à elle une tout autre réalité. Nous y voyons des hommes apparemment bien nourris et vêtus ce qui contraste avec les deux dessins de Carlos Duchatellier qui reflétaient la mort et le froid présents dans le camp. Mais plusieurs détails font penser à une photo de propagande, notamment le cadrage précis et la netteté de l’image, éloignant l’hypothèse d’une photo prise par un interné qui l’aurait faite dans la précipitation pour ne pas être vu. De plus, le fait que tous les hommes regardent l’objectif montre bien qu’ils savaient que la photo allait être prise, éliminant définitivement la possibilité d’une photo réalisée sans que personne ne le sache. Rappelons le, les appareils photos étaient interdits dans les camps.

Détenus, probablement des Juifs nés à l’étranger, au camp d’internement de Vichy au Vernet. France, 1940 ou 1941

Détenus, probablement des Juifs nés à l’étranger, au camp d’internement de Vichy au Vernet. France, 1940 ou 1941

En conclusion, la représentation du camp du Vernet fut d’abord celle d’un camp de prisonniers dangereux, et ce n’est qu’avec des témoignages, des photographies ou des dessins qu’une image inhumaine de ce camp vit le jour. Mais il faut bien différencier le but de ces sources. Certaines avaient pour but de dénoncer, mais d’autres étaient le moyen pour ses auteurs d’extérioriser leur vécu, d’exorciser ces événements.

Pour aller plus loin…