Attitudes adoptées par les préfets

Des coopérations préfectorale variées

Les préfets sont nommés par le chef de l’État et sont chargés d’appliquer les politiques du gouvernement à l’échelle territoriale. Sous Vichy, leurs pouvoirs se sont considérablement accrus, notamment depuis la loi du 3 septembre 1940 sur la mise en place de l’internement administratif. Une des missions du préfet est de tenir au courant le gouvernement sur la situation du territoire sur lequel ils ont été affectés. Ils s’impliquent donc dans la collaboration avec l’Allemagne nazie. Parmi leurs nouvelles fonctions, ils ont pour obligation de ficher, puis par la suite d’arrêter, les Juifs, les étrangers et tout autres opposants au régime de Vichy vivant sur leur zone d’affectation. Les préfets sont donc les principaux bras armés du gouvernement et sont le pilier du fonctionnement de sa politique. Le fichage des personnes allant à l’encontre des intérêts de l’État a permis de faciliter l’arrestation, l’internement, puis la déportation à partir de 1942.

Un personnel préfectoral dévoué au régime de Vichy (Archives départementales de Montpellier : ADH, 111 W 16)

Pourquoi ont-ils accepté de faire cela ?

Auraient-ils accepté par peur d’être sévèrement punis par le chef d’État tel que cela est indiqué dans l’article 3 de l’Acte constitutionnel n°7 du 27 janvier 1941 dont les sanctions vont de la privation des droits politiques jusqu’à l’internement administratif ? Tel que le fut Léon BLUM (1872-1950) qui a voté contre les pleins pouvoir de Pétain.

Ceci est une possibilité, mais cet argument ne suffit pas, puisque malgré un maintien efficace de l’ordre, certains préfets à l’instar de Jean Chaigneau ont tout de même choisi le camp de la Résistance. Ce dernier était préfet du département des Alpes-Maritimes d’avril 1943 à mai 1944.

Quelles sont donc les autres raisons qui les ont conduits à collaborer?

Correspondance entre le chef de la Police des questions juives et le préfet régional de Bretagne (source : http://www-v5.pedagogie.ac-nantes.fr)

Tout d’abord, cela peut s’expliquer par le fait qu’ils ont peur de se confronter à l’autorité d’une puissance qu’ils pensent victorieuse et bientôt maître de l’Europe. Mais ça peut être aussi par pure idéologie nazie, c’est le cas de certains préfets tel que Marc-Eugène Chevalier, préfet des Alpes-Maritimes.

Cette collaboration s’opère par différentes tâches telles que nous pouvons le voir avec le préfet Marc-Eugène Chevalier qui participe au recrutement de la Légion des volontaires français. Unités qui partiront sur le front russe, sous l’uniforme allemand. Il y a également des préfets qui, conformément aux lois Vichyste, vont organiser des rafles semblables à celle organisées par Jacques Henry entre août 1942 et février 1943 dans le département de la Creuse. Il y a d’autres actes de collaboration tels que l’arrestation de tout opposant aux politiques du Gouvernement, la dénonciation de résistants présents dans les postes de l’administration.

Quant aux préfets ayant refusé de collaborer, quelles sont les motivations qui leur ont permis de franchir le pas vers la Résistance ? Quant aux résistants, qu’est-ce qui contrairement aux préfets qui ont collaboré par incitation, les ont encouragé à résister malgré les risques ?

Ceci est dû en partie au fait que leurs convictions, leur idéologie sont plus fortes que la peur d’être détenu, ou de mourir. C’est le cas par exemple du préfet Jean Chaigneau qui sera arrêté par la Gestapo en mai 1944 pour actes de résistance et pour avoir enfreint le serment de fidélité au chef de l’État. Ces idéologies peuvent être celles de la Liberté ou du Patriotisme. Ces résistances sont dirigées contre l’oppression allemande, l’antisémitisme, voire même contre le régime de Vichy. Mais cela ne suffit pas forcement à ce qu’une personne ait le courage de résister, il y a aussi le contexte et l’entourage du préfet. Par exemple dans un territoire comme la Corse, éloigné du contrôle de Vichy où la population est majoritairement en faveur de la protection des Juifs, la mise en place d’une résistance préfectorale en est d’autant plus aisée. Ainsi, il est beaucoup plus facile pour le préfet d’agir au profit de la résistance comme le fit Paul Balley.

Cette résistance peut s’effectuer par différents actes, certains plus ou moins importants et plus ou moins symboliques. Tout d’abord, le premier acte de résistance d’une personne est moral. Pour un préfet, cela consiste par exemple à désobéir à un ordre direct du gouvernement alors que celui-ci a fait serment de fidélité au chef de l’État. Ensuite, cela peut se poursuivre par des actions dites actives. Nous savons que Jean Chaigneau a hébergé plusieurs familles juives en 1943. Nous avons trace d’autres actes de résistance comme le fait de falsifier le fichage des juifs, en n’identifiant que les Juifs français et pas ceux qui sont étrangers tel que le fit Paul Balley.

Le choix d’entrer dans la résistance ou la collaboration n’est donc pas si simple, ce n’est pas qu’une question de moralité ou de devoir. Nous pouvons d’ailleurs le voir à travers le cas des préfets entre résistance et collaboration. Nous avons par exemple le cas des préfets qui ont été à la fois pour le Régime de Vichy et contre la Collaboration avec l’Allemagne, d’autres tels que Paul Balley sont considéré comme partisan du régime de Vichy, mais opposant à l’internement et à la déportation des juifs. Ces derniers vont donc à la fois servir le Régime de Vichy et à la fois lui donner des informations erronées.

Il y a enfin d’autres cas particuliers tels que les résistants de la dernière heure. On peut se demander pourquoi ont-ils changé de camp seulement au dernier moment. Il est possible que cela s’explique par un regain de confiance en une victoire sur l’Allemagne. D’autre part certains préfets ne servent pas spécialement un camp, mais servent avant tout leur carrière, comme nous l’avons indiqué dans le cas de certains préfets ayant collaboré. Et enfin, certains ont tout simplement changé de camp car leur instinct de survie a été plus fort que leurs idéologies pétainistes ou nazies. Nous ne pouvons savoir pour chaque individu en particulier, quelles sont les raisons qui ont déterminées leur position vis-à-vis des événements.

Au final, tout semble être conçu en effet pour permettre aux chef du Conseil d’État de maintenir son autorité sur sur l’ensemble du territoire “libre” par à la mise en place d’échelon administratif et plus particulièrement au niveau départemental. Cependant les
politiques du Régime de Vichy ne font pas l’unanimité de tous les préfets. Certains ont collaboré, d’autres étaient contre l’antisémitisme, mais fidèles au gouvernement d’autres encore ont résisté aux politiques vichystes et collaborationnistes. Les réticences de ces derniers ont créé une faille dans la mécanique d’internement administratif.