Une presse Française déchirée sur l’internement des immigrés Espagnols en 1939
La presse française commence à parler des républicains espagnols bien avant l’ouverture des camps. Dès le commencement de la guerre civile en 1936, la presse s’enflamme pour ce sujet et se retrouve divisée sur fond de xénophobie sur la république espagnole. Cette violence verbale se déclenche après un conseil des ministres censé se prononcer sur la demande d’aide formulé par le président du conseil espagnol José Giral1 auprès de Léon Blum2. La réponse d’abord positive de Léon Blum déclenche une virulente réponse des journaux de droite. Le journal patriotique et conservateur, L’Écho de Paris, connu pour son opposition envers l’immigration titre le 25 juillet 1936, « les avions français livrés par M. Pierre Cot3 vont- ils partir pour Barcelone »4. Dans cet article le gouvernement français est accusé de vouloir aider « une capitale tombée au main d’un soviet communo-anarchiste, décoré du nom de comité du salut public »5, Le Figaro dans son numéro du 25 juillet accuse aussi le gouvernement d’intervenir dans cette guerre en toute illégitimité. De l’autre côté, la presse de gauche tels que Le Populaire, L’Œuvre ou L’Humanité défendent les républicains espagnols. Autant dire que la presse française est divisée et cela ne va pas s’arranger avec la prise de Barcelone et l’arrivée en masse de quelques 500 000 espagnols à la frontière. Cette fois le débat oppose ce qui veulent accueillir dignement ces combattants antifascistes et ceux qui s’insurgent sur des conditions dans lesquelles sont accueillis les réfugiés comme L’Écho de Paris6 qui s’inquiète de voir la France envahie par cette immigration massive. La presse favorable à l’arrivée des républicains s’appuie sur l’idéologie d’une France « terre d’asile » et demande aux autorités d’installer dans des conditions dignes les femmes, les enfants, les blessés de guerre et les vieillards. C‘est d’ailleurs sur ces scènes de désolations que vont jouer ces journaux. Ainsi Le Populaire du 29 janvier 1939 titre « La France, suprême espoir des femmes et enfants d’espagnols qui fuient la mitraille des barbares »7, avec une photo de femmes et d’enfants désœuvrés à la frontière. Il s’agit d’ajouter aux enjeux politiques et idéologiques un facteur humain appuyé par la presse par de nombreuse photos d’hommes et d’enfants blessés comme le fait Ce Soir qui chaque jour y consacre une rubrique entière.
Mais l’autre bastion de cette presse de gauche est l’ouverture des camps d’internements et plus particulièrement les conditions d’internements des civils espagnols.Le Midi socialiste du 19 février 19398 nous apprend beaucoup sur la détention dans les camps d’Argelès avec sa publication du rapport de la délégation du groupe socialiste. Ce qui nous permet d’avoir une description du camp ainsi que de son fonctionnement. Nous savons que cette délégation a visité les camps d’Argelès et St Cyprien les 9 et 14 février 1939. Le rapport qu’elle en fait décrit un chaos sans nom. Il règne dans le camp « un désordre général » où sont monté à la va vite quelques baraquements et puits autour desquels s’entassent 72 000 hommes pour St Cyprien et 65 000 pour Argelès9. Ces camps au bord de la mer sont entourés de barbelés. Les hommes, les femmes, les vieillards et des gamins sont mélangés aux miliciens dans une dangereuse promiscuité. À cela s’ajoute la faim due à une mauvaise organisations des autorités qui gèrent le camp et le froid malmène des corps déjà affaiblis. D’ailleurs des morts sont à déplorer dans les camps. Outre ces conditions de vies très dures, les internés ont été victimes d’abus, on leur a confisqué des appareils photos, des briquets et des objets divers qui n’ont rien à voir avec le matériel militaire qui devait normalement être confisqué. De plus des hauts parleurs diffusent devant la partie des camps réservés aux brigades internationales des messages de propagande franquiste. La délégation se désole aussi de la mauvaise administration et du manque de collaboration entre les autorités françaises et espagnoles. Ce qui explique aussi qu’ aucune fiche individuelle de renseignement ont été remplis, ce qui rend les familles éclatées dans les différents camps dures à rassembler.
L’Humanité, journal du parti communiste va aussi s’indigner sur les camps d’internements en mettant en avant le manque de médicaments et de services médicaux. Le 15 février les camps sont dépeints comme « un véritable pénitencier ou couve un foyer d’épidémies »10. Ce soir, commence a s’intéresser au camp d’internement à partir du 12 février. Son envoyé spécial Stéphane Manier écrit « À Argelès sur mer, ce n’est plus la mitraille qui tue, c’est la faim, la fièvre, le froid »11. Le journal Le Populaire du 13 février 1939 fait les mêmes contestations. Ces faits ( ci-dessous) ont été rapportés par un envoyé spécial, Jean-Maurice Herrman. Ce qui prouve que les journalistes de gauche ont le droit d’entrer dans les camps jusqu’à mi février. Cependant, le 24 février 1939, Le Midi Socialiste édite un article après avoir été interdit avec un autre journal, Le Populaire d’entrer dans les camps . Les deux journaux de gauches qui dénoncent les traitements que subissent les républicains espagnols sur les camps d’Argelès et de Saint-Cyprien sont devenus gênant pour les autorités. Il a donc été décidé de fermer dés la fin de février les portes des camps à la presse d’opposition. C’est le début de la censure de la presse, les autorités doivent éviter la divulgation au grand public des véritables conditions de vie des réfugiés.
Par contre la presse de droite « celle qui couvre d’injure les républicains espagnols »12 est, elle, d’après le journal toujours autorisée a visiter les camps. Cette anecdote démontre bien que le gouvernement français utilise la presse comme propagande. Malgré ces incidents, la presse de gauche va n’avoir de cesse d’alerter l’opinion publique et les autorités sur les camps pendant tout le mois de février et de manière encore plus insistante au fur et à mesure que les conditions d’internements se dégradent.
La presse d’extrême droite Le Matin, Le Jour et Candide ne voit pas cette arrivée massive du même œil. Pour eux, il est essentiel que les espagnols repartent chez eux au plus vite. Il s’agit d’inquiéter la population française avec des titres aussi alarmants que « L’inquiétude vient des camps de concentration 13 », par le journal L’Époque. Ou encore Candide dit des miliciens espagnols « Ils ne se soucient pas d’affronter l’armée de Franco, et préfèrent la vie dans un camp de concentration français. On les reçoit, on les héberge tant bien que mal, à Argelès, au Boulou, à Fort les Bains. On leur donne à manger 14 ». Pour cette presse le but n’est plus de décrire le camp ou les conditions de vies des internés mais de les diaboliser afin d’inquiéter les français. Cette couverture médiatique sur les camps va petit à petit s’éteindre avec l’arrivée des troupes allemandes et la Seconde Guerre mondiale mais elle nous permet d’avoir une description des camps et de leurs fonctionnements ainsi que la vision d’une France gangrenée par la xénophobie.
La censure médiatique sous Vichy de 1940 à 1945
Le régime de Vichy est officiellement instauré en France le 10 juillet 1940, lorsque l’Assemblée nationale cède les pleins pouvoirs au maréchal Philippe Pétain. Il s’autoproclame alors « chef de l’État français » et poursuit une politique de collaboration, déjà entamée quelques semaines auparavant, avec l’Allemagne nazie. Suite à ce changement, une propagande à l’encontre des opposants aux régimes fascistes est mise en place. Le gouvernement de Vichy accentue les mesures de censure médiatique concernant les camps de «concentration» français conformément aux directives allemandes. La presse française se retrouve alors réduite au silence, ce qui atténue fortement les informations déjà très minimes que possèdent les Français sur les camps.
En dépit de l’effort gouvernemental d’organiser et de contrôler une presse désormais collaborationniste vouée à taire la situation des camps d’internements, une campagne de presse internationale prend peu à peu de l’ampleur. Elle provient pour l’essentiel d’associations humanitaires telles que la Croix-Rouge et de la presse suisse et américaine qui cherchent à dénoncer les conditions d’internements déplorables en France.
A titre d’exemple, le quotidien suisse Basler Nachriten publie le 8 octobre 1940 un article évoquant la situation du camp d’internement de Saint-Cyprien. Cette publication entraîne une vive réaction de la part du gouvernement de Pétain. En effet la direction du journal a reçu une protestation de la part du ministère de l’Intérieur français, assortie de faux témoignages d’internés à l’appuie.
Par la suite, avec la montée grandissante des protestations à l’étranger et devant son échec à contrôler totalement l’information, le gouvernement de Vichy va recourir à de nombreux subterfuges bureaucratiques, renvoyant les demandes de visites des camps en provenance de l’étranger entre départements ministériels. Cette manœuvre a pour but d’endiguer l’indignation que suscite la gestion anarchique des camps.
On annonce dans le journal Avenir du 6 février 1941 que le gouvernement décide de la réorganisation complète du service des camps sous l’initiative du docteur Limousin15, ce qui eut pour conséquence une nouvelle répartition des étrangers dans les camps. L’objectif est de simuler un contrôle sur la question de l’internement et de ne pas diviser l’opinion.
Néanmoins au niveau national, une presse interne clandestine a bel et bien subsisté. L’on peut citer les quotidiens de propagande communistes tel que l’Humanité ou Ce Soir qui furent saisies dès le 25 août 1939 sous l’initiative du gouvernement. Ultérieurement, la circulation des journaux clandestins permit aux groupuscules communistes de s’organiser et de susciter une indignation somme toute relative auprès de l’opinion. Le PCF16 s’engage dans une lutte armée contre le régime de Vichy dès l’été 1941, ce qui aboutit à une vague d’attentats dans le Nord de la France. Le journal communiste du Nord l’Enchaîné refuse de revendiquer les attentats et les attribue aux soldats allemands afin de gagner les faveurs de l’opinion publique. Ce n’est qu’en décembre 1941 que le PCF assume ses actions à travers les lignes du journal l’Humanité, présentant leurs actes comme légitimes, en réponse à l’exécution d’otages communistes sur ordre du gouvernement.
De plus en plus soucieux de l’image qu’il renvoie auprès de ses citoyens, le régime de Vichy dispose de ses forces de police et de son administration préfectorale pour suivre l’état de l’opinion. Entre 1941 et 1942, il renforce sa politique de censure avec notamment un contrôle accru du courrier par voie postale. Le gouvernement espère ainsi éviter que les témoignages concernant les internements ainsi que la mobilisation des moyens humains et matériels consacrés aux premières rafles et déportations ne s’ébruitent.
Jusqu’à l’été 1942, les mesures prises à l’encontre des Juifs ainsi que des internés suscitent une indifférence quasi générale auprès des français, martelés par la propagande nazie qui sévit au sein de la société. Cependant la tendance s’inverse entre juillet et septembre 1942. De nombreux rapports administratifs à l’attention du ministère de l’Intérieur indiquent que les français sont de plus en plus déconcertés par les déportations. Les témoignages et le bouche à oreille expliquent en partie ce phénomène.
A titre d’exemple de nombreux journaux tels que Libération-Sud, Le Populaire ou Franc-Tireur publient des articles sur les rafles, dénonçant en particulier la traque des enfants. Dès lors, ‘on peut noter que la presse résistante participe à un réel effort de mobilisation des consciences en cet été 1942.
Pourtant à partir de l’automne 1942, les questions de l’internement et de la déportation des Juifs ne semblent plus occuper les esprits. Pour analyser l’opinion des français sous le régime de Vichy, il faut se replacer dans le contexte de l’époque. La France est occupée par une nation étrangère, impérialiste, le régime de Vichy est un état répressif soumis aux directives allemandes. La liberté d’expression est étouffé par la propagande de l’État, l’idéologie nazie et la censure de la presse, aucune opposition n’est tolérée. Les Français sont partagés entre la haine de l’occupant et la collaboration, par crainte de réprimandes ou bien par opportunisme, les raisons sont diverses est variées.
C’est une période tumultueuse ou la peur de l’avenir se fait ressentir. Toujours étant que les informations officielles sur les camps sont volontairement déformées par la presse collaborationniste et le gouvernement 17. La majorité des Français ne peut appréhender avec exactitude la réalité des camps. Ils ne peuvent ni mesurer ni imaginer l’étendue du projet nazi sur une base d’information solide. Il peut y avoir une certaine difficulté pour la population à dissocier la notion de prison et de camp. La minorité qui a connaissance des faits est révoltée et s’interroge sur la destination des convois et des trains de déportés. Dès lors, devant le totalitarisme du gouvernement de Vichy, l’opposition aux traitements des internés et des déportés ne peut difficilement s’effectuer autrement que dans l’ombre et le silence.
1 José Giral (1879-1962) : homme politique espagnol en charge de présider le gouvernement espagnol et d’enrayer le coup d’état militaire en 1936. Face à l’échec, il se réfugie d’abord en France avant de partir au Mexique où il dirige de 1945 à 1947 la présidence du parti républicain espagnol en exil.
2 Léon Blum (9 avril 1872- 30 mars 1950) : dirigeant de la section française de l’internationale ouvrière (SFIO). Il est chef du gouvernement français deux fois, la première de 1936 à 1937 puis la seconde de mars à avril 1937. Sous le régime de Vichy, Blum est déporté et envoyé au camp de Buchenwald.
3 Pierre Cott (20 novembre 1895- 21 août 1977), promu ministre de l’Air sous Poincaré, il crée en autre la compagnie nationale Air France. Il reste ministre sous Blum en 1936 et fonde la même année le rassemblement universel pour la paix. Pendant la guerre civile, il aide clandestinement les espagnols. Avant de fuir la France en 1940 et de s’exiler en Angleterre, puis au État- Unis.
4 L’Écho de Paris, du 25 juillet 1936. Source: La bibliothèque universelle, Gallica (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k815975b.item)
5 L’Écho de Paris, du 25 juillet 1936 . Source: La bibliothèque universelle, Gallica (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k815975b.item)
6 Source: le site « 24 août 1944 »,http://www.24-aout-1944.org/L-exode-republicain-espagnol-de ).
7 Le 24 août 1944 ( http://www.24-aout-1944.org/L-exode-republicain-espagnol-de).
8 Le Midi Socialistedu 19 février 1939. Source: bibliothèque numérique de Toulouse (Rosalis) :(http://images.midi.bibliotheque.toulouse.fr/1939/B315556101_MIDSOC_1939_02_19.pdf#search= »camps d’argeles »).
9 Le Midi Socialistedu 19 février 1939. Source: bibliothèque numérique de Toulouse (Rosalis) :(http://images.midi.bibliotheque.toulouse.fr/1939/B315556101_MIDSOC_1939_02_19.pdf#search= »camps d’argeles »).
10 L’Humanité du 15 février 1939. (Source: la bibliothèque numérique Gallica (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k407721z.item).
11 Ce Soir du 12 Février 1939. Source : la bibliothèque numérique Galllica (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76364124.item).
12 Le Midi Socialiste du 24 février 1939 ( https://bataillesocialiste.wordpress.com/tag/retirada/).
13 Source: le site « 24 août 1944 » (http://www.24-aout-1944.org/L-exode-republicain-espagnol-de ).
14 Candide, le numéro du 8 février 1939.
15 Ancien membre du cabinet du ministre de l’Intérieur sous le régime de Vichy.
16 Le Parti communiste français (PCF), parti politique français de gauche.
17 Source : Denis Peschanski, Les camps français d’internement(1938-1946)-Doctorat d’État, Histoire. Université Panthéon-Sorbonne- Paris 1,2000.