Entre nationalisme et xénophobie, définir les mentalités françaises du régime de Vichy

 

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La culture et les sciences, des vecteurs du nationalisme et de la xénophobie

Le nationalisme et la xénophobie sont d’anciennes notions qui se développent fortement avec la mise en place du régime de Vichy en 1940. Les sciences et la culture vont être utilisées pour développer ces concepts. Il y a différents moyens de propager la xénophobie et notamment l’antisémitisme : par exemple, des expositions sont mises en place. L’exposition « Le Juif et la France » au Palais Berlitz est inaugurée le 5 septembre 1941 et se clôt le 11 janvier 1942. Des conférences y sont tenues, des films sont projetés, on voit principalement des productions allemandes, telles que : Le péril Juif, Les corrupteurs ou encore Le Juif éternel de Fritz Hippler, des documentaires sur les actions et l’influence hébraïque dans le monde. Des catalogues sont distribués (1) pour développer le message de l’exposition en expliquant que les Juifs n’ont jamais pu et ne pourrons jamais s’assimiler aux autres peuples, que la bassesse est une vertu des enfants d’Israël et qu’il s’agit d’une communauté basée sur le mensonge, la séduction et qui dirige le monde, notamment par les loges maçonniques.

Dans le même temps, la propagande pour la jeunesse se développe ; le fabricant de jouet Whito intègre la révolution nationale en transformant le jeu de l’oie en jeux des « obstacles de la vie » (2) en intégrant les valeurs prônées par le régime de Vichy. On voit également se développer la production de dépliants comme celui de Youpino qui ont pour but d’expliquer aux enfants français ce qu’est un Juif et quelle menace il représenterait pour le pays.

La politique culturelle n’est pas la seule justification du nationalisme et de la xénophobie : les étrangers ne partagent pas la même culture, certes, mais les sciences cherchent à prouver qu’il existe bel et bien des différences entre les races. Une des grandes figures intellectuelles de l’État français est le professeur Georges Montandon (3) : selon lui « la question juive serait réglée si l’on autorisait légalement tout Français chrétien à tuer deux Juifs » (4) . Dés 1938, il considère que le rôle de l’ethnologie et de l’anthropologie est de séparer la bonne graine de la mauvaise. Il est également l’auteur de nombreux livres dont Comment reconnaître le Juif ?, (Paris, Nouvelles éditions françaises, 1940). Il examine les individus pour le compte, notamment, de la préfecture de police de Paris et détermine l’appartenance d’un individu à « l’ethnie juive ou non ». Il se base sur la manière dont a été faite la circoncision, les formes du visage et du corps, l’attitude et les mimiques. Il enquête également sur les origines familiales de l’examiné. Le professeur est un docteur, il se fait donc payer pour ses examens : il est connu pour ses prix exorbitants, par exemple, pour Jacqueline : reconnue avec son mari et sa fille comme étant juifs, ils sont incarcérés à Drancy, Georges Montandon se propose de leur rendre visite pour pratiquer un examen à hauteur de 2.000 francs par personne. La mère de Jacqueline reconnue comme non-juive a bénéficié d’une réduction. Ayant trois personnes à examiner, le professeur Montandon lui fait une offre à 3.000 francs pour les 3 examens à payer avant la visite. Aucun des trois ne sera libéré (5). Une fois que ces théories sont créées, il est nécessaire de les propager, de les infuser dans la société ; Pour cela, Vichy dispose de différents moyens.

Les médias, outils de propagande idéologique

Après la défaite de 1940, le Maréchal Pétain reçoit les pleins pouvoirs du gouvernement. Pour affirmer son pouvoir des acteurs vont être mis en place par Pétain pour sa propagande, tels que les médias. Ceux-ci vont servir à la diffusion de l’image du Maréchal sauveur de la Patrie. Les médias seront utilisés comme moyen de propagande pour Vichy, on peut prendre l’exemple de milliers de tracts imprimés comme avec l’exemple du discours « Aux paysans de France » prononcé le 20 avril 1941, ce discours illustre bien que Vichy s’appuie sur une France aux valeurs traditionnelles.

La presse est également un facteur pour le gouvernement de Vichy, c’est un outil de propagande très efficace, le ministère qui s’en occupe est celui de l’information et de la propagande, il use de la censure. C’est Paul Marion le secrétaire général du Ministère de l’information et de la propagande. On peut prendre l’exemple de quelques journaux par exemple LE MATIN ou L’ŒUVRE qui sont des journaux collaborateurs. Dans ces journaux, on peut voir à l’œuvre toute la propagande vichyste, ainsi que son idéologie. Les événements mondiaux sont brièvement abordés, par contre ces journaux donnent, en abondance, des informations sur l’état de la France et des relations « bénéfiques » avec l’Allemagne. On peut prendre l’exemple de la Une du journal LE MATIN du vendredi 5 février 1943 (6) qui ne parle pas de l’échec des troupes allemandes en U.R.S.S. Cela nous permet de voir le repli de la France de Vichy, ainsi que la totale collaboration avec l’Allemagne nazie.

La propagande ne s’arrête pas à ce niveau, dans la continuité de ce qui s‘était fait durant la « drôle de guerre », Vichy va utiliser l’émission Radio-Journal pour  propager sur les ondes son idéologie. La radio est un moyen rapide et efficace de toucher 5,2 millions de personnes instantanément (7) . Apparaissent donc des émissions comme : « La Légion des combattants vous parle » ou  « La question juive », ce genre d’hebdomadaire a pour but d’expliquer et d’argumenter les idéologies de Vichy. De par son implication dans la propagande qui prône la collaboration et le combat contre les gaullistes, Radio-Journal sera démantelée à la libération en 1944. Quant au cinéma, Vichy va mettre en scène l’image du Maréchal, pour continuer de véhiculer l’image du « père du peuple » qui prend soin des siens, avec des documentaires sur sa personne. Vichy privilégie les courts-métrages ainsi que les documentaires que les Français vont particulièrement affectionner. Mais à partir de 1942, avec l’invasion de la zone non occupée, le cinéma sera censuré et centralisé à Paris.

Les médias auront donc servi à  véhiculer l’idéologie vichyste en imprégnant le quotidien des Français de l’image du Maréchal Pétain et du renouveau national. Il s’agit de normaliser l’occupation en s’appuyant sur une France rurale et traditionaliste, il faut se justifier en affirmant qu’ une idéologie comme celle-ci avec à sa tête le grand vainqueur de Verdun permettrait à la France de se relever. Comme le disait le Maréchal  « Cette politique est la mienne. Les ministres ne sont responsables que devant moi. C’est moi seul que l’Histoire jugera. Je vous ai tenu jusqu’ici le langage d’un Père ; je vous tiens aujourd’hui le langage du Chef. Suivez-moi. Gardez votre confiance en la France éternelle. »

Vichy et l’anti-France

Le gouvernement institué par le maréchal Pétain n’est uni, au départ, que par la volonté de signer l’armistice. C’est un gouvernement qui doit faire face à de nombreuses menaces plus ou moins réelles et importantes en fonction de la politique du régime de Vichy ; des menaces venant de l’extérieur : Londres, Alger, De Gaulle, mais également des menaces venant de l’intérieur : juifs, naturalisés, étrangers, communistes, franc-maçons : des forces du régime précédent encore en activité qui s’efforcent de détruire l’État français. Ces ennemis sont regroupés dans le concept « d’Anti-France ». L’expression « Anti-France » est utilisée la première fois par le maréchal Pétain dans un article publié dans la Revue des Deux Mondes du 15 août 1940.

Un Français peut appartenir à « l’anti-France » s’il ne répond pas aux normes sociales développées par le Maréchal qui tente de renouveler l’ordre moral et la société. L’individualisme, par exemple, est une des tares qui a causé, selon le régime de Vichy, la défaite et l’effondrement de la France. L’individualisme s’oppose à toutes les facettes de l’idéologie de l’État français : le travail serait mis en danger par « le droit à la paresse », la cohésion et l’unité de la patrie remises en question et les liens qui unissent une famille pourraient être brisés par cet individualisme. Des quotidiens comme l’Effort ou Au travail, au contraire, persistent à défendre l’individualisme et voient d’un mauvais œil la disparition du statut de citoyen au profit de celui de chef de famille. En mettant en place une politique répressive de lutte contre l’alcool, l’immoralité physique ou idéologique (communisme, prostitution, homosexualité, etc.), le gouvernement du Maréchal pointe du doigt les dirigeants de la IIIe République qui ont, selon lui, conduit le pays à la débauche individualiste et morale à cause de leur laxisme. Les critiques contre l’ancien régime se cristallisent notamment autour de Léon Blum et d’Alfred Naquet. Naquet est un homme politique du XIXe siècle, partisan de l’extrême gauche qui luttait pour les unions libres. En 1884, il a fait voter une loi qui légalisait dans certains cas le divorce. À la radio, le garde des Sceaux de l’État français Joseph Bartelemy s’en prend ouvertement à Naquet et à son héritage en le qualifiant de Juif de la vallée du Rhône qui voulait prendre sa revanche sur les catholiques et la Restauration. Naquet est le contre-modèle absolu de ce que Vichy entend mettre en place. C’est un républicain de gauche, juif, accusé de vouloir détruire la famille dite traditionnelle et la morale chrétienne. Mais la plus grande figure de « l’Anti-France » reste Léon Blum. Blum est le souvenir de l’expérience du Front populaire qui avait largement inquiété la bourgeoisie. Vichy ressort un de ses essais écrit en 1907 dans lequel Blum conseille aux jeunes gens des deux sexes d’avoir autant d’aventures que nécessaire avant de ressentir le besoin tout aussi naturel de se fixer avec une personne. Une théorie très en avance pour son époque qui fait passer Blum pour un détraqué sexuel. D’où la nécessité pour le régime de réformer et reconstruire la France.

Ces deux exemples permettent de voir un schéma récurrent dans la définition de l’anti-français ; il s’agit d’étrangers et de profiteurs. Les Juifs sont considérés comme appartenants à un peuple apatride condamné à errer à travers le monde pour avoir commis un déicide. De plus, il est dit, dans l’idéologie antisémite développée notamment dans les expositions, qu’un Juif appartiendrait d’abord à la nation juive universelle avant d’appartenir au pays dans lequel il vit, ce qui, dans une Europe nationaliste, tend à affirmer leur particularisme et leur position d’État dans l’État. La caricature vichyste du Juif est assez stable, il s’agit généralement d’un gros bourgeois capitaliste aux doigts crochus et aux ongles affûtés. Le régime accuse également les Juifs de s’associer aux francs-maçons dans un complot judéo-maçonnique qui a comme principal objectif d’anéantir la civilisation chrétienne. La Franc-maçonnerie fait également partie des ennemis de la nation : l’accusation que l’on retrouve le plus souvent est qu’il s’agit d’un club secret, supranational, allié de l’Angleterre, composé d’idéologues de la IIIe République, c’est-à-dire d’individus qui vivent uniquement dans le monde des idées et qui n’ont aucune idée de ce qu’est le monde réel. Encore une fois, on trouve l’idée qu’ils profitent des Français sans remords. Dès l’été 1940, l’amalgame entre ces deux catégories prend forme dans le concept de forces occultes : derrière tout franc-maçon se cache un Juif.

Le maréchal Pétain compte d’autres ennemis : le bolchevisme et le communisme. En automne 1940, le gouvernement entreprend une campagne anticommuniste dont le slogan le plus marquant est : « Ils assassinent ! Enveloppés dans les plis de notre drapeau. » (8).  Selon Vichy, le communisme entraîne l’indiscipline, il s’agirait d’une insulte au travail de l’honnête travailleur « Quelle arme choisis-tu ? La mitraillette du bandit ou l’outil du travailleur ? » (9) . Au fur et à mesure de la reconquête des alliés, la propagande anti-anglaise et anti-américaine se développe. L’Amérique serait financée par les Juifs et serait également, selon un long-métrage de propagande La Libre Amérique, sorti en 1942, le pays où les Juifs se réfugient étant donné qu’ils y contrôlent la sphère politique : une Amérique « par », « pour » et « avec » les Juifs. Le Général de Gaulle réfugié à Londres est considéré comme un adversaire durant l’été 1941. À partir de 1942 Vichy prend la menace au sérieux et va se lancer dans une campagne de propagande visant à discréditer le général félon et ses partisans.

Tous les ennemis de la nation sont imbriqués les uns dans l’autre et se sont ligués contre la naissance de cette nouvelle France vichyste, une France aux Français de la révolution nationale qui se développe aux côtés d’une nouvelle Allemagne, qui désire créer une nouvelle Europe, plus dynamique et plus forte face à la menace de l’étranger profiteur. C’est ce que l’on pourrait appeler la tactique de l’ennemi commun qui vise à consolider l’unité d’un groupe. Cette propagande se concrétise dès l’arrivée de population étrangère en France avant la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement met en place le 12 novembre 1938 la première loi sur l’internement administratif pour pallier le manque de structures d’accueil et filtrer les « indésirables étrangers ». Les camps d’internement sont opérationnels à partir de février 1939, le premier ouvre à Rieucros en Lozère (10) . L’un des objectifs est de rassurer la population française : les étrangers qui prendraient des emplois ne sont pas les biens venus en France à la fin des années 30. Le 18 novembre 1939, un décret est paru, il vise à interner tout suspect étranger ou non. Cela nous montre que le régime de Vichy prend en main tous les aspects liés à la question de l’étranger en France.

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 (1) ROSSIGNOL Dominique, Histoire de la propagande en France de 1940 à 1944 : L’utopie Pétain, PUF, 1991

(2) Ibid.

(3) BIRNBAUM Pierre, La France aux français, 2006, Editions du Seuil

(4) Archives du Centre de documentation juive contemporaine, XCV, 140a

(5) BIRNBAUM Pierre, op. cit.

(6) A la Une des grands évènements du 20ème siècle et les journaux de l’époque, les années de l’Axe

(7) GIRAC-MARINIER Carine, Chronique de la vie des Français sous l’occupation, LAROUSSE, 2011

(8) ROSSIGNOL Dominique, op. cit.

(9) CHYDERIOTIS Nicolas, L’armée du crime et Vichy : Images de la Résistance intérieure dans les affiches de Vichy.1940-1944. Mémoire de master, Lyon 2, 2007

(10) Site internet du Ministère de la Défense http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/linternement-la-france-des-camps-1938-1946