La IIIe République et les questions internationales (suite)

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Etude de cas : la guerre d’Espagne submerge la France

De la IIe République à l’internationalisation de la guerre civile

La IIe République espagnole est proclamée le 14 avril 1931 et succède à la dictature du général Primo de Rivera. Ce régime était un directoire militaire, instauré en 1923 des suites d’un pronunciamiento, bien que le régime officiel reste monarchique. La République nouvellement proclamée doit rapidement faire face au grand retard économique que subit l’Espagne vis-à-vis des autres puissances européennes. En effet, la société est très inégalitaire, tant sur les plans sociaux que régionaux et spirituels. D’un point de vue social, la propriété est répartie de manière très inégale et la condition ouvrière n’a jamais connue d’amélioration notable. Les régions connaissent, quant à elles, un développement économique et industriel inégal et certaines sont caractérisées par un sentiment d’appartenance régionale fort. Enfin, l’Église conserve une prétention dominatrice importante face à un anticléricalisme militant dont les rangs grossissent. Tous ces types de conflits entre possédants et prolétaires, catholiques et anticléricaux mais aussi entre centralistes et régionalistes trouvent un écho plus important et un regain d’énergie au sein du nouveau régime républicain. Parallèlement, l’Espagne doit faire face à des conflits idéologiques communs à l’ensemble de l’Europe notamment entre communistes, nationalistes et libéraux. Enfin, l’Espagne connaît rapidement les conséquences du krach boursier de 1929 et de la crise économique mondiale qu’il engendre. Le gouvernement doit faire face à une société totalement désunie, ce qui rend le fonctionnement démocratique difficile et ouvre la voie à une révolution ou à une dictature militaire, comme cela s’était déjà vu auparavant. Avant même le déclenchement de la guerre civile, on observe la formation de deux camps. D’un coté le camp dit « nationaliste » qui comprend des républicains conservateurs, des monarchistes et des phalangistes ; ce sont eux qui deviendront franquistes quand le général Francisco Franco prendra leur tête. D’un autre coté, le camp républicain est constitué de forces unies contre les nationalistes soit de militants issus de tendances très diverses : anarchistes, communistes, socialistes, républicains laïcs, etc. Ainsi, avant la guerre civile, les affrontements sont d’abord politiques et se manifestent, parfois de manière violente, au travers de chaque élections avec notamment la création fréquente de nouveaux partis.

En février 1936, l’un de ces partis, la CEDA, qui est une confédération de droite, échoue aux élections législatives face au Front Populaire. Dès lors, des complots militaires voient le jour. Très rapidement, les généraux soupçonnés de conspiration sont déplacés : Emilio Mola, proche de Franco, est envoyé à Pampelune tandis que ce dernier part pour les îles Canaries. Les événements s’accélèrent à partir du 13 juillet 1936, moment de l’assassinat de José Calvo Sotelo par les républicains, vengeant eux-même un de leur camarade. Cet événement détermine non seulement la date du soulèvement, déjà prévu depuis longue date, mais aussi l’engagement de Franco, jusqu’ici réticent. En effet, dès le 17 juillet, celui-ci prend le commandement des troupes stationnées au Maroc, faisant ainsi, à l’image de Primo de la Rivera, un pronunciamiento. Le putsch touche l’ensemble de la métropole dès le lendemain mais constitue un échec puisque l’armée ne conquiert qu’une partie du territoire. Ainsi, le coup d’État se mue en guerre civile et ce malgré les tentatives de compromis par le gouvernement. Au bout d’une semaine, l’Espagne est coupée en deux zones plutôt égales. Parmi les zones restant fidèles à la République, on trouve notamment Madrid, la Catalogne et les Asturies, soit finalement les zones les plus riches et industrialisées. Malgré tout, l’armée républicaine connaît rapidement des difficultés puisqu’elle est populaire, créée dans l’urgence et n’est pas organisée autour d’un gouvernement centralisé. Les nationalistes gagnent ainsi progressivement du terrain et les populations migrent vers la Catalogne. On estime que dès la fin de la première année de guerre civile, 200 000 (1) personnes ont migré vers cette région. Le 13 février 1939 et la prise totale de la Catalogne constitue ainsi une catastrophe d’autant plus grande pour l’Espagne républicaine et sa population. Madrid, sans soutien, chute le 28 mars, permettant ainsi à Franco d’instaurer son régime et de mettre fin aux opérations militaires le 1er avril 1939. La guerre civile est terminée, le régime dictatorial est prêt à être institutionnalisé.

Cette guerre n’est pas uniquement interne puisqu’elle devient rapidement un enjeu européen. Initialement, le rapport des forces entre nationalistes et républicains est relativement équilibré, ce qui change considérablement avec l’intervention de diverses puissances européennes. Les nationalistes reçoivent l’aide de l’Italie, du Portugal et de l’Allemagne. Mussolini voit dans le conflit des intérêts tant économiques que stratégiques, mais aussi un moyen d’effectuer une propagande internationale ; pour ces raisons, il aide militairement les nationalistes en envoyant des soldats mais aussi des engins de guerre comme des chars, des bombardiers et des avions. Hitler, quant à lui, porte un intérêt aux réserves minières espagnoles et souhaite faire de la nouvelle Espagne nationaliste qu’il espère naître du conflit son alliée. La position de Staline est moins tranchée puisque le chef de l’URSS ne souhaite d’abord pas s’impliquer, ses préoccupations étant concentrées sur Hitler et sur sa frontière occidentale, il souhaite lier des alliances militaires avec la France et l’Angleterre. Finalement il arme les troupes républicaines à partir d’octobre 1936 moyennant finances, mais cette aide décroit rapidement après la signature des accords de Munich en 1938. La France a elle aussi une position ambivalente dans son soutien aux républicains ; d’abord, Léon Blum, alors chef du gouvernement, répond positivement à la demande d’armement afin de « gagner le premier quart d’heure et d’exploser dans l’œuf ce mouvement insurrectionnel » (2), mais se rétracte face à l’agitation de ses opposants politiques. La position du Royaume-Uni dans le conflit est elle aussi déterminante puisque le gouvernement britannique annonce que la France ne recevra aucune aide face à l’Allemagne si elle intervient. Cette déclaration est alimentée par l’espoir britannique d’arriver à un compromis avec Hitler et donc de ne pas s’opposer frontalement à lui. De plus, le pays voit dans la guerre civile espagnole une révolte communiste qu’il ne souhaite donc pas alimenter. C’est dans ce climat que Léon Blum propose le 1er août 1936 le pacte de non-intervention, signé par presque tous les pays européens et dont le comité siège à Londres. Le but de ce pacte est d’empêcher la livraison d’armement en Espagne pour éviter la généralisation du conflit. Chaque pays met donc en place un embargo sur une zone précise ; l’Angleterre sur l’Atlantique, la France sur les Pyrénées, l’Italie sur la Méditerranée.. Le pacte s’avère finalement être une supercherie puisque respecté uniquement par l’Angleterre, tous les autres fermant les yeux sur les trafics d’armes et s’assurant que les livraisons arrivent bien dans le camp soutenu (3).

L’écho de la guerre d’Espagne en France

Ce conflit constitue une véritable préoccupation française, visible au sein du gouvernement mais aussi dans les opinions publiques, très partagées entre le soutien d’un camp ou de l’autre. Cette guerre prend en réalité une valeur de symbole puisqu’elle illustre l’affirmation de puissances totalitaires face à des démocraties désemparées, ainsi que, de fait, les tensions internationales européennes qui dominent durant les années 1930. En France, la guerre est vécue avec passion pour des raisons plutôt évidentes ; c’est d’abord la proximité géographique mais aussi les liens de proximité idéologique. De plus, la France est composée d’une importante population espagnole (4) et le gouvernement français, du fait de la non-intervention, ne peut porter secours à son homologue hispanique dont le gouvernement est également issu du Front Populaire. Avant la Retirada, on dénombre trois principales phases d’exodes vers la France, reflétant l’avancée des troupes nationalistes. Dès l’été 1936, 15 000 réfugiés passent la frontière après la prise des Asturies et du Pays basque. En octobre 1937, après la phase finale de la campagne du nord, 125 000 personnes affluent en France et enfin, au printemps 1938 et après l’occupation du haut Aragon, ce sont 45 000 (5) réfugiés qui fuient l’Espagne. Il faut noter que parmi ces exilés, ce sont principalement les femmes, enfants, vieillards et militaires blessés qui restent en France, les autres retournant majoritairement en Espagne pour continuer la lutte, d’autant plus que les autorités françaises favorisent cette solution car ces arrivants sont craints. Il faut rappeler que la France des années 1930-1940 doit faire face à la crise économique et, parallèlement, à une xénophobie croissante. On estime qu’à la fin de l’année 1938, ce sont environ 40 000 réfugiés qui sont restés sur le sol français, tous les locaux disponibles sont donc utilisés, y compris des lieux totalement inadaptés comme des usines désaffectées. Des contingents d’enfants sont envoyés vers l’URSS, la Belgique et la Grande-Bretagne, d’autres restent en France. De 1936 à 1938, les mesures prises par le gouvernement français constituent donc une succession de politique d’accueil et de durcissements, soit finalement des ajustements, face aux pressions tant extérieures qu’intérieures subies par le gouvernement.

La quatrième vague de réfugiés est la plus importante en terme de nombre puisqu’elle concerne environ 400 000 individus (6). La Retirada, soit la retraite des républicains et des populations craignant le franquisme, démarre le 26 janvier 1939 avec la chute de Barcelone, principal fief républicain. Les principaux points de passage à la frontière sont situés dans le département des Pyrénées-Orientales, parmi eux on trouve entre autre La Perthus, Cerbère, Bourg-Madame et Prats-de-Mollo. Cette frontière n’est ouverte que progressivement ; en effet, au départ, elle reste fermée, des troupes de police et des tirailleurs des colonies, notamment sénégalais et maures (7) empêchant le passage. Le 28 janvier, le gouvernement décide de l’ouvrir aux civils, et finalement, le 5 février, la frontière est ouverte pour tous. Dès les premiers jours du mois de février, les autorités républicaines battent en retraite, comme leurs troupes, conscientes que la résistance est devenue vaine. Parmi les représentants de l’Espagne républicaine, le président Manuel Azaña trouve notamment refuge en France. Au sein de la population française et du gouvernement, l’accueil des réfugiés est loin de faire consensus et les oppositions sont des plus visibles dans les journaux. La gauche érige majoritairement les réfugiés en héros, tandis que la droite, notamment la plus extrême, les dénonce comme « armée du crime » et « bêtes carnassières » (Candide, 10 février 1939).

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Deux visions bien différentes des réfugiés républicains espagnols.

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Confrontation de deux journaux de tendances différentes :

 L’Humanité, journal communiste, est pour l’ouverture des frontières françaises face à l’immigration, parlant notamment de l’« héroïsme » des troupes espagnoles. Le Matin, journal de droite, prône à l’inverse la fermeture des frontières face à une « invasion » espagnole.

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.On peut dire que la Retirada est la première application à grande échelle de décrets qui se succèdent déjà depuis une année, concernant le traitement des étrangers dits « indésirables ». La décision d’envoyer ces derniers dans des « centres spéciaux » dans lesquels ils devront être surveillés en permanence est prise bien avant février 1939. En témoigne la première loi sur l’internement administratif de ces « indésirables », soit hors du cadre judiciaire, parue le 12 novembre 1938. Le 10 février 1939, le gouvernement français déclare que « tout réfugié entré clandestinement en France devra être dirigé, s’il s’agit d’un homme valide, sur le département des Pyrénées-Orientale et mis à la disposition du préfet dûment avisé, en vue de son internement dans les camps qui viennent d’y être aménagés » (8). Le transfert commence donc rapidement et les routes entre la frontière et les camps deviennent aussi éprouvantes que l’arrivée des réfugiés fuyant la guerre, les population devant subir le froid, le manque d’eau et de nourriture. Plusieurs récits de réfugiés témoignent plus tard de la désillusion que ces populations ont subies face à la France qu’ils se représentaient comme celle des droits de l’homme mais qui leur a pourtant fait subir des humiliations et des souffrances physiques importantes, réitérées dans les camps de plage vers lesquels ils font route. Les principaux sont Argelès-sur-Mer, Le Barcarès et Saint-Cyprien. Les conditions de vie y sont très précaires puisque dans un premier temps, il n’y a que très peu voire aucun baraquement sur ces plage, peu ou pas d’eau et des barbelés omniprésent. En définitive, les réfugiés sont traités par les autorités françaises comme des criminels devant se soumettre de façon brutale aux ordres ; « Parmi toutes les humiliations, aucune n’a été plus perceptible que celles qui nous ont été infligées par ces barbares » (9). Après quelques semaines, les camps deviennent plus organisés avec une sensible améliorations des conditions de vie : l’eau potable se généralise, les baraquements sont de plus en plus nombreux et des sanitaires sont construits. Une partie des internés est tout de même déplacée, notamment vers Bram dans l’Aude, Agde dans l’Hérault, Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales, Septfonds dans le Tarn-et-Garonne et Gurs dans les Basses-Pyrénées. Partout, le manque de place et d’aménagements domine. Avec la guerre et l’armistice, les camp se spécialisent progressivement et les républicains sont rejoints par tous types d’« indésirables », français ou étrangers, gênant le régime de Vichy.

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La situation politique interne à la France durant l’entre-deux-guerres est caractérisée par une instabilité ministérielle importante, ainsi que par un climat d’affrontement politique et social engendré par la montée des extrêmes. L’arrivée du Front Populaire est synonyme de nouveau souffle et d’apaisement avec notamment la mise en place de réformes sociales avantageuses et conséquentes. On constate, malgré cette amélioration, une fragilité notable de la IIIe République qui se manifeste tout au long de la période, avec particulièrement l’erreur commise par le régime et les responsables politiques d’adopter sans cesse une position pacifiste face à des signes avant-coureurs d’un nouveau conflit mondial. Depuis l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir en Allemagne, les relations entre les deux pays n’ont pourtant jamais été bonnes, mais, enlisée dans son immobilisme, la France ne réagit pas à des actions pourtant inadmissibles perpétrées par le régime nazi mais également par d’autres États autoritaires. Cette paralysie peut être due au traumatisme de la Première Guerre mondiale que la France peine à dépasser, mais il ne faut pas omettre l’importance du positionnement de ses alliés, notamment celui du Royaume-Uni qu’on peut qualifier de décisif. En effet, les deux pays prônant le pacifisme ne cessent de se conforter l’un et l’autre dans cette voie, sans pourtant que cette politique n’aboutisse à une amélioration des relations européennes. Ce poids britannique prééminent s’illustre au moment de la guerre civile espagnole, Léon Blum allant jusqu’à proposer le pacte de non-intervention. Il faut dire que la France ne peut se permettre de perdre les alliés qui lui reste dans un contexte de tensions de plus en plus importantes et de guerre internationale officieuse sur le territoire espagnol avec l’implication de toutes les puissances européennes qui menacent les démocraties libérales, à savoir l’URSS communiste, l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. Les mesures qui sont prises par la France sont nombreuses, surtout durant les années 1930, mais elles ne sont toujours qu’internes.

En Espagne, le camp nationaliste et, de fait, l’Allemagne et l’Italie, vainc le camp républicain soutenu timidement par la France, l’URSS s’étant déjà retirée face aux pressions allemandes. L’on peut se demander si la France aurait été ainsi débordée par les marées humaines qui traversent la frontière en avril 1939 si son soutien à son homologue du Front Populaire hispanique avait été plus franc. Quoi qu’il en soit, les dirigeants français préparent l’arrivée des étrangers « indésirables » avant même la Retirada, par des lois qui donneront lieu à l’internement massif des républicains espagnols dans des camps de plage au départ puis dans les terres, au sein de camps spécialisés. Il faut retenir que la Retirada n’est que l’application à grande échelle de mesures qui sont prises des mois plus tôt et appliquées aux populations allemandes et autrichiennes notamment, fuyant l’autoritarisme et la répression. La déclaration de guerre du 3 septembre 1939 et le déroulement du conflit jusqu’à la défaite française de 1940 illustre une fois de plus la non- intégration par les dirigeants français des changements idéologiques, des modifications du fait guerrier et des nouveaux enjeux que comportent les dissensions internationales durant les années 1930. L’ensemble des réponses inadaptées décidées par le gouvernement mènent à la mise en place du régime collaborationniste de Vichy et à l’utilisation des camps, jusque là considérés comme des mesures exceptionnelles, comme instruments de répression et base de son autorité.

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(1) Pruja J-C., De la république aux camps de l’exil : La guerre d’Espagne, réfugiés dans les Pyrénées et sur la côte catalane, Villegranche-de-Rouergue, éditions Alan Sutton, 2009, p.126

(2) Léon Blum, Ibid., p.74

(3) Ibid., p.76

(4) 250 000 personnes soit la troisième population étrangère la plus importante selon Peschanski D., Les camps français d’internement (1938-1946)- Doctorat d’état, Université Panthéon – Sorbonne – Paris I, 2000, p.31.

(5) Ibid., p.40 – tous les chiffres de ce paragraphe sont issus de la même source

(6) Nombre qui varie de 300 000 à 550 000 selon les estimations, 400 000 étant le plus probable – chiffre donné lors de la conference de Guillaume Agullo, directeur du musee départemental de la Résistance et de la Déportation de Toulouse

(7) Peschanski D., op. cit., p.57

(8) Dreyfus-Armand G., L’exil des Républicains espagnols en France : de la guerre civile à la morte de Franco, Paris, Albin Michel, 1999, p.19

(9) Eulalio Ferrer, Derrière les barbelés. Journal des camps de concentration en France (1939), Limonest, L’interdisciplinaire, 1993, p.81, citégalement dans . Peschanski D., op. cit., p.57