Entre prise de responsabilité, reconnaissance et deuil

Page précédente…

La fin de la guerre et la découverte des camps

Le 6 juin 1944, les troupes alliées du Royaume-Uni, des États Unis et du Canada réussissent leur offensive et ainsi le débarquement en Normandie, débarquement qui est considéré comme le début du processus de la Libération de la France. Ce débarquement sera suivi le 15 août 1944 par le débarquement de Provence, qui permettra la libération de la France par l’Ouest et le Sud. Le 25 août, Paris est libéré, d’abord grâce à l’action des FFI ( Forces françaises de l’intérieur), mais aussi grâce au soutien des Parisiens, notamment par les grèves de cheminots, de gendarmes, puis de policiers, ceci conduisant à une grève générale le 18 août. Cette libération s’achève avec l’arrivée de l’armée française de libération, soit la deuxième division blindée du général Leclerc et la quatrième division d’infanterie américaine du général Barton qui vont anéantir les dernières positions et centres de résistance allemands. Le général Leclerc reçoit ainsi la capitulation du commandant des forces allemandes de Paris à la gare Montparnasse. Après cela il s’installe au ministère de la Guerre, rue Saint-Dominique, et y établit le siège de la Présidence du Gouvernement. Le général de Gaulle s’y installe également, dans le même bureau qu’il occupait jusqu’au 10 juin 1940, ceci voulant signifier que le gouvernement de Vichy n’était qu’une parenthèse et que la République n’a jamais cessé d’exister. Ce dernier se rend ensuite à l’Hôtel de ville pour prononcer un discours dans lequel il insiste sur le rôle qu’ont joué les Français dans leur propre libération : « Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. »1. Ceci conduisant au 26 août à la marche sur les Champs-Élysées, où il fleurira la tombe du soldat inconnu. Le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), créée le 3 juin 1944, est alors transféré à Paris. L’installation officielle de ce gouvernement marque la fin du régime de Vichy. Le 20 août, le maréchal Pétain a été contraint de quitter la France pour s’installer dans le sud de l’Allemagne à Sigmarigen, tandis que Laval a été démis de ses fonctions et a été conduit à Belfort par les Allemands. La fuite de ces derniers et la libération de Paris le 25 août destituent définitivement le régime de Vichy. Le gouvernement provisoire de la France est reconnu par tous les alliés le 23 octobre 1944. Ce gouvernement provisoire de la République française sera le gouvernement de la France du 3 juin 1944 au 27 octobre 1946, jusqu’à l’entrée en vigueur des institutions de la Quatrième République.

La capitulation de l’Allemagne nazie est obtenue le 8 mai 1945, grâce à l’avancée des alliés jusqu’à Berlin de 1944 à 1945. Alors qu’ils s’avancent en Europe par une série d’offensives, ces troupes alliées, que ce soit les troupes soviétiques avançant vers l’Ouest ou les troupes américaines et britanniques avançant vers l’Est, découvrent, les camps de concentration de Pologne et d’Allemagne et leurs dizaines de milliers de prisonniers restants. La découverte de ces camps par ces troupes est un peu due au hasard, ces camps se trouvant sur leur chemin. Il n’existe donc pas de processus spécifique à la libération de ces camps : ce sont en effet souvent de petits détachements qui les ont découverts de façon fortuite. Ces camps sont, pour la plupart, souvent déjà évacués, et les preuves ont été détruites à la hâte. En effet, constatant l’avancée des armées alliées, les nazis ordonnèrent l’évacuation des camps. Ainsi des milliers d’hommes et de femmes se sont retrouvés sur les routes. Affamés et affaiblis, beaucoup moururent d’épuisement ou exécutés par les SS, ne pouvant plus avancer, donnant ainsi le nom de « marches de la mort » à ces évacuations. Les forces soviétiques, en libérant le camp de Majdanek près de Lublin en Pologne en juillet 1944, furent les premières à pénétrer dans un camp de la mort, et durant l’été 1944, elles découvrirent les sites des camps de Belzec, Sobibor et Treblinka, bien que ces camps aient été démantelés par les allemands en 1943. Au camp de Majdanek, les allemands ont tenté de dissimuler les preuves du génocide un peu en catastrophe, ayant été surpris par la rapidité de l’avancée des troupes soviétiques. Ainsi le four crématoire fut détruit, cependant les chambres à gaz, dans la hâte, furent laissées intactes. Les soviétique libérèrent également Auschwitz le 27 janvier 1945. Bien que les allemands aient emmené la majorité des détenus dans les marches de la mort, les soviétiques trouvèrent encore dans le camp quelques milliers de prisonniers. Ainsi, c’est 7650 personnes qui sont retrouvées contre 200 000 avant l’évacuation2. Bien que les allemands aient détruit beaucoup de preuves avant de laisser le camp, il en restait encore bon nombre. Les soviétiques trouvèrent par exemple dans des entrepôts restants les effets personnels des victimes, notamment des centaines de milliers de costumes masculins, plus de 800 000 tenues féminines et plus de 7 tonnes de cheveux humains.3 Dans les mois qui suivirent, les troupes soviétiques libérèrent encore d’autres camps de concentration comme Strutthof, Sachsenhausen et Ravensbrück. Le camp de Buchenwald près de Weimar en Allemagne est, quant à lui, libéré par les troupes américaines le 11 avril 1945, quelques jours après son évacuation par les nazis : ce sont alors plus de 20 000 prisonniers qui y sont découverts. Les troupes américaines libèrent ensuite les camps de Dora-Mittelbau, de Flossenbürg, de Dachau et de Mauthausen. Les troupes britanniques, quant à elles, libérèrent des camps en Allemagne du Nord comme ceux de Neuengamme et de Bergen- Belsen en avril 1945, et elles y trouvèrent environ 60 000 détenus vivants. Cependant 10 000 moururent dans les semaines qui suivirent la libération à cause de malnutrition et des maladies comme le typhus qui y sévissaient.4

En même temps que ces camps furent libérés, les alliés découvrirent ainsi l’étendue des horreurs qui s’y sont produites. Ainsi est découverte la Shoah, ce qu’il est advenu de l’application de la Solution finale. Peu à peu, le monde prend alors conscience de l’existence de ces camps de concentration et d’extermination et des horreurs qui s’y sont produites. Les réactions sont bien entendus indignées. En France, elles le sont aussi. Cependant ce ne sont pas les préoccupations premières, puisque la France est en pleine épuration, période d’agitation où l’on juge ceux soupçonnés de collaboration avec les nazis. Ainsi pour ce qui est des camps français, à la libération de la France, les personnes se trouvant encore dans les camps sont libérées. Cependant ces camps, tels que le camp de Noé, ne seront pas supprimés, ni fermés. Au contraire, ils serviront encore à l’internement de prisonniers, cette fois des prisonniers de guerre, ainsi que de collaborateurs, dans le cadre de cette épuration.

Mise en accusation

Le procès de Nuremberg est l’événement qui a vu la naissance de la notion de « crime contre l’humanité ». C’est en effet l’un des chefs d’inculpation lors de ce procès, intenté par les puissances alliées contre vingt quatre des principaux responsables nazis, en plus des accusations de complots, de crimes contre la paix et de crimes de guerre. Le procès se déroule du 20 novembre 1945 au premier octobre 1946, sous la juridiction du tribunal militaire international qui siège à Nuremberg, alors dans la zone d’occupation américaine. Ce procès aboutira finalement à la condamnation à mort par pendaison de douze condamnés : Martin Bormann5, Hans Frank, Wihelm Frick, Hermann Göring6, Alfred Jodl, Ernst Kaltenbrunner, Wihelm Keiteil, Joachim von Ribbentrop, Alfred Rosenberg, Fritz Sauckel, Arthur Seyb-Inquart et Julius Streicher, et à des peines de prisons à perpétuité pour Karl Dönitz, Walther Funk, Rudolph Hess, Konstantin von Neurath, Erich Raeder, Baldur von Schirach et Albert Speer, tandis que quatre autres accusés sont acquittés. Le choix des accusés devant répondre de ces crimes a été limité par l’absence de plusieurs hauts responsables nazis, soit par leur mort, soit par leur fuite. Ces dirigeants du Troisième Reich sont alors jugés par un tribunal composé de délégations de magistrats américains, anglais, soviétiques, ainsi que français. Delphin Debenest fait alors partie de la délégation française à Nuremberg. En tant qu’avocat général chef de section, c’est à dire procureur-adjoint, ce dernier explique le travail des magistrats à ce procès : « Les ministères publics se partageaient l’accusation de la façon suivante : le premier chef d’accusation fut pris par les États-Unis, le deuxième par l’Angleterre, la France et l’URSS se partageaient les troisième et quatrième chefs d’accusation. La France se chargea particulièrement des crimes commis dans la partie ouest de l’Europe, d’après une ligne tracée du nord au sud et passant par Berlin, l’URSS des crimes commis à l’est de cette ligne. ». Delphin Debenest explique ensuite la tâche précise de la délégation française : « La tâche de notre Délégation était donc de présenter et soutenir l’accusation non seulement des crimes commis en France et dans d’autres pays sur des Français, mais encore des crimes commis en Belgique, en Hollande, au Luxembourg, au Danemark et en Norvège ainsi que des crimes commis dans la partie occidentale de l’Allemagne sur des étrangers. ». Ces crimes, c’étaient : « la déportation, les tortures, les massacres, les destructions de villes et villages, la lutte sauvage contre le maquis, les mauvais traitements aux prisonniers de guerre, le travail obligatoire en Allemagne, le pillage économique et la tentative de nazification et de germanisation des pays occupés. »7. La France a donc bien participé à ce procès, mais plus particulièrement sous le chef d’inculpation de « crime contre l’humanité ». Ce chef d’inculpation est, comme dit précédemment, une grande innovation dans le droit international. D’après le Statut du Tribunal militaire international, et en application de l’accord de Londres signé par les alliés le 8 août 1945, voici quelle en est la définition : « Les crimes contre l’Humanité : c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux ». La notion de crime contre l’humanité recouvre le crime de génocide, ici donc, la Shoah. Déclaré imprescriptible, le crime contre l’humanité a été le fondement juridique de nombreux procès postérieurs à Nuremberg, comme ce sera le cas en France. Cependant en France, cette notion n’intervient pas tout de suite dans les procès d’immédiat après guerre.

Une volonté d’épuration

Dans l’immédiat après guerre en France se fait une épuration, celle-ci se déroulant de façon plus ou moins violente. Cette épuration peut se traduire par des procès pour collaboration avec les allemands, mais aussi par des violences collectives non contrôlées contre des collaborateurs. Parmi les procès des collaborateurs du régime de Vichy, citons le procès du Maréchal Pétain le 23 juillet 1945, et ceux de Joseph Darnand et de Pierre Laval, tous deux condamnés les 3 et 9 octobre 1945 à mort par la Haute Cour de Justice. Le Maréchal Pétain est lui aussi condamné à mort, mais il est gracié en raison de son âge8. Cependant, les motifs de ces procès ne prennent que peu en compte la participation de ces hommes à la déportation des juifs de France qui a entraîné leur élimination, même dans le motif de « collaboration ». Laval et le Maréchal Pétain sont jugés pour Haute trahison, complots et collaboration avec l’Allemagne, et ainsi absolument pas du chef d’inculpation « crime contre l’humanité », ce qui pourrait être le cas au vu de leur participation. La Shoah est pourtant connue des français, seulement on peut supposer que les procès ont été fait de façon assez rapide, afin d’essayer de revenir assez rapidement à un climat de calme. Il faudra alors attendre les années 80 pour avoir en France la notion de « crime contre l’humanité » comme chef d’accusation, avec les procès de Klaus Barbie en 1987, de Paul Touvier en 1992, de Maurice Papon en 1997, et d’Alois Brunner en 2001, tous les quatre condamnés à la prison à perpétuité.

Dans le cadre de cette épuration, les camps d’internements français sont utilisés pour procéder à l’internement administratif de tous ceux qui sont accusés d’avoir collaboré, en plus de la présence de prisonniers de guerre allemands. Ainsi les camps qui avaient servi à l’internement des juifs en vu de leur déportation servent à nouveau, ceci à la suite de l’ordonnance du 4 octobre 1944 qui autorise les préfets à procéder à l’internement de ces personnes, jugées dangereuses, jusqu’à la cessation des hostilités. En décembre 1944, le ministère de l’intérieur donne alors une liste de 171 sites d’internement, regroupant les camps, mais aussi des casernes, des châteaux, un lycée, ces derniers sites pour assurer l’internement dans des régions qui n’avaient pas de camps9. Dans la région parisienne, les personnes soupçonnées d’avoir collaboré sont rassemblées au vélodrome d’Hiver, au camp de Drancy et à la prison de Fresnes. Dans la région Toulousaine, c’est le camp de Noé qui sera mis à contribution10. Les données de l’époque du ministère de l’Intérieur, conservées aux archives nationales estiment ainsi le chiffre d’internés à environ 49 000 en décembre 1944, à 39 000 en juillet 1945 et enfin à 4200 en décembre 1945. Ceci sans compter les 1 065 000 prisonniers de guerre allemands11, qui sont internés en France en 1945, et dont les derniers seront libérés en 1948. Le dernier interné dans le cadre d’un soupçon de collaboration sortira fin mai du camps des Alliers en Charente. Les conditions de vie dans ces camps pour ces nouveaux internés furent à peu près les même que pour les juifs et les résistants auparavant : l’hygiène y est déplorable et la nourriture est loin d’être en abondance et de bonne qualité. Les camps sont alors dirigés par des résistants, mais parfois le personnel qui assurait l’encadrement des internés pendant l’occupation est exactement le même, comme ce fut le cas pour le camp de Noé12.

Ainsi, dans cet immédiat après guerre, de nombreuses mises en accusation sont faites à l’échelle européenne pour crime contre l’humanité, mais cette notion ne sera utilisée que plus tard en France, car celle-ci est en pleine procédure pour juger ceux qui ont collaboré avec le régime nazi et trahi la nation. C’est dans ce climat que les survivants à la déportation vont être rapatriés et vont tenter de se reconstruire.

Lire la suite…

1http://www.charles-de-gaulle.org

2www.deportations.free.fr

3Encyclopédie Multimédia de la Shoah (www.ushmm.org/fr/holocaust-encyclopedia)

4Encyclopédie Multimédia de la Shoah (www.ushmm.org/fr/holocaust-encyclopedia)

5Condamnation par contumace.

6Se suicide avant l’exécution de la sentence.

7Propos tenus lors d’une conférence prononcée à Poitiers le 3 juin 1946, pendant un bref séjour en France.

8 Alors âgé de 89 ans.

9 Peschanski Denis, La France des camps : l’internement 1938-1946, Paris, Gallimard, 2002.

10 Malo Eric, Le camp de Noé (Haute-Garonne) de 1941 à 1944, Annales du Midi, no 183,‎ 1988, p. 337-352.

11 Selon la Direction générale des prisonniers de guerre (DGPG).

12 Malo Eric, Le camp de Noé (Haute-Garonne) de 1941 à 1944 , Annales du Midi, no 183,‎ 1988, p. 337-352.