Les camps soviétiques
Pour comprendre la création du Goulag, il faut remonter en 1917 où deux révolutions éclatent en Russie. Le Tsar Nicolas II abdique et les événements sont difficiles à contrôler. Un gouvernement provisoire est mis en place avec comme chef Alexandre Kerenski. Peu avant la fin de la Première Guerre mondiale un mouvement Bolchevik voit le jour avec comme meneur, Lénine. Suite au coup d’État qui eut lieu le 25 Octobre 1917, Lénine se retrouve à diriger la Russie. Une guerre civile éclate suite à son coup d’État et l’armée Blanche se bat contre l’armée Rouge de Lénine dirigée par Trotski.
En 1921 une paix relative voit le jour, c’est dans ce contexte que les premiers camps de travail soviétiques apparaissent à la hâte pour pouvoir enfermer tous les opposants à la politique de Lénine. Leur but est de leur faire faire des travaux forcés les plus durs et désagréables possibles et de confisquer tous leurs biens, mais aussi de les transformer en bons Soviétiques. Les premiers camps sont des prisons déjà utilisées pour les prisonniers judiciaires et une liberté de mouvement se crée grâce aux gardiens qui ne sont souvent pas expérimentés en raison du mouvement communiste. Par exemple, un bourgeois Russe pouvait se trouver prisonnier et son chauffeur devenir son gardien de prison1. Le 4 juin 1918 une solution au surpeuplement des prisons fut trouvée par Trotski : un camp de concentration ; prisons extérieures où la « bourgeoisie » serait mobilisée et organisée en bataillons arrières pour accomplir des tâches subalternes (nettoyage des casernes, des camps, des rues, creuser des tranchées, etc..). Ceux qui refusent sont mis à l’amende et placés en état d’arrestation jusqu’à ce qu’ils versent l’amende en question. C’est en août que Lénine utilise les mots « camps de concentration », à son tour il prône la « terreur de masse contre les koulak2, prêtres et les gardes blancs » qui seront internés dans un camp de concentration hors de la ville.
Entre 1920 et 1923 on compte 84 camps avec 25 000 prisonniers environ, mais la place commence à manquer et les camps spécifiquement soviétiques sont créés. En 1923, les camps des îles Solovki sont des modèles pour le régime Soviétique. A partir de 1927 le pouvoir de Staline s’accroît et un grand tournant de la planification de l’économie et la collectivisation s’effectue. Le régime est une répression organisée et systématique. En 1928 la commission Lanson est chargée par le politburo3 de réfléchir à l’organisation générale des camps de travail. Naftaly Frenkel, chef de camp, trouve un moyen de faire des camps une institution économique rentable pour attirer l’attention de Staline. Le système de Frenkel consiste à payer le travail fourni par les détenus en nourriture selon trois groupes :
– Capable d’un travail lourd : 800g de pain et 80 g de viande
– Capable d’un travail léger : 500 g de pain et 40 g de viande
– Les invalides : 400 g de pain et 40 g de viande
Ce système partageait rapidement les détenus entre eux, selon leurs tâches accomplies et si le quota de travail était atteint. Grâce à Frenkel, le travail des prisonniers changea ; ils pratiquaient l’élevage des bêtes à fourrures, la culture des plantes tropicales, la construction de routes et l’abattage des arbres. Ensuite, les camps évoluèrent vers une rentabilité économique du travail. C’est ainsi que se développa l’archipel des Iles Solovik, jusqu’à Arkhangelsk.
Par un décret officiel du 7 avril 1930, Staline et son gouvernement fondèrent l’instruction connue sous le nom de Goulag, confiant la gestion à la Guépéou4, au NKVD5 et au MVD6. Le nombre de camps augmente et ces derniers sont ouverts en Russie d’Europe, en Sibérie, en Biélorussie, Ukraine, Kazakhstan, Mongolie et plus tard en Hongrie, Pologne et Tchécoslovaquie. Face au boycott des produits soviétiques à l’étranger, Staline renomme les camps de concentration en camps de redressement par le travail7. Avec l’instauration du Goulag, la répression est encore plus féroce. Le 7 juillet 1932 la loi prévoit la peine de mort ou le Goulag. Entre 1930 et 1932, 2 millions de koulaks sont déportés dans des villages où ils sont exilés puis 100 000 sont internés dans le Goulag. Un quota par région et catégories est établi auprès des dirigeants par Staline. Ils furent dépassés très vite ; 380 000 déportées et 387 000 personnes furent fusillées. Les koulaks constituent, à la fin de l’année 1940, près 90 % des déplacements spéciaux. Au même moment, le phénomène des camps visible dans les pays autoritaires commence à naître dans les pays démocratiques.
Le cas des démocraties : la France
Pendant l’entre-deux-guerres, des centaines de milliers d’hommes et de femmes se réfugient en France. Cela commence par les russes après le coup d’État des Bolchéviks en 1917, puis des Italiens qui fuient le fascisme en 1920, les allemands après la montée au pouvoir d’Hitler en 1933 et enfin les espagnols républicains qui fuient la dictature de Franco. Comme l’arrivée des étrangers ne s’arrêtait pas, le 2 mai 1938 est mis en place un décret qui limite l’entrée des étrangers en France et les oblige à rester chez eux (assignation à domicile). Le 18 novembre 1938, un autre décret renforce les dispositions misent en place dans le décret précédent. Il précise que les étrangers jouissent d’une trop grande liberté avec l’assignation à résidence, par conséquent ils seront surveillés en permanence. Donc, dans le cadre du durcissement de la politique française d’immigration liée à la crise économique, politique et sociale, le gouvernement français crée pour la première fois des camps pour les étrangers sous le prétexte qu’ils représentent un danger pour l’emploi et pour la paix.
Le 26 janvier 1939, Barcelone tombe aux mains de Franco, ainsi des milliers d’espagnols (hommes, femmes, enfants, vieillards) émigrent en France. La France ne voulait accueillir que 3000 enfants espagnols mais devant cette « ruée folle », le gouvernement français accueille tout le monde et place les réfugiés dans des camps. Dans cinq camps précisément ; Argelès qui accueille 77 000 personnes, Saint Cyprien qui en accueille 90 000, Barcarès en prend 13 000, Arles sur Tech et Prats-De-Mollo qui accueillent à tous les deux 46 000 réfugiés, soit au total 226 000 espagnols sont internés8.
Les camps français sont d’abord des camps d’accueil et non pas des camps de concentration ni de travail. Les premiers camps donnaient à ces détenus des occupations sportives et culturelles comme par exemple des cours de langues. A partir de 1939, des aides humanitaires peuvent pénétrer dans les camps afin d’apporter du soutien médical et alimentaire aux détenus. De plus des comités participent à l’aide aux réfugiés, comme le comité international de coordination et d’information pour l’aide à l’Espagne. Mais cela reste quand même des camps avec des problèmes d’hygiènes, de maladies, de nourriture. De plus, les réfugiés sont quand même contrôlés et isolés par l’armée car la république se méfie d’eux. Mais comme c’est un camp d’accueil on cherche en permanence à améliorer les conditions de vie des détenus, avec la mise en place de latrines ou encore le traitement des déjections. Enfin, les camps se videront progressivement ; de nombreux espagnols repartiront en Espagne entre avril et octobre 1939, d’autres s’engageront dans la légion étrangère ou dans le groupe des travailleurs étrangers en 1940.
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1APPLEBAUM A. Goulag, une histoire,Grassert, 2003
2 Paysans riches
3 Bureau politique créé en 1919
4 Police d’Etat Soviétique
5 Commissariat du peuple aux affaires intérieures
6 Ministère des affaires intérieures
7 APPLEBAUM A. Goulag, une histoire,Grassert, 2003
8 KOTEK J. RIGOULOT P. Le siècle des camps : détention, concentration, extermination : cent ans de mal radical, Paris , JC Lattès, 2000