Rivesaltes : le centre d’enfermement

Le camp Joffre de Rivesaltes a connu une troisième mission : il a été aussi un camp d’enfermement. Tout d’abord en septembre 1944, il a été un Centre de Séjour Surveillé , puis un dépôt de prisonniers de guerre en 1944, ensuite un centre pénitentiaire des membres du FLN en 1962, et enfin un centre de rétention de 1986 jusqu’en 2007.

Après la Libération, la France a adopté une politique qu’on appelle « Épuration » c’est-à-dire une politique de répression et d’enquêtes contre les personnes ayant collaborées avec les autorités nazies. Au final, c’est plus de 350 000 enquêtes qui sont menées et 1 600 personnes sont condamnées à mort, 44 000 personnes sont condamnées à une peine de prison et 50 000 personnes sont condamnées à la dégradation nationale (ordonnance du 26 septembre 1944 qui a créée de nouveaux crimes dont celui de l’indignité nationale).

C’est ainsi dans ce contexte que le 12 septembre 1944, le CSS (Centre de Séjour Surveillé) a ouvert ses portes pour une durée de quinze mois seulement sur l’îlot Q. Ainsi, deux populations ont cohabi dans le centre : les personnes arrêtées par les résistants ou le nouveau gouvernement, et les Allemands nazis. Dans le centre, on a pu y trouver des membres de la Milice, du Parti populaire français, des membres de la Légion, des volontaires français et des collaborateurs. Il y a eu aussi 400 Russes qui y ont séjourné à la fin 1945 mais aussi un groupe d’Espagnols fascistes et des Républicains sans papiers.

Dans le centre, il y avait de nombreux problèmes entre les gardiens et les internés. On y voyait l’apparition du marché noir et surtout de nombreux abus sexuels sur les femmes internées au début de l’ouverture du camp. La mauvaise surveillance des soldats, et le mauvais état du bâtiment causa 51 évasions entre décembre 1944 et août 1945. En 1945, il y avait 381 Français, 87 Françaises et 44 étrangers soit 512 personnes et au final et environ 3 000 personnes ont été internées dans le centre.

Finalement, en 1945, la politique d’épuration prend progressivement fin et l’État français décida de fermer tout les Centres de Séjours Surveillé. Ainsi, celui Rivesaltes a fermé le 25 décembre 1945 et les derniers détenus ont été transférés dans le camp de Noé.

Après la Libération, le nombre de prisonniers de guerre augmente considérablement et, en avril 1945, Rivesaltes devient un dépôt de prisonniers de guerre afin de recevoir les combattants capturés par l’armée française ainsi que les Alliés.

Ainsi, le Dépôt de Prisonniers de Guerre n°162 a été dirigé par les autorités militaires et a été construit parallèlement au CSS de Rivesaltes. Les premiers prisonniers allemands sont arrivés en août 1944 sous la surveillance des FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) locaux. Parmi les prisonniers il y avait aussi des Autrichiens, des Hongrois et des Italiens et on y comptait au total environ 10 000 détenus en octobre 1944, et entre 6 000 et 7 000 en mai 1945. Le principal problème était qu’ils avaient tous des opinions politiques totalement différents, se qui pouvait provoquer une cohabitation difficile.

Les traitements ont été différents selon les détenus. En effet, les Allemands recevaient un traitement beaucoup moins cordial par rapport aux Italiens. Très vite, les prisonniers ont été condamnés à reconstruire les lieux de la région détruits par le passage des Allemands. En 1946, on a pu recensé 1 814 prisonniers de guerres allemands travaillant dans des Kommandos qui a été sujet à de nombreuses protestations de la part de la population roussillonnaise car les prisonniers n’étaient donc pas enfermés. Rapidement, les conditions de vie se sont dégradées dues à l’arrivée importante de prisonniers et le Secours Populaire a donc fait état du manque d’eau, de la rareté de la nourriture et la dysenteriea fait grimper le taux de mortalité se qui a provoqué le décès de 465 prisonniers en huit mois. Cependant, en 1946 les conditions de vie se sont améliorées grâce aux premières libérations : d’abord les Italiens, puis les Autrichiens et enfin les Allemands. En février 1947, on a recensé 3 368 Allemands travaillant à l’extérieur du camp alors que 500 malades ou punis restèrent dans le camp. De plus, le « camp de prisonniers allemands de Rivesaltes » permet aux entreprises locales d’avoir beaucoup de main d’œuvre à un prix peu coûteux.

Finalement, le DPG n°162 a fermé ses portes le 1er mai 1948 et les détenus sont repartis vers leurs pays d’origine, ou se sont installés dans la région. Le camp Joffre a retrouvé alors sa fonction initiale : il est redevenu un camp militaire.

Pendant la Guerre d’Algérie, le gouvernement a fait prisonnier des militants ou des sympathisants du FLN (Front de Libération Nationale) dans des camps comme celui du Larzac, Valeday ou bien Saint-Maurice-l’Ardoise. Le fort accroissement de ces prisonniers conduit le gouvernement à augmenter les lieux d’incarcération. Ainsi, le 12 février 1962, les premiers détenus sont arrivés au camp de Rivesaltes au nombre de 487. Au sein du camp, la cohabitation avec les Français musulmans est difficile. Pour pallier les différentes agressions, une enceinte de barbelés fut dressée séparant ainsi les deux zones d’habitation. Dès la signature des accords d’Evian, le 18 mars 1962, les 734 membres du FLN sont libérés. Cependant, 219 sont renvoyés en Algérie. A la fin de cette libération le camp est réinvesti par l’armée.

Au vue des nouvelles politiques des années 1980 visant à limiter l’immigration, le camp de Rivesaltes est réquisitionné pour servir de centre de rétention en 1986. Son rôle était déterminant car il s’agissait d’un moyen pour renvoyer les étrangers dans leur pays. Les détenus étaient logés dans des chambres de 9m² avec un simple lit et matelas. L’accès aux sanitaires était restreint à des heures fixes. La CIMADE est intervenue en jouant le rôle de « tampon entre les gens menottés qui ne font, le plus souvent, que traverser la France et des policiers « qui font du chiffre » ».

En décembre 2007, le centre de détention a été délocalisé à côté de l’aéroport de Perpignan dans l’optique de faciliter les départs vers Paris ou l’étranger. Ce transfert marqua l’arrêt définitif des activités du camp de Rivesaltes.

Au final, le camp de Rivesaltes a été bel et bien multi-fonctionnel tout au long de ses sept décennies d’existence. En effet, tout d’abord ouvert dans un but de politique française coloniale, le camp de Rivesaltes s’est vite transformé en outil politique de type concentrationnaire sous Vichy mais aussi en rapport direct avec le contexte européen : Le IIIe Reich. Le camp a aussi favorisé une politique française de décolonisation.

On peut retenir également tout un travail et un devoir de mémoire autour du camp de Rivesaltes avec la mise en place de nombreuses stèles commémoratives et d’un mémorial. Ce devoir de mémoire est très important et comme le dit Christian Bourquin (Président de la région Languedoc-Roussillon (2010-2014), et Sénateur des Pyrénées-Orientales (2011-2014)) : « Un peuple est fort lorsqu’il ose regarder sa pire histoire. Ça n’arrive pas qu’à l’autre bout du monde, c’est arrivé ici. Que ce travail de mémoire serve à notre jeunesse, à tous, à l’humanité ».

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