« La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ». (Unesco : déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet – 6 août 1982.)
Dépeindre sa vie : peinture, caricature, photographie
Paradoxalement, alors que le camp vise à instituer un mode de vie uniformisé, de nombreux internés chassent l’ennui et l’inactivité en ayant une production artistique et intellectuelle accrue. Très vite, l’intérieur des barbelés devient un foyer culturel de taille, mélangeant les mentalités et les populations. On dénote alors une diversité étonnante, comprenant à la fois peinture, dessin, sculpture, photographie ou encore caricature.
Au niveau pictural, le camp est au centre de l’œuvre. Que le peintre représente son environnement physique, ses compagnons (comme le faisait fréquemment Gilberto Corbi), ou encore qu’il effectue une négation des barbelés en occultant toute référence à ceux-ci (Jesus Guillen), il effectue son labeur en comparant le camp à lui-même. A Septfonds, l’œuvre picturale est prolifique.
>> Vidéo Youtube : Au cœur de la culture au camp de Septfonds <<
On se sert des sacs de jute des marchands de chapeaux de la localité, support pratique et fréquent dans le Tarn-et-Garonne, pour peindre.
Parfois, l’abondance et la bonne qualité des œuvres sont telles que ces dernières font l’objet d’une exposition. Ainsi au Barcarès, le 14 mai 1939, un « Palais des Expositions » ouvre ses portes aux visiteurs, à l’intérieur-même du camp. Il présente des œuvres comprenant aquarelles, dessins, peintures, mais aussi sculptures diverses et modélisations miniatures. Cet événement a une influence majeure sur l’extérieur et notamment sur le comité britannique d’entraide aux réfugiés espagnols, qui envoie par la suite du matériel de peinture à l’huile aux internés. Les dessins et les caricatures sont également nombreux. Selon le trait choisi, le joug du camp s’exprime de différentes manières. Le dessin peut témoigner de la dure réalité des conditions de vie, comme le montre Wols dans son Étude pour la puce de 1940. La caricature diffère du dessin. Elle apporte un regard corrosif sur les événements. Pour exemple, l’Espagnol et caricaturiste de profession Luis Garcia Gallo, interné au camp de Judes, croque avec humour la cohabitation de ses amis avec les rats, ces rongeurs du quotidien qui s’immiscent la nuit dans leur baraque.
De son côté, la photographie est un art subjectif au support neutre qui donne, à travers l’angle de prise choisi, l’état d’esprit de son auteur. Ainsi, lorsque Enrique Tapia Jiménez place le barbelé au centre de son objectif, séparant les hommes à sa gauche et les femmes à sa droite, il explicite sans détour la ségrégation qui se fait selon lui à l’intérieur des camps.
Transmission des connaissances et création littéraire
Face à la situation à laquelle sont confrontés les réfugiés et internés, se développe un besoin de transmission des connaissances. Des cours sont organisés par les internés espagnols dès leur arrivée dans les camps. Parmi les enseignants qui entrent en France certains appartiennent à la Fédération Espagnole des Travailleurs de L’Enseignement (FETE). La FETE contribue à l’éducation dans les camps, son rôle dans la mise en place de cours pour les réfugiés est très important.
De nombreux bulletins sont rédigés par des instituteurs afin de transmettre le savoir mais également afin de donner des informations sur les activités éducatives du camp. L’éducation est reconnue par les autorités françaises, la plupart du temps elle est encouragée.
Dans certains camps, sont proposés des cours de français, d’alphabétisation, d’enseignements primaires et prioritaires comme de l’arithmétique, de la géométrie ou encore de la grammaire. Il y a également des cours plus poussés comme en algèbre, en trigonométrie et en sciences. Il y a même des cours d’hygiène et d’éducation sexuelle. A Argelès-Sur-Mer, il y a par exemple jusqu’à 850 élèves étudiant le français. Des conférences sont dispensées après les cours, par exemple à Argelès-Sur-Mer où il y en a près de 99 du 9 au 16 avril pour un public de 6 000 personnes. Il y a également des cours universitaires dans certains camps. Lorsque cela est possible, des baraquements sont transformés en salles de lecture ou parfois des bibliothèques.
Si les activités d’enseignement sont développées pour les réfugiés espagnols, elles le sont beaucoup moins pour les autres prisonniers des camps. Helena Mass déportée au camp de Rivesaltes raconte ainsi que c’est son père qui lui apprenait à lire et qu’elle n’a pas suivi de cours dans ce camp. Plusieurs écrivains ont également écrit pour décrire leurs conditions de vie dans les camps et pour dénoncer leur internement, comme Rudolf Leonhard (1889-1953), lui aussi poète, président de la Société des écrivains allemands en exil, qui a écrit plus de deux cent poèmes durant ses vingt mois passés interné au Vernet.
Evénements spécifiques : orchestres, pièces de théâtre, fêtes
Dans les camps, on constate le développement d’orchestres, de chorales. Des représentations théâtrales avaient également lieu. Aussi, certaines dates historiques pour les réfugiés français et espagnols faisaient l’objet de cérémonies bien particulières.
Dans certains camps, comme à Septfonds, on observe la formation d’orchestres qui sont invités à se produire le dimanche dans le réfectoire, en compagnie de la chorale ainsi que des comédiens du théâtre. Les instruments sont ceux qu’ont apportés les réfugiés suite à leur exode. A Gurs, la chorale d’Oloron va même jusqu’à inviter l’orchestre du camp à se produire à l’extérieur. Ce que le préfet refusera. Les personnes jouent pour tuer l’ennui du quotidien, pour se divertir. Par ailleurs, la musique tient une place importante dans la vie du camp. Chaque camp essaye de constituer sa propre chorale, au Vernet, est recensée une chorale de 70 voix. Les compositions dénoncent les conditions de vie misérables du camp, la douleur liée à l’exode et la politique sévère des autorités du camp. Dans ces compositions, les internés font preuve d’ironie et d’autodérision pour traduire leur pénible et douloureuse situation.
Ensuite, des pièces de théâtre se produisent dans les camps. A Brens est joué l’Amour Médecin de Molière. La plus célèbre pièce de théâtre jouée dans les camps figure à Rieucros en Lozère.Il s’agit d’une reprise insolite de Blanche-Neige. Comme dans le conte, le chasseur doit pour la reine tuer Blanche-Neige. Mais, le chasseur étant sentimental, il préfère la conduire au camp, où personne n’ira la chercher.
Enfin, la célébration des fêtes rythme la vie au camp. Les Espagnols célèbrent le 19 juillet 1936, le début de la guerre civile ou encore le 14 avril 1931 la naissance de la Seconde République. Le 14 juillet 1939, pour le 150e anniversaire de la Révolution française, tout le monde participe. Au camp du Barcarès, un défilé des troupes françaises et espagnoles est organisé, suivi de divers jeux comme colin-maillard, la course en sac. L’après-midi « il y a eu des défilés burlesques de musiques improvisés, de cortèges nuptiaux et de cuadrilla » écrit le commandant du camp de Bram. A Rieucros, des internés avaient gravés dans la pierre deux dates : 1789 et 1939. C’est une manière pour eux de laisser une trace indélébile de leur participation aux événements de la journée du 14 juillet 1939.