Selon Henry Rousso, il est possible de définir la mémoire comme étant « l’étude de l’évolution des représentations du passé, entendues comme des faits politiques, culturels ou sociaux ». La mémoire est un concept qui évolue. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France est en reconstruction et est tournée vers l’oubli. Dans cette période d’après guerre, la priorité est accordée à l’unité de la nation. Les gouvernements provisoires ne reconnaissent pas les crimes de Vichy. Ainsi, rapidement, les politiques mettent en place une mémoire centrée autour de la Résistance.
Le résistancialisme est un mythe assimilé et valorisé par la majorité de la population de l’époque. La France accepte cette idéologie qui se concentre sur la valorisation d’actes héroïques alors qu’une grande partie de ces mêmes Français ont adopté, durant le conflit, un comportement attentiste. Parallèlement au mythe résistancialiste, se développent une mémoire gaullienne et une mémoire communiste. Le parti communiste français (PCF) est considéré comme l’un des principaux partis politiques engagé dans la Résistance (parti des « 75 000 fusillés »). Le PCF a compris le double bénéfice à en tirer : jouer la carte de la Résistance lui assure une place dominante sur le champ politique.
Le général de Gaulle utilise également le mythe résistancialiste comme outil politique. Son but est alors de légitimer la place d’une France résistante pour masquer la désillusion connue lors de la défaite en 1940. La politique mémorielle gaullienne a donc pour objectif de modeler l’image du général pour en faire le héros du conflit. Celui-ci illustre et base sa politique mémorielle autour d’un principe de commémoration et cherche à développer une mémoire nationale et militaire. Il faut alors attendre le début des années 1970 et l’arrivée au pouvoir de George Pompidou pour entrevoir une évolution de la mémoire.
A la Libération, une partie de la population française exerce une vengeance personnelle face aux individus qui ont adopté une attitude collaborationniste. On parle alors d’épuration. Le gouvernement, lui, reste prudent. Il prend la décision de canaliser la partie de la population qui voulait appliquer une vengeance rapide sans faire appel à l’État de droit. Certains groupes ont vu dans l’épuration une forme de sévérité trop importante et ont réclamé une révision de nombreuses condamnations. D’autres, plus catégoriques, jugèrent que l’épuration était un échec. Ainsi, à la sortie de la guerre, la société est divisée et la vie politique, elle, est marquée par une forte instabilité.
Aussi, la mise en place d’un devoir de mémoire fut ralentie par la politique de De Gaulle, qui, tournée vers l’oubli, ne permit pas à certains groupes sociaux de s’exprimer et d’exposer leurs mémoires. Les œuvres littéraires, cinématographiques ou encore les discours officiels appuyèrent la politique de l’époque et empêchèrent donc une évolution de la mémoire. Et ce, d’autant plus lorsque ces œuvres étaient censurées, même partiellement, comme ce fut le cas pour le documentaire d’Alain Resnais, Nuit et Brouillard, sorti en 1955, censuré lors du festival de Cannes de 1956.
La mémoire des camps d’internement du Sud-Ouest de la France, quant à elle, est une mémoire compliquée à identifier. Celle-ci est peu mise en valeur et ne pèse que très peu face à la domination du mythe résistancialiste. Après la guerre, l’État utilise les camps du Sud-Ouest comme centres de formation (pour les harkis ou les étrangers par exemple), comme camps de transit ou encore comme camps de reclassement ou bien les restitue à ses propriétaires. Le camp de Rivesaltes illustre bien cette « réutilisation ». Les différents gouvernements, qu’ils soient provisoires ou non, n’agissent pas dans l’objectif d’une valorisation mémorielle des internés et des camps. Les seules actions présentent durant cette période se réalisent au niveau local tandis que les traces de mémoire sont peu nombreuses (des photographies d’internés par exemple). La mémoire des camps ne peut donc émerger face à la politique mémorielle gaullienne qui n’est pas propice, tant pour la société que pour les scientifiques, à un début de travail mémoriel. Il faut ainsi attendre le « réveil mémoriel » des années 1970-1990 et l’effacement du mythe résistancialiste pour permettre une première réflexion autour des camps.
La période de 1970 à 1990 marque un tournant. Georges Pompidou (1969-1974), le nouveau président mène une politique qualifiée de « néo-gaulliste ». Sous cette présidence, la politique mémorielle est remise en question mais ne semble toujours pas sortir de la période du résistancialisme. Des censures ont encore lieu, comme l’interdiction aux historiens d’accéder aux archives par exemple. Toutefois, la mémoire résistante est moins prônée que par le passé. En effet, des résistants ou encore des anciens membres du parti communiste et gaulliste ont, par la publication d’ouvrages ou par le biais de discours, contribué à la remise en question du mythe résistancialiste et ont amené « l’envie de savoir » au sein de l’opinion publique.
Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) a appliqué une politique assez similaire à celle de son prédécesseur. Nous pouvons cependant relever le choix du gouvernement « d’abandonner » les mémoires de la Résistance ainsi que celles des combattants de la Seconde Guerre mondiale en décidant de ne plus fêter le 8 mai (finalement restauré sous Mitterrand). Mais le gouvernement n’arrive pas à faire face aux demandes venant de différents milieux qui souhaitent voir « leurs mémoires se développer ». Néanmoins, la décision d’ouvrir les archives en 1979 est une première avancée.
Sous le double mandat de François Mitterrand (1981-1995), nous assistons à la « victoire » de la mémoire de la Shoah et à l’effondrement du résistancialisme. Une nouvelle dynamique est alors observable, notamment au niveau des programmes scolaires, qui prennent désormais en compte l’holocauste et les années sombres en France. En parallèle, les lieux de mémoires se multiplient. Néanmoins, des tensions persistent, la politique mémorielle n’arrive toujours pas à convaincre l’ensemble de l’opinion publique.
De plus, entre 1970 et 1990, l‘envie de savoir se développe au sein de l’opinion publique. Les productions artistiques illustrent bien cette volonté de comprendre les années sombres, amenant ainsi à une révision progressive des mémoires de la Seconde Guerre mondiale. De nombreuses personnes se fédèrent dans des associations, pour permettre à leur mémoire de « percer » et ainsi d’obtenir une plus grande place dans la politique mémorielle. Il est important aussi, d’évoquer des actions personnelles retentissantes qui ont permises, par leur « audace », de changer peu à peu les mentalités ou du moins d’interpeller l’opinion publique. Nous pouvons alors penser à Béate Klarsfeld.
Néanmoins, nous assistons au cours de ces vingt années à un certain « floutage » des mémoires de la Seconde Guerre mondiale. Cela résulte des revendications mémorielles toujours plus importantes émises par certains groupes mémoriaux, amenant alors à une division de l’opinion publique. Ainsi, à la fin des années 80, les mémoires du conflit ne sont toujours pas apaisées et font encore l’objet de controverses au sein de la société française.
Il semblerait que pendant cette période, les camps d’internements du Sud-Ouest, soient « oubliés » surtout entre 1980 et 1990. Un grand nombre de camps, qui avaient été reconverti sont désormais fermés, et les terrains laissés en friche finissent par tomber dans l’oubli. Dans les années 1990, les premiers ouvrages scientifiques sur ces camps paraissent et permettent de faire émerger un questionnement sur la mémoire des camps. Il est important de relever que ce peu d’information sur ces derniers semble paradoxal. La période de 1970 à 1990 reste donc au niveau des camps relativement floue et complexe à traiter à cause d’un manque d’information sur ces derniers.
Les années 1990 débutent avec deux premières avancées mémorielles : premièrement, la reconnaissance par le nouveau chef de l’État en juillet 1995 de la responsabilité du régime de Vichy dans les crimes nazis et deuxièmement, la condamnation à dix années de réclusion criminelle le 2 août 1998 de Maurice Papon.
Durant les années Chirac (1995-2007), les actions en terme de politique mémorielle n’ont cessé de se multiplier et notamment celles concernant la communauté juive. La construction du Mémorial de la Soah et ses 76 000 noms gravés, inauguré le 25 janvier 2005, illustre cette nouvelle volonté tout comme le décret promulgué en 2000 indemnisant les enfants « dont la mère ou le père a été déporté à partir de la France dans le cadre des persécutions antisémites […] et a trouvé la mort en déportation ». Un autre décret accordant « une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins dont les parents ont été victimes d’actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale », fut aussi annoncé, permettant ainsi d’élargir l’indemnisation à la communauté résistante. Aussi, dans les années 90, apparaît un nouveau régime mémoriel s’appuyant désormais sur les victimes de la guerre et non plus sur les héros seulement.
Cependant, la politique mémorielle adoptée par le président, Nicolas Sarkozy, semble marquer un tournant puisqu’elle rétablit la mémoire résistante. Il est en effet décidé dans un discours le 16 mai 2007, que chaque année, serait lue dans les lycées français une lettre de Guy Môquet, fusillé le 22 octobre 1941 : le souvenir de la résistance est donc ravivé. La Shoah garde tout de même une place importante dans les programmes scolaires.
« Les associations comme les historiens n’influencèrent la mémoire que lorsque l’opinion se montra réceptive ».
Ainsi, selon Olivier Wieviorka, pour qu’une mémoire soit acceptée par la population, il faut que cette mémoire incarne des sentiments collectifs partagés par une majorité de l’opinion publique. Les politiques mémorielles influencent donc peu la société française, c’est plutôt celle-ci qui pose le cadre dans lequel les politiques peuvent s’exercer.
La pacification mémorielle qui caractérise peu à peu la période des années 1990 à nos jours, est due en partie à un renouvellement générationnel. En effet, les derniers survivants disparaissent petit à petit, de même que les associations s’étiolent du fait de la mort de leurs membres. Aussi, la reconnaissance du régime de Vichy et de ses actes, tout comme la déportation et l’extermination des Juifs de France sont enfin admis par l’ensemble de la population et par les politiques. Cet apaisement mémoriel n’est cependant pas synonyme d’unanimité mémorielle. En effet, des tensions persistent entre la communauté juive et la communauté résistante. La première souhaite une plus grande reconnaissance mémorielle tandis que la deuxième craint d’être oubliée. Ceci témoigne de l’incapacité des gouvernements à unifier la mémoire et à la rendre collective, tant il est difficile de répondre aux attentes d’une frange précise de la population sans en blesser une autre.
Le travail mémoriel au niveau des camps, quant à lui, est très hétérogène durant cette période. En effet, certains de ces camps bénéficient d’une remise en valeur plus importante que d’autres. C’est le cas des camps du Récébédou et du Vernet. En ce qui concerne le premier, un Musée de la Mémoire a été inauguré en 2003 mais les efforts n’ont pas été récompensés. Effectivement, un an après l’inauguration, le Musée de la Mémoire a vu son taux de fréquentation diminuer. Un musée a également été construit pour le camp du Vernet sous l’impulsion de l’association locale, l’Amicale, qui s’emploie activement à faire vivre la mémoire de ce camp. En revanche, pour d’autres camps, le devoir de mémoire semble poser quelques problèmes. C’est le cas par exemple du camp de Noé. En effet, l’un des anciens baraquements du camp a été transformé en vestiaire, ne laissant ainsi pas de place à la construction d’un éventuel musée.