Après la première apparition du terme « camp de concentration » en 1896 à Cuba, ce processus s’est perpétrée tout au long de l’histoire du XXe siècle. Durant ce conflit colonial, les militaires espagnols ont en effet inauguré un tout nouveau moyen d’internement. Généralement, on associe d’emblée le phénomène concentrationnaire aux régimes totalitaires, et souvent à raison. En revanche, les exemples de la fin du 19ème siècle démontrent d’une origine plus complexe nécessitant d’être resituée et définie.
Qu’est-ce qu’un camp ? Pourquoi avoir institutionnalisé ce terme alors que le mot prison existe ? En quoi un camp est-il différent d’un autre et pourquoi le modèle concentrationnaire s’est-il imposé durant nombre de conflits du 20ème siècle ?
Le travail forcé ou l’usage de la violence, ne sont pas spécifiques aux camps de concentration et donc ne suffisent pas comme critère de distinction entre camps et prisons. En effet, on travaille beaucoup dans les prisons chinoises ou dans les bagnes français, et les prisons staliniennes sont des lieux de tortures. Le cadre judiciaire est en revanche le meilleur moyen de distinguer le camp de la prison. Dans la plupart des cas, on dira que l’occupant de la prison est passé par le système juridique comprenant son jugement par un tribunal, suivi de sa détention pénale. Pour les occupants des camps de concentration, c’est le critère d’absence de procédure judiciaire normale qui est de norme et qui pose ainsi son statut de détenu administratif.
Le critère topographique est lui aussi recevable. Ainsi, on voit que la prison est un monde de murs et de portes afin d’individualiser chaque prisonniers, alors que le camp tend à regrouper massivement tous les détenus dans un espace séparé de l’extérieur le plus souvent uniquement par des barbelés.
Avant de continuer à traiter un sujet si vaste que « l’histoire du phénomène concentrationnaire », il est nécessaire de définir le terme même de « camp de concentration ». Pour cela, on voudra d’abord énoncer quelles fonctions peuvent remplir ces camps. En effet, le terme de fonction semble le plus à même et le plus simple pour effectuer un travail de classification parmi la multitude de camps rencontrés durant le XXe siècle.
On peut dénombrer généralement six fonctions que les camps peuvent remplir :
– Mettre à l’écart de la communauté des individus ou des groupes d’individus qui sont jugés susceptibles d’être dangereux ou préjudiciable au groupe social majoritaire.
– Détruire chez les internés toute trace d’idéologie jugée contraire et néfaste au régime en place par des mesures d’éducation positives et/ou négatives. Par exemple, les Chinois parlent de « réforme mentale » alors que les nazis ont souvent pratiqué la culture de la peur pour redresser les détenus.
– Par la simple présence des camps sur le territoire et en insufflant ainsi la peur, terroriser le reste de la population civile, ce qui participe au maintien de l’ordre.
– Utiliser une main d’œuvre facilement exploitable pour l’intégrer à une logique économique.
– Créer une nouvelle logique sociale. En effet, les hautes instances d’un camp s’exercent alors au commandement. Ainsi, elles sont alors préparées, dans certains régimes totalitaires, à remplir plus tard de hautes responsabilités.
– Éliminer, lentement ou rapidement, les éléments jugés racialement ou socialement nuisibles.
Grâce à l’énumération des ces six fonctions, on peut dégager trois types de camps de concentration. Ces trois types ne peuvent être confondus entre eux car ils possèdent des caractéristiques bien distinctes.
– Les camps d’internement. Leur fonction principale est d’isoler temporairement des individus considérés dangereux ou suspects. Les principaux exemples consistent à emprisonner les ressortissants étrangers du camp adverse, ou s’inscrivent dans le contexte de la guerre coloniale.
– Les camps de concentration. Ces camps sont indissociables des régimes qui les ont vu naître. Durant toute la première partie du XXe siècle, ils ont été prédominants et constituaient le cœur du phénomène concentrationnaire totalitaire. Ils avaient tous le point commun de posséder une quadruple logique d’avilissement, de rééducation, de travail et d’anéantissement.Ils ne peuvent pas être confondus avec les camps d’internement car ils n’ont pas la vocation d’être temporaires et sont toujours en étroite relation avec le système politique qui les a conçus.
– Les camps d’extermination. De par leur nature exceptionnelle et unique dans l’Histoire, ces camps ne peuvent être étudiés de la même façon que le phénomène concentrationnaire. Afin de marquer cette séparation, on parle plutôt de centres de mise à mort immédiate, comme les nomme Raul Hilberg. Pour rester centré sur le terme de fonction, on peut dire qu’Auschwitz-Birkenau, Majdanek, Sobibor, Treblinka, Chelmno et Belzec n’en avaient qu’une seule : l’extermination des Juifs d’Europe. Si ces camps étaient les principaux centres de mise à mort des Juifs, il y a également eu de nombreux camps, notamment dans la France vichyste, qui ont servi à faire convoyer les populations juives d’Europe vers ces derniers.
Les prisonniers de guerres ayant toujours existé, les camps d’internement se sont rapidement imposés comme nécessaire. Cependant, c’est l’élargissement du phénomène aux civils, aux colonisés et même à ses propres nationaux qui est chose nouvelle. La brutalisation des comportements sociaux par les guerres mondiales et la montée du totalitarisme en Europe imposent une nouvelle vision des camps. Les camps de concentration, instrument de terreur d’abord provisoire, deviennent chez les régimes totalitaires nécessairement permanents car désormais présents dans les fondations de leur idéologie.