L’UGIF et les rapports entre État et œuvres

La création de l’Union générale de israélites de France le 29 mars 1941 marque un tournant majeur dans l’aide humanitaire juive. Toutes les œuvres juives sont dissoutes de force et sont incorporées dans un organe qui représente la communauté juive de France dans sa totalité. Cette institution représente la tentative de mainmise du pouvoir de Vichy sur l’action humanitaire juive privée. La création de l’UGIF a été ordonnée par l’Allemagne, ce n’est donc pas une initiative française. L’UGIF constitue à partir de la fin de l’année 1941 le seul intermédiaire entre les juifs français et les autorités vichyssoises. Cette institution est directement sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur. Le conseil d’administration de l’UGIF est néanmoins constitué de personnalités éminentes de l’humanitaire juif. Les œuvres ne perdent donc pas totalement leur indépendance.Les humanitaires travaillent désormais officiellement pour Vichy mais ils tentent de trouver un compromis entre la transparence exigée par Vichy (au profit de l’Allemagne) et l’autonomie nécessaire à une aide humanitaire de qualité. Concrètement, le fonctionnement des oeuvres n’est pas réellement affecté par la création de l’UGIF. Le principal inconvénient réside dans le fait que toutes les informations détenues par les œuvres concernant les internés libérés et pris en charge par celles-ci sont accessibles aux services de Vichy et en dernier lieu à l’Allemagne. L’UGIF est chargée de récolter la somme d’un milliard de francs exigée par l’Allemagne à titre d’amende contre la communauté juive française. Les fonds captés par les œuvres juives appartiennent désormais en théorie à l’UGIF. En pratique, les œuvres privées font appel à du personnel inconnu des services de l’UGIF à partir de l’année 1943 pour récolter l’argent du Joint.

L’UGIF est considérée par Maurice Rajsfus comme une institution ayant facilité les persécutions contre les juifs dans son ouvrage Des juifs dans la collaboration. L’UGIF 1941-1944. La principale critique adressée à l’UGIF est de ne pas avoir pris au sérieux la menace que constituait le régime de Vichy pour les juifs de France. Le mandat de Raymond Raoul-Lambert à la présidence de l’UGIF dans la zone Sud est marqué par sa volonté de pacifier les rapports avec l’État et de se conformer à la législation anti-juive de Vichy (Les juifs de France se sentent avant tout français et le maréchal Pétain jouit encore d’une grande crédibilité auprès d’eux avant les rafles de l’été 1942).

Raymond-Raoul Lambert

Raymond-Raoul Lambert

L’UGIF est décriée pour son inaction et son incapacité à prendre position contre l’État malgré les persécutions réelles menées par Vichy. Jamais la fermeture des maisons de l’OSE n’est ordonnée pour protéger les enfants des rafles. Le gouvernement de Vichy confère une immunité politique à toutes les personnes travaillant au sein de l’UGIF, ces personnes ne peuvent pas être inquiétées en raison de leurs origines juives et ne peuvent pas subir les conséquences de la politique répressive mise en place par l’État. Dans les faits, bien qu’utile à l’Allemagne, le personnel de l’UGIF n’échappe pas aux persécutions. Le 9 février 1943, le bureau de l’UGIF situé à Lyon est victime d’une descente de la part de la Gestapo et 84 personnes sont arrêtées. La plupart d’entre elles sont déportées vers les camps de la mort. L’Allemagne découvre au moment de cette descente les liens qu’entretient l’UGIF avec les filières clandestines de l’humanitaire juif. L’UGIF mène ainsi une véritable action humanitaire clandestine malgré son apparente complicité avec l’État. Le parcours singulier de Raymond-Raoul Lambert et sa fin tragique démontre que l’UGIF ne peut pas être qualifiée d’organe purement collaborationniste. Serge Klarsfeld se pose la question suivante pour mesurer le caractère humanitaire ou collaborationniste de l’UGIF : «Combien de Juifs doivent leur arrestation à leurs relations avec l’UGIF et combien doivent leur survie à l’activité de l’UGIF?». Ce sont finalement ces rapports ambigus qu’entretient l’UGIF représentante des juifs de France avec le régime de Vichy qui pousse les œuvres juives à s’émanciper de la tutelle de cette institution créée contre leur volonté pour s’orienter vers une action humanitaire clandestine.