La place des camps du Sud-Ouest dans la déportation

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Après la guerre d’Espagne (1936-1939), il a fallu ouvrir des camps de réfugiés dans le Sud-Ouest pour accueillir les ressortissants espagnols qui voulaient fuir le régime de Franco. Les autorités françaises, pour faire face à cet afflux de migrants, décident dans la panique d’ouvrir des camps de rassemblement afin de contenir cette population. Le gouvernement français a accueilli les réfugiés espagnol et ce malgré une opinion publique divisée ; les sympathisants de droite voyaient l’arrivée des réfugiés comme une invasion. Par la suite, en 1938, le gouvernement Daladier a édicté des lois prévoyant l’internement administratif de ces populations « susceptibles de semer le trouble dans l’ordre public ». La guerre d’Espagne amène donc des réfugiés espagnols à fuir en France entre 1937 et 1939 : on devait donc trouver une solution ; des études, demandées par le Ministère de la Défense, ont montré que des villes du littoral comme Argelès-Sur-Mer, Le Barcarès ou Saint-Cyprien pouvaient accueillir des camps afin de regrouper les ressortissants espagnols en attendant que la situation s’améliore. Dès 1939, une multitude de camps sont ouverts dans le sud de la France, on estime à plus de 475 000 le nombre d’étrangers ayant franchi la frontière suite au conflit en Espagne. Le premier camp ouvre à Argelès-sur-Mer. Ces camps, qui, au départ, servaient de camps d’internement pour réfugiés, n’ont pas tous eu le même fonctionnement durant les événements de la Seconde guerre Mondiale.

L’année 1939 voit l’ouverture d’une multitude de camp dans le Sud-Ouest, tel que le camp de Gurs dans les Basses-Pyrénées, le camp de Rivesaltes dans le Languedoc-Roussillon, le camp de Brens dans le Tarn ou bien le camp de Noé en Haute-Garonne. Selon Claude Laharie, dans son ouvrage Gurs : 1939-1945, Un camp d’internement en Béarn, la construction du camp de Gurs a permis à 18 500 réfugiés d’être hébergés provisoirement. Malgré la désapprobation d’une partie de la population, les retombées positives sur l’économie locale comme par exemple les entreprises de charpenterie ont fait taire un certain nombre d’opposants. Il était prévu que ce camp ferme à la fin de l’année 1939 cependant, la France est entrée en guerre le 1er septembre contre l’Allemagne suite à l’invasion de la Pologne et le gouvernement Daladier décida de maintenir le camp ouvert afin d’y emprisonner des ressortissants ennemis. Les femmes sont envoyées à Gurs, et les hommes à Saint-Cyprien, en 1940 la population du camp se multiplie subitement par 10.

Après la défaite française et la signature de l’armistice en juin 1940, les ressortissants allemands présents sont libérés car la France et l’Allemagne ne sont plus en guerre. On parle alors d’une future fermeture de ce camp, mais encore une fois, ce n’est qu’une rumeur et cela restera tel quel car le camp fait partie des nombreux camps mobilisés dès octobre 1940 suite à la loi contre les juifs visant à les interner sur ordre du préfet. Le camp de Gurs accueille environ 20 000 juifs en l’espace de trois ans et ce malgré des conditions de vie déplorables et des baraques défraîchies. La fonction de départ du camp d’interner des réfugiés a changé de manière radicale après l’ordre du gouvernement de Vichy concernant les internements de juifs. Le camp de Gurs fait partie de ces camps « historiques » tout comme le camp de Rivesaltes qui a aussi été un des camps majeurs dans le sud-ouest, situé dans le Languedoc-Roussillon. Ce camp militaire accueillait jusqu’en 1941 des soldats. Le préfet du Languedoc a déclaré qu’il pourrait accueillir « 50 000 réfugiés avec toutes les garanties d’hygiène et de confort, encore fallait-il obtenir l’accord de l’autorité militaire» (1). Les années suivantes, on a recensé 17 443 internés, parmi lesquels environ 7000 juifs (2).

Parallèlement, le camp de Brens, dans le Tarn, a suivit le même schéma. Le centre d’accueil de Brens est devenu, en novembre 1940, un centre d’hébergement pour juifs. Cet endroit n’est pas encore considéré comme un véritable camp de concentration. C’est à partir de décembre 1941 que le camp est retenu pour faire partie des nombreux camps de concentration français, des barbelés et des clôtures sont installés autour du camp, et la circulation des prisonniers à l’extérieur est interdite. Après la fermeture du camp de Rieucros, on décide d’en faire un camp pour femmes, Brens est alors le seul camp de ce type à s’être spécialisé dans l’internement de femmes. Le camp n’héberge pas uniquement des juives. Parmi les 1 150 femmes internées, on retrouve des opposantes politiques, des prostituées, des réfugiées espagnoles ou bien des internées du Vel’ d’Hiv’. Progressivement, le camp de Brens se vide car les femmes sont envoyées soit à Gurs soit à Drancy. Le camp ferme le 4 juin 1944 lorsque les dernières femmes sont déplacées vers Gurs, ces dernières s’échappent d’ailleurs du convois avant d’arriver à leur destination.

La carte suivante montre à quel point les camps du Sud-Ouest jouent un rôle dans ce mécanisme d’internement de populations indésirables. Le Sud dispose de plus d’infrastructures que le Nord de la France ; les internés belges, allemands et français sont envoyés directement à Gurs, Rivesaltes et Agde. Dès les années 1940, on peut voir que la présence de ces camps facilitent la gestion des prisonniers dans les zones occupées par l’Allemagne, par exemple, en Pays de Bade et de Palatinat, les indésirables non-aryens sont envoyés à Gurs.

Les camps dans le Sud-Ouest de la France avaient chacun des fonctions diverses, mais dans le projet de la Solution Finale, l’objectif n’était pas de garder les juifs indéfiniment dans ces camps d’internement ou de travail. Les nazis avaient pour dessein d’anéantir le peuple juif, c’est donc dans des camps d’extermination en Pologne qu’ils avaient pour ambition d’en finir, souvent le plus vite possible. La France de Vichy a été active dans ce mécanisme de déportation, car à partir de mars 1942, la Gestapo s’attache à chasser le plus de juifs possible dans la zone occupée tout en faisant pression sur le gouvernement français (3) afin que ces derniers collaborent et livrent les juifs de la zone libre. Il est évident que la présence des camps dans la zone libre va les aider à accélérer cette traque, en effet, les chiffres montrent qu’en janvier 1941, 55 000 prisonniers étaient détenus dans les camps du sud contre 3 000 dans le nord où il était plus souvent question de prisonniers tziganes ou communistes. Vichy et les allemands s’entendent sur la question des déportations et des effectifs. Il est conclu que durant la période de mars 1942 à septembre 1942, les allemands souhaitent recevoir 50 000 juifs. La « Solution Finale de la question juive » a été décidée le 20 janvier 1942 lors de la conférence de Wannsee. Cette conférence a scellé l’avenir des juifs à travers l’Europe. Néanmoins, certaines décisions prises concernant la déportation sont françaises. Pierre Laval, chef du gouvernement de Vichy, a notamment déclaré que séparer les enfants de leurs familles était « trop cruel » et a impulsé la déportation de tous les enfants de la zone libre alors même que les Allemands ne le réclamaient pas. C’est en 1942 que les premières déportations commencent, selon le témoignage de Henri Steiner, qui lui même fut arrêté à Tanus sur son lieu de travail dans le Tarn en août 1942. La France a donné son accord le 2 juillet 1942 aux allemands afin qu’ils puissent arrêter et déporter les juifs du sud-ouest. Le gouvernement de Vichy a demandé aux différents préfets de procéder de manière très discrète concernant les arrestations. Afin d’éviter toute fuite, pour éviter également les mouvements de protestations des français de la zone libre.

Les premiers convois de déportés sont partis durant le mois d’août 1942. Ce mois est très important, car c’est à partir de là que démarre véritablement la déportation de masse. Monsieur Steiner nous explique que le 26 août, il fut arrêté et emmené à Saint-Sulpice pour être déplacé. En effet cette ville dispose d’une gare et est idéalement placée, car elle se trouve non loin de Toulouse, pour permettre aux nazis de regrouper les juifs pour les acheminer vers la zone occupée. Les convois de Saint-Sulpice vers Drancy contenaient chacun environ 1000 personnes au total, dans des conditions déplorables. Il s’agissait de wagons à bestiaux réquisitionnés. Un seau au milieu des wagons servait aux gens pour faire leurs besoins. En somme, les camps dans le Sud-Ouest servaient de réservoirs à prisonniers dont des juifs destinés à être déportés vers l’Allemagne ou la Pologne pour y être exterminés soit pour travailler pour les plus « chanceux ».

A la Libération, les camps du Sud-Ouest ferment, certains sont de nouveau ouverts pour y interner des collaborateurs comme le camp de Gurs ou bien le camp de Brens qui fut par la suite brièvement utilisé dès 1946 jusqu’en 1948 comme Camp de vacance de l’Union Départementale des Syndicats de la Haute-Garonne. Aujourd’hui ce camp n’existe plus et une stèle fut mise en place le 14 septembre 1969 à la mémoire des personnes ayant séjourné dans le camp. Certains sont rasés comme le camp de Noé.

Lire la conclusion…

(1) Denis Peschanski, La France des Camps, L’internement 1938-1946, Gallimard, Mayenne, 559 p.
(2) Alexandre Doulut, Les juifs au camp de Rivesaltes : internement et déportation (1941-1942), Lienart, 229 p.
(3) Monique-Lise Cohen (dir.) et Eric Malo (dir.), Les Camp du Sud-Ouest de la France : exclusion, internement et déportation 1939-1944, Privat,Toulouse, 1993, 238 p.