Dès l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir en 1933, une volonté d’exclure et de chasser les juifs du Reich apparaît et se confirme. L’Allemagne avançant dans ses conquêtes territoriales au cours de la Seconde Guerre mondiale, c’est la volonté qu’il n’y ait plus de juifs en Europe qui se développe finalement. Les juifs sont en effet vus dans l’idéologie nazie comme des ennemis de la nation, et comme une race inférieure qu’il faut éradiquer. Ils sont donc dans un premier temps parqués et affamés dans des ghettos, comme le ghetto de Varsovie en Pologne, ou sont assassinés, comme notamment lors des fusillades des Einsatzgruppen sur le front de l’Est à partir de 1940. Puis, dans les six derniers mois de l’année 1941, les principaux dirigeants du régime, Hermann Göring, maréchal du Reich, Heinrich Himmler, chef de la SS et de la Police, Reinhard Heydrich, directeur de l’Office central de la sécurité du Reich (RSHA) et Adolf Hitler lui-même finissent par définir progressivement le concept de « Solution Finale », en décidant de procéder à la liquidation physique de tous les Juifs d’Europe. La Solution Finale, connue dans son application sous le nom de Shoah, est donc un plan d’extermination des juifs mis en place par le régime nazi. Elle est considérée comme ayant été décidée officiellement à la Conférence de Wansee, faite dans une villa de la banlieue de Berlin le 20 janvier 1942. Cette conférence réunit quinze hauts responsables de l’Allemagne Nazie, afin de débattre de l’organisation administrative, technique et économique de cette solution finale à la question juive, souhaitée par Hitler, et qui va être mise en application, sur les instructions de ce dernier, par Göring, Himmler, Heydrich, ainsi que par Adolf Eichmann. Cependant, comme indiqué antérieurement, la déportation des juifs du Reich a déjà commencé, en plus des massacres commis par les Einsatzgruppen, et le camp d’extermination de Chemlo est déjà en activité tandis que d’autres sont en projet ou même déjà en cours de construction¹.

L’État français, à l’aide de ses camps, a contribué à cette solution finale. Depuis l’armistice du 22 juin 1940, l’Allemagne occupe militairement la partie Nord de la France, séparée de la zone non occupée par une ligne de démarcation. Du 10 juillet 1940 au 20 août 1944, la France se trouve alors sous le Régime de Vichy, un régime politique dirigé par le Maréchal Pétain, ce dernier ayant obtenu les pleins pouvoirs par la Chambre des députés le 10 juillet 1940. C’est un régime basé à Vichy, en zone non occupée, et auquel les allemands ont laissé l’administration française. Sous la direction du Maréchal Pétain, l’État français va ainsi suivre l’Allemagne dans la majorité de ses décisions, et mener une politique de collaboration, contre les faits de résistance notamment, mais surtout en ce qui concerne la question juive. Le Régime de Vichy va donc, à l’aide des camps d’internement français, suivre l’Allemagne dans son projet, et il va même aller plus loin en prenant de sa propre initiative des mesures allant dans le sens de cette Solution Finale. Ainsi les camps français vont « se remplir » de juifs, et la France va prendre part elle-même à la déportation de ses juifs vers les camps de concentration en Allemagne et en Pologne.

Nous pouvons estimer à 3 000 000² le nombre de juifs morts de la déportation, c’est à dire soit dans les camps soit dans les chambres à gaz, et nous savons que ce sont 75 721 juifs qui ont été déportés de France entre mars 1942 et août 1944. Nous pouvons alors nous demander : En quoi la France, à l’aide de ses camps, s’est organisée de façon à répondre aux attentes de l’Allemagne, et ainsi à participer à l’un des plus grands crimes de l’Histoire de l’humanité ?

Pour répondre à cela, nous verrons tout d’abord comment est abordée la question juive en France, puis nous verrons comment la France et ses camps deviennent de véritables relais pour l’Allemagne, et enfin nous verrons comment a été vécu à la fin de la guerre la découverte de ce crime, et comment entre des mises en accusation et sa progressive reconnaissance, le deuil ou la réintégration des victimes ont pu être faits.

La « question juive » en France de 1940 à 1942

 Être juif en France de 1940 à 1942

Avant l’invasion allemande, on estimait à 300 000³ le nombre de juifs, toutes nationalités confondues, vivant en France. Un tiers des juifs de France provenait de Pologne, ils cherchaient à fuir la misère et l’antisémitisme dans les années 1920 et 1930. En 1938, un grand nombre de juifs arrivaient en France, chassés par les Allemands. Pendant la seconde guerre mondiale, 76 000⁴ juifs ont été déportés de France. Le 27 septembre 1940 les Allemands ordonnent le recensement des juifs qui va être mis en place par l’administration française et plus précisément par la préfecture de police pour le département de la Seine. Dans ce département 149 734⁵ juifs vont être recensés dont 85 664⁶ Français et 64 070⁷ étrangers. Paris, selon les estimations, regroupe entre la moitié et les deux tiers des juifs de France, ce qui représente une part importante dont une moitié d’étrangers environ. Ces derniers se trouvent dans un secteur qui s’étend de la place de la République vers Belleville, Montmartre, la Bastille et surtout la rue des Rosiers et son Pletzl, qui dans les années 1930 ressemble aux « rues juives » de Pologne. La rue des Rosiers est à l’époque le quartier ashkénaze du Marais par excellence. Les juifs étrangers sont majoritaires dans les rues qui leurs sont spécifiques mais ce ne sont pas les seuls habitants de ces quartiers. Les juifs français quant eux habitent des quartiers plus bourgeois comme les XIVe, XVIe et XVIIe arrondissements, et des banlieues résidentielles comme Neuilly et Boulogne. Les lieux où se situent les juifs étrangers et les juifs français à Paris ne sont pas les mêmes et on peut donc voir que les juifs français sont très bien intégrés dans la société française avec des bonnes conditions de vie. Les juifs étrangers quant à eux s’intègrent progressivement dans la ville et retrouvent des marques de leur pays d’origine. Cependant ce regroupement dans les quartiers n’est pas observable partout en France. C’est seulement dans les grandes villes comme Paris par exemple que les juifs se rassemblent, dans le sud de la France les juifs vivent dans des villages et sont confondus avec la population.

La France est divisée en deux avec les français qui ne sont pas antisémites et certains qui font preuves d’un antisémitisme prononcé avec des antidreyfusards⁸ qui persistent puis à partir des années 1920, l’idée d’un judéo-bolchevisme⁹ se développe. Quant à la montée du nazisme qui se précise à la fin de l’année 1932, elle fracture là encore la France en deux camps, d’autant plus qu’Hitler ne laisse planer aucune ambiguïté sur ses intentions à l’égard des juifs allemands. En ce sens à partir de 1940 un sentiment d’hostilité prend racine sur le territoire français et la France va définir un statut particulier pour les juifs, les empêchant d’exercer toute profession dans la fonction publique, l’administration ou l’armée. Le maréchal Pétain est le principal instigateur de ce statut des juifs en France. Il s’agit des prémisses du régime de Vichy et les mentalités de beaucoup de français vont soutenir le gouvernement de Vichy car les juifs vont être de plus en plus exclus de la société. En effet des français refusent alors de faire leurs courses dans les magasins juifs et les dénigrent totalement, bien que d’autres rejettent cette politique.

Le début de la politique antisémite en France

Les juifs français vont subir une exclusion de la société voire une persécution, traqués non pour ce qu’ils pensent ou ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont. Cette violence politique émane du contexte de l’occupation allemande et du gouvernement Vichy qui manifeste très vite une tendance antisémite, suivant l’exemple de l’Allemagne qui partage le même ennemi. De nombreuses lois vont être mises en place, soutenant cette tendance qui s’accentue sous la Révolution nationale.