Après la guerre, période indécise sur comment utiliser ces camps provoquée par la volonté collective d’oublier

À partir des années 1970, les camps d’internement vont faire face à une période de redécouverte de leur histoire. Elle va se faire à travers leur étude par les chercheurs européens puis par d’autres acteurs, tels que les associations d’anciens internés ou des entreprises privées qui vont mettre en place un plan de préservation de ces lieux historiques. L’existence de ces camps va alors être reconnue par la population française et plus généralement la population européenne.

C’est à partir des années 1970 que la France va se pencher sur l’histoire de Vichy et des camps d’internement faisant l’objet auparavant d’une volonté d’oubli collectif. Les premiers à s’intéresser aux camps d’internement sont les chercheurs allemands. Notamment le germaniste Gilbert Badia, professeur à l’Université de Paris VIII et membre du Parti communiste français, mais aussi l’historien germaniste Jacques Grandjonc. Ils veulent mettre à l’honneur au départ les germanistes internés dans les camps tel que les artistes allemands internés à Milles comme l’explique Alain Chouraqui, actuel président de la Fondation du Camp des Milles :

« Mais les peintures et la célébrité de beaucoup des internés ont longtemps conduit à concentrer l’attention sur cette part de « culture allemande en France » – au point que fut évoqué le projet de faire des Milles une annexe du Musée des Beaux-art d’Aix ! La période où le camp servit à l’internement des étrangers masqua ainsi souvent l’importance de la dernière période, celle de la déportation anonyme des Juifs »

Il faudra tout de même attendre les années 1990 pour avoir les premiers véritables ouvrages scientifiques sur les camps d’internement, révélant une facette de l’histoire de la seconde Guerre Mondiale alors peu connu avant. Nous pouvons noter parmi ces ouvrages scientifiques celui sur le camp des Milles de Doris Obschernitzki, Letzte Hoffnung-Ausreise: Die Ziegelei von Les Milles 1939-1942: Vom Lager für unerwünschte Ausländer zum Deportationszentrum [Dernier espoir : l’émigration. La briqueterie des Milles de 1939 à 1942 : du camp pour les étrangers indésirables au centre de déportation]. Mais aussi Zone d’ombre de Jacques Grandjonc qui s’inscrit dans un phénomène mémoriel d’échelle internationale connu sous le nom de révolution paxtonienne c’est-à-dire la remise en cause des actes commis par le régime de Vichy fait de manière autonome et donc sans réelle influence nazie. La révolution paxtonienne va connaître son ascension dans les pays étranger après la mort du Général Charles de Gaulle en 1970. Les œuvres les plus connues étant le documentaire franco-suisse de Max Ophüls Le Chagrins et la Pitié de 1971 et le livre de l’américain Robert Paxton La France de Vichy en 1973. Par ailleurs l’ouverture progressive des archives locales sur les camps va aussi aider à remettre en cause la mémoire convenue. C’est aussi à ce moment là que l’on refait appel aux anciens internés qui vont recommencer à témoigner et faire connaître leurs vies dans les camps. Par ailleurs, le titre de Juste des Nations sera décerné à plusieurs personnes dans les années 1990 tel que Cyrille Argenti, Edmond et Nelly Bartoloni ou le couple Donnier. Auparavant, entre 1960 et 1980 seul certains avaient reçu ce titre comme le pasteur Donadille et Auguste Boyer

Ce phénomène de masse est lié avant tout au contexte socio-politique qui se pose en Europe à la fin des années 1980 et sur la question de « l’identité » comme le dit Camille Mazé, maître de conférences en anthropologie, qui selon elle survient :

« Avec la fin de la Guerre-froide, le post-colonialisme, les résurgences nationalistes, les conflits ethniques, les difficultés du processus de construction européenne et les inquiétudes à l’égard de la globalisation. En effet, à un moment où « l’identité » sent le soufre, où « l’identité nationale » est remise en question ou survalorisée, où « l’identité européenne » en lien avec la notion de « citoyen­neté européenne » devient une nouvelle catégorie d’intervention publique qui ne parvient pas à faire consensus »

Les actions menées vont permettre de changer les mentalités en faisant accepter l’existence des camps d’internement français et leurs véritables fonctions. La France va affirmer ses positions lors de la commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv du 16 juillet. Jacques Chirac reconnaît la responsabilité de l’État français dans la déportation. L’étape sur le processus mémoriel est alors franchie et va mener par la suite à un processus muséographique.

En effet, il existe un véritable tournant de la mémoire collective qui a lieu en 1982. Les associations, les collectivités territoriales, l’État, mais aussi les entreprises privées qui ont eu une fonction de mécènes, ont une grande importance dans ce processus. En effet, les années 1980 sont marquées par la mobilisation des bénévoles mais aussi par la prise de responsabilités des pouvoirs publics.

Dans les années 1990, on entre dans une phase muséographique qui est marquée par le fait que les musées deviennent de plus en plus sérieux et marqués par la légitimité scientifique. Auparavant, les camps étaient des lieux de migrations, grâce aux musées, ils deviennent des lieux de souvenirs, puis des lieux de mémoire et enfin, des lieux de commémoration. Cependant, tous les camps ne peuvent pas bénéficier de cette transformation. Couramment, le financement des musées effectue un premier tri parmi les divers camps existant. Par la suite, c’est l’emplacement qui fait partie des critères sélectifs, car un musée se doit d’attirer les touristes, il est donc plus simple de choisir un endroit qui les attires déjà (par exemple sur les côtes méditerranéenne : voir Milles). Les musées sont donc des produits et des vecteurs de la mémoire, cependant, ils amènent un côté artificiel qui anéantit la réalité des camps.

Cette mutation nous dirige vers de réels débats sur le maintien du lieu, sur comment entretenir ce patrimoine. C’est une question qui est soulevée à Oradour-sur-Glane chaque année : doit-on laisser le temps agir ? Ou maintenir les lieux dans leur état d’après guerre ? L’action de l’homme sur ces lieux transforme la mémoire, chaque lieu historique agit donc en fonction de ses objectifs. C’est-à-dire la transformation en musées ou le maintien du lieu pour le souvenir.

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