Le camp de Brens après le camp de femmes

Le camp de Brens, comme d’autres camps, a été modifié dans son utilisation entre juin 1944 et mai 1945, au moment de la Libération. Le GPRF (Gouvernement Provisoire de la République Française), au fur et à mesure qu’il était amené à contrôler de nouveau le territoire français qui était auparavant contrôlé par Vichy, modifia le système d’internement administratif tel qu’il a été détaillé pendant la période où des femmes étaient internées.

Les autorités du gouvernement provisoire avaient envoyé des arrêtés ministériels du 4 octobre 1944 qui confirmèrent le maintient des camps et précisèrent le statut des camps d’internements.

La place du camp de Brens dans le système d’internement resta alors identique aux autres périodes, il fut utilisé comme un moyen d’isoler des individus en dehors du cadre social. Néanmoins, il est souligné à travers des communiqués que ces camps avaient un caractère « extraordinaire », ce qui amène à catégoriser Brens avant tout comme un lieu à la fonction temporaire, attribut qui n’avait pas été souligné auparavant.

Le 20 décembre 1944, le camp accueillit 273 personnes accusées de collaboration. Loger des personnes dans le camp de Brens apparaissait pour les responsables régionaux comme un moyen de pallier la surcharge des effectifs dans le camp de Saint-Sulpice. L’objectif de l’emprisonnement était surtout de loger les accusés le temps de leur jugement. En 1945, quand les jugements furent passés, les internés vidèrent le camp au fur et à mesure. Le camp de Brens, parmi d’autres camps, fut en charge d’héberger des prisonniers de guerre allemands. Les rapports envoyés au préfet ont révélé l’état de délabrement du camp, les financements pour ces lieux étant réduits, les bâtiments du camp de Brens se retrouvaient détériorés. Pour pallier ces difficultés, des échanges de matériaux entre les camps furent pratiqués pour rénover certains baraquements, illustrant que les camps n’étaient plus pensés comme une structure qui était établie sur la durée mais qu’ils avaient une vocation temporaire d’enfermement.

Suite au départ des prisonniers de guerre, le camp hébergea de nouveau des femmes allemandes et des enfants en juillet 1945. Les conditions sanitaires étant mauvaises, des soucis de santé furent déclarés dans le camp, il y eut à déplorer la mort de six adultes et de deux bébés. Ce fut avec le départ de ces derniers internés que le camp pris fin en 1945.

L’État se détacha totalement du camp le 30 juin 1946 en levant l’état de réquisition qui était présent sur le camp. L’union départementale des syndicats qui récupéra la propriété du lieu, le transforma alors en camp de vacances.

C’est en janvier 1948 que le terrain est revenu au propriétaire d’origine, la famille de M.Noblet d’Anglure, marquant la rupture entre l’État et ce lieu, dont l’espace changea au fil du temps. Des parties du terrain furent vendues, des baraquements détruits, au point de faire disparaître l’espace qu’avaient connus les internés.

Aujourd’hui, la mémoire du camp peine à s’affirmer au sein de l’histoire locale et régionale, aussi il est important de savoir quels sont les principaux acteurs qui font vivre cette mémoire et d’étudier les moyens utilisés pour cela.

L’acteur majeur qui œuvra activement pour la préservation de la mémoire du camp est l’association de l’Amicale des Anciennes Internées de la Résistance des Camps de Rieucros et de Brens (APSICBR) qui fut créée dans les années soixante, celle-ci regroupa au départ plusieurs anciennes détenues des camps. Deux principaux moyens de transmission de la mémoire des femmes internées ont été utilisés dans le cadre de cette association :

– Les témoignages oraux , des interventions que les membres de l’association dispensaient auprès d’écoliers ou d’étudiants ainsi que pour les chercheurs.

– Des monuments, des stèles et des statuts qui marquent le paysage des villes qui entourent le camp de Brens.

Plaque commérative posée, photo prise le 2 novembre 2015 par le groupe de TERe devant l'ancien camp de Brens

Plaque commémorative posée devant l’ancien camp de Brens

Cette plaque commémorative a été posée le 14 septembre 1969 devant la porte d’entrée de l’ancien camp de Brens. Elle marque concrètement la place du camp et attribue par son message, comme on peut le voir sur la photographie ci-dessus, la place sociale de ces internés, qui a souvent été traitée de façon secondaire dans les mémoires. La figure de la femme internée, ici, n’était pas forcément reliée à l’image de la résistance, on insiste avant tout sur l’acte de déportation.

Le square Joffre à Gaillac , photo prise par le groupe de TER le mardi 8 décembre 2015

Le square du Maréchal Joffre avec la statut et la plaque commémorative

Le 19 août 1979, sous l’initiative de l’APSICBR, une statue est posée au square Joffre à Gaillac. Celle-ci est accompagnée d’un petit écriteau dont le message change de celui de la plaque commémorative posée devant le camp. La formulation de l’hommage s’appuie plus nettement sur l’acte de déportation, mais sans pour autant omettre la présence des femmes résistantes qui étaient aussi enfermées dans le camp. La fin des années 70 et le début des années 80 ont vu naître une évolution de la mémoire de la Shoah, ce qui a pu se faire au détriment d’autres types de mémoires, comme celle des internés des camps administratifs sous Vichy.

Plaque commémorative présente au pied de la statut

Plaque commémorative présente au pied de la statut

Néanmoins, dans les années 90, l’émergence d’un regain d’intérêt pour les camps d’internement apparu. Pour Brens, certaines internées commencèrent à disparaître, les témoignages oraux sur les camps se faisaient donc plus rares. Il y eut un engouement des chercheurs au sujet des femmes internées en générales, ce qui amena le déplacement des enjeux et des acteurs pour la préservation de la mémoire. L’APSICBR connu un regain de dynamisme en 1991 avec l’Association Pour Perpétuer le Souvenir des internées des Camps de Brens et de Rieucros, car il lui succéda. Les témoins, anciennes internées qui étaient les principaux membres du groupe se retrouvèrent  remplacés par des générations n’ayant pas vécu les conditions de l’internement. La méthode de transmission de la mémoire des femmes internées prit alors un aspect tout autre. C’est les travaux de recherches qui furent un moyen de valoriser cette mémoire dans les années 90 avec des recherches comme celle de Diana Fabre Un camp pour femmes, 1942- 1944 . La pose d’une plaque par l’association marqua la volonté de faire appel au paysage comme moyen de valoriser une mémoire qui souffre d’une absence d’intérêt. L’opinion publique fut un acteur qui sembla d’importance dans cette période.

Par exemple, en octobre 1998, Rolande Trempé pendant le salon du livre de Gaillac présenta un documentaire « Camp de Femmes ». Le succès fut au rendez-vous auprès du public, cela se marqua dans la continuité des travaux qui ont été faits au début des années 2000, en particulier celui de Mathilde Gilzmer qui reconstitua la vie quotidienne de ces femmes, influençant aussi les travaux de master comme celui de Marie Combelles en 2001. Depuis ces travaux, le camp de Brens est évoqué dans une histoire qui peine à se faire entendre, comme un élément d’un système plus qu’un composant clé de celui-ci.

Cela marque un risque certain pour l’histoire locale et nationale de la seconde guerre mondiale de perdre les traces physiques d’un lieu qui témoigne des moyens de répressions utilisés par Vichy puis pendant l’Occupation, mais surtout, à travers celui-ci, vient le risque de minorer la présence de ces femmes qui furent internées au camp de Brens.