Entre prise de responsabilité, reconnaissance et deuil (suite)

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Entre prise en charge des survivants et deuil des victimes

Il a fallu attendre la fin des années 1970 et la publication des travaux de Serge Klarsfeld, en particulier de son Mémorial de la déportation des juifs de France, pour connaître le nombre exact des juifs de France déportés et assassinés. On sait désormais que ce sont 75 721 juifs, dont 11 000 enfants, qui furent déportés de France, et que seulement 2556 d’entre eux en revinrent1. La découverte des camps nazis et des atrocités qui ont été commises est un immense choc. On attend le retour des premiers survivants à Paris, dans l’espoir de retrouver un proche qui a été déporté. Les rapatriements sont organisés par les alliés, mais la lenteur de ces rapatriements oblige certains rescapés à rentrer en France par leur propre moyens. Il faut dire que les alliés, puis les autorités françaises rencontrent certaines difficultés logistiques dans la prise en charge médicale des survivants et leur rapatriement, pour trouver des lieux d’accueil ou des moyens de transports appropriés par exemple, au vu de l’état de santé dans lesquels sont retrouvés les déportés. La majorité des déportés est rapatriée à la fin de l’année 1945 par les autorités militaires alliées, ceux restants l’étant un peu plus tard par l’UNRRA, l’organisme des Nations unis pour le secours et la reconstruction de l’Europe. Mais certaines organisations françaises ont aussi pris part au rapatriement de certains déportés, comme notamment le COSOR, le Comité des œuvres sociales des organisations de la Résistance. Reconnu officiellement par le gouvernement en 1945, sa mission est de « secourir sans distinction de race, d’opinion ou de confession, toutes les détresses nées de l’oppression nazie ». En effet, le Révérend-Père Fleury, responsable du COSOR, ayant pris connaissance de la libération du camp de Dachau en mai 1945, décide de lancer une expédition destinée à ramener des déportés poitevins. Parti de Poitiers le 14 mai à bord de deux cars et d’un camion, il prend ainsi la route avec une équipe de volontaires. Cette opération permettra de ramener soixante cinq survivants à Poitiers, survivants qui seront accueillis en grande pompe par la foule rassemblée sur la Place d’Armes le 31 mai 1945.

À Paris, le ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés fait de la gare d’Orsay le lieu d’arrivée des déportés. Cependant l’état des déportés est tel que c’est l’hôtel Lutetia, ancien siège de l’Abwehr (Service de Renseignements de l’état-major allemand pendant l’Occupation) qui finit par être désigné comme centre d’accueil : 2500 juifs y seront ainsi directement conduits, en plus d’autres survivants d’avril à août 1945. Dès leur arrivée, les déportés sont assaillis par la foule, emplie de personnes espérant le retour d’un être cher et le hall de l’hôtel est alors tapissé de photos et de messages, tandis qu’ils livrent les noms de leur camarades décédés dans les camps. Les déportés doivent également y subir un contrôle de police, à l’issue duquel ils obtiennent une carte de rapatrié. Le retour de ces premiers déportés en France est repris par la presse, les journaux citent aussi les noms des survivants rapatriés au niveau local. Ainsi le retour est une période éprouvante, autant pour la population qui découvre avec horreur ce qu’ont vécu les survivants et guettent la mention du nom d’un proche, que pour ces derniers qui doivent se reconstruire et réussir un « retour à la vie », chose difficile après ce qu’ils ont vécu. Les réactions des français sont diverses, certains sont effrayés par l’apparence des survivants et manifestent soit de la méfiance, soit de la compassion et de l’aide. D’autres, marqués par la guerre, refusent d’entendre plus d’horreurs. C’est ce genre d’attitude qui poussera bon nombre de déportés à se taire dans un premier temps. Ainsi, c’est face à ces réactions d’incompréhension par rapport à ce qu’ils ont enduré que va se faire la création d’associations d’anciens déportés. Ces associations leur permettent de maintenir des liens étroits et d’échanger sur leurs expériences, et d’une certaines manière elles tentent de les aider à reprendre progressivement le cours de leur vie.

Les rapatriés retrouvent leurs proches

Malgré le nombre de déportés qui ne reviendront pas, Jacques Semelin fera remarquer comme d’autres dans son ouvrage Persécutions et entraides dans la France occupée que « 75 % des juifs vivant en France ont échappé à la déportation », bien que ceci ne minimise en aucun cas la perte de 25% de la population juive française. Ce dernier explique ceci, certes par l’aide des Justes qu’il estime au nombre de 3500 environs, mais aussi grâce au fait que beaucoup de ces juifs ont réussi à « se débrouiller, plus ou moins bien, pour survivre au quotidien face à la persécution et aux arrestations. »2. Cependant, comme dit précédemment, le nombre de morts en déportation est loin d’être négligeable puisqu’il est de 73 165 personnes… Ce nombre, à condition qu’il ne corresponde pas à l’élimination de familles entières, laisse des survivants ou des personnes non déportées endeuillées. Les allemands ayant l’habitude de brûler les corps dans des fours crématoires, aucun corps à notre connaissance n’a été ramené. Il faudra ainsi attendre la réalisation des premiers mémorials pour pouvoir avoir des simulacres de tombes. Philippe Grimbert fera ainsi remarquer ironiquement dans l’épilogue de son ouvrage autobiographique « Un Secret »3, que même les chiens de Pierre Laval avaient eu droit à des tombes.

Conclusion

L’État français, sous le régime de Vichy dirigé par le Maréchal Pétain, a ainsi participé à la Solution Finale, constituant un véritable rouage pour celle-ci, à l’aide de son administration et de ses camps. Avant l’invasion allemande, les juifs étaient au nombre de 300 000 en France. Ils vivaient dans de bonnes conditions et étaient assez bien intégrés dans la société française. Les juifs étrangers, pour la majorité d’origine polonaise, voyaient en la France un refuge, qu’ils avaient gagné pour fuir la misère et l’antisémitisme grandissants dans leur pays. Cependant, l’annexion d’une partie de la France par l’Allemagne bouleverse cette intégration des juifs de France :En zone occupée, les nazis font alors une véritable chasse à l’homme dans le but de régler « la question juive ». En zone « libre », le régime de Vichy mène une politique identique : il structure les camps français et met en place un mécanisme de déportation. Ainsi, les camps français sont organisés de manière à pouvoir accueillir tous les juifs de France, et assurer leur déportation. Ce n’est qu’une fois la Seconde Guerre mondiale terminée que les camps de la mort seront découverts. La France, en même temps que le reste du monde, découvre avec effroi les horreurs qui s’y sont produites, et ainsi ce qu’il est advenu de ses 75 721 juifs déportés de France, dont peu sont revenus. Alors que les criminels de guerre nazis sont jugés, la France commence une épuration, jugeant ses propres collaborateurs tels que le Maréchal Pétain et Pierre Laval, en partie jugés pour cette participation à cette Solution Finale, qui ne sera définie que plus tard en France par la notion de « crime contre l’humanité ». En participant à la déportation de 75 721 juifs, la France se classe tristement comme étant le dixième pays d’Europe à avoir fourni aux camps d’extermination le plus de juifs, sans compter que sur ce nombre, seuls 2500 juifs environ reviendront. C’est ainsi d’un devoir de mémoire dont nous héritons, c’est à dire « ne pas oublier » et « transmettre » aux générations futures, afin d’éviter que de pareilles horreurs ne se produisent à nouveau.

 

1Chiffres établis par l’association des Fils et filles de déportés juifs de France, présidée par Serge Klarsfeld, et publiés en 1985.

2 Propos recueillis lors d’une interview de l’historien, interview présente sur le site : www.la-croix.com.

3Grimbert Philippe, Un secret, Mémos, 1997