Témoignages des réfugiés et citoyens français

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Les témoignages des réfugiés: l’appréhension et la découverte des camps

De 1938 à 1945, des réfugiés, des opposants politiques et des juifs sont envoyés par le gouvernement français dans des camps d’internements. Angelita Bettini Del Rio1 et Suzette Agulhon2 font parties de ces victimes qui ont tenu à partager leur expérience dans les camps. Leurs témoignages nous renseignent sur les conditions de vie de ces hommes et de ces femmes privés de liberté. La première est internée en 1940, suite à sa participation à une distribution de tract sur le cortège du maréchal Pétain le 5 novembre 1940. Angelita passe quatre ans dans les camps d’internement du Sud-Ouest, transférée à plusieurs reprises dans les camps du Récébédou, de Brens, de Gurs et de Rieucros. Elle y rencontre de nombreuses femmes considérées comme indésirables par le régime de Vichy.

Le 14 février 1942, une autre résistante, Suzette Agulhon, est internée à l’âge de 18 ans après avoir cachée des juifs avec l’aide de sa famille. Elle est envoyée au camp de Brens où elle y passe 2 ans. Profondément choquée par son internement, elle cache volontairement la période 39/ 45 à sa nièce Florence Frayssinet à qui elle rapporte son témoignage. A leur arrivée dans les camps, les internées reçoivent à titre d’effet personnel une paillasse, une couverture, une chemise de nuit, une robe de bure qu’elles nomment  « robe Pétain », une paire de sabots, une assiette, un gobelet et un vase de nuit « à tout faire ». Les nouvelles internées sont aussi particulièrement attendues par les anciennes. Angelita témoigne de son arrivée au camp où elle est prise en charge par une «  maman de camp »3, elle change plusieurs fois de « maman » lorsque celles- ci sont libérées. Derrière une apparente solidarité se cache une réalité beaucoup plus complexe, comme le décrit Suzette. Elle rapporte que les internées s’appellent par leurs véritables prénoms ou par des prénoms d’emprunt, les noms de familles sont proscrits. Pour éviter qu’une fois libérées elles divulguent le nom de leurs amies de camps si elles sont arrêtées par la Gestapo, ce qui pourraient les amenées à être en danger de mort. Les prisonnières peuvent se montrer solidaires mais gardent néanmoins une certaine méfiance entre elles. Suzette explique à ce propos : « j’ai toujours revendiqué mon prénom Suzette mais tu ne sais pas à côté de qui tu dors. Tu ignores ce que tes compagnes ont pu faire. Une prisonnière politique ne se confie pas. »4. Elles partagent cependant toutes le même objectif, partir à tout prix et regagner leur liberté. Il n’est pas rare que la nuit les tentatives d’évasions soient ponctuées par des coups de feu. Ces femmes sont pour la plupart des militantes, des opposantes aux régimes fascistes. A Rieucros vivent ensemble aussi bien des réfugiées que des prisonnières politiques. On y trouve des républicaines Espagnoles, des réfugiées Allemandes, des Italiennes antifascistes, des Juives, des Françaises résistantes ainsi que des prostituées accusées d’avoir transmises la syphilis à des soldats allemands ou encore des femmes internées par erreur. On comptabilise 535 femmes et une quarantaine d’enfants à Rieucros en 1940. Les conditions de vie dans les camps d’internement sont rudes, souvent similaires d’un camp à un autre. Angelita Bettini témoigne des conditions de vie dans le camp de Rieucros. Elle décrit que les baraquements sont des abris de fortune, les boiseries sont usés, les planchers sont déboîtés et « les toitures laissent passer l’eau ». Selon un rapport des services administratifs, le thermomètre descend la nuit à – 6°C à l’intérieur des baraques. Contrairement à Angelita, Suzette Agulhon nous précise d’avantage la condition de vie du camp de Brens. Il est constitué d’une vingtaine de baraquements mal isolés «  tu as froid, très froid et tu commences à crever de faim »5, entouré de barbelés, des guérites et des miradors.

Le niveau d’hygiène est déplorable à cause de l’eau non traitée, de la boue qui recouvre le sol du camp. Suzette précise à ce sujet « l’hygiène c’est très difficile, nous avons des problèmes d’eau, c’est sale, tu te laves comme tu peux. Tu dois rester vigilante sur ta propre hygiène et il y a de la boue, les chaussures ne résistent pas c’est inimaginable » Le passé pour certaines personnes est enfoui au plus profond de leur être et le faire resurgir représente une épreuve très douloureuse, c’est le cas de Suzette Agulhon qui cache volontairement la période de 1939/1945 contrairement à Angelita qui, malgré cette période terrible de sa vie témoigne avec entrain. Ces deux femmes, résistantes et fortes ont leur propre parcours et leur propre histoire mais elles sont tout de même semblables sur la solidarité avec les autres femmes internées. Leur témoignage se rejoignent sur les conditions de vie difficiles dans les camps d’internement.

Il en ressort aussi une incroyable résistance contre les régimes de Vichy mais également contre les Allemands. On pourrait laisser pensé que ces deux femmes ont pu un moment à un autre ce croisé dans un camp d’internement car leur périodes du temps d’arrestation peuvent tout à fait correspondre. Ces témoignages sont essentiel dans le travail de mémoire des camps d’internement.

 

L’opinion des citoyens français concernant les réfugiés et leurs conditions d’internement

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Lettre de révolte

Entre juillet et septembre 1942 de nombreux rapports administratifs à l’attention du ministère de l’intérieur font état que les français sont de plus en plus déconcertés par les déportations. Les témoignages et le bouche à oreille expliquent en partie ce phénomène.Les prises de position de certains évêques au sein du clergé français allant à l’encontre des déportations, dont celles de Monseigneur Saliège, trouvent un certain écho auprès de la population. Après avoir pris connaissance des conditions dans lesquelles les convois d’internés quittaient les camps de Récébédou et de Noé, l’archevêque Jules-Géraud Saliège exprime son indignation à l’aide de l’un de ses mandements6. Il déplore que les internés et les déportés soient traités comme du bétail et non pas comme des êtres humains. En vertu de la morale chrétienne et humaine. Il soutient l’idée que les droits fondamentaux de ces personnes ne devraient pas être spoliés de la sorte et que nul homme ne peut détenir cette prérogative. Le mandement de Mr Saliège fut reproduit en tract et largement distribué dans la région de Limoges, ce qui lui valut l’attention des représentants du gouvernement. 

FEMMES

Une photo « volée » des camps

Il a pris ce cliché discrètement contournant l’interdiction de faire des photos dans les camps. Malgré cette interdiction il trouve le courage de prendre ce cliché. Le camion sur lequel sont installées les femmes avait été utilisé des dizaines de fois auparavant, pour conduire au camp les internés arrivés en gare d’Oloron. Début mars, il avait neigé sur le camp.Comme nous pouvons le voir dans cette iconographie, les soldats attendant que les femmes descendent du camion Dodge, afin de pouvoir les amener dans le camp de Noé et ainsi pour qu’elles puissent prendre connaissance des lieux du camp. Ensuite, on les renseignes sur le droit des visites particulières qui n’ont jamais lieu dans les îlots d’internés mais dans le quartier administratif du camp.

Il s’agit des visites à caractère religieux faites par des prêtres comme l’abbé Bordenave ou le curé du village de Gurs ou des pasteurs comme le pasteur Rennes qui obtiennent dès le mois de mai l’autorisation de célébrer leur culte au camp. Il peut s’agir des visites à caractère sportif de responsables des équipes de football de la région qui proposent, vainement d’ailleurs, d’organiser des rencontres avec l’équipe espagnole du camp. Ceci peut être des visites à caractère artistique de musiciens, peintres ou sculpteurs qui demandent à rencontrer certains artistes internés ou qui souhaiteraient qu’un des chœurs du camp se produise dans un village de la vallée.
Mais aussi des visites à but économique de petits patrons de la région qui souhaitent recruter un ouvrier ou un exploitant agricole pour leurs travaux professionnels ou familiaux. Puis, le dimanche surtout, il y a la foule des « touristes »10, des badauds, soit des sympathisants ou des membres de la famille, qui arrivent à vélo et stationnent devant le camp, sur la route nationale, à une vingtaine de mètres de la clôture de barbelés. Certains tentent d’engager une discussion, d’autres jettent des paquets de cigarettes, d’autres demandent aux gardes de faire passer un objet, mais la plupart se contentent de regarder.

Dans certains camps d’internement des enfants vont à l’école qui sont organisées comme dans le camp d’internement de Rieucros. D’ailleurs en 1941, l’inspecteur d’académie s’adresse au secrétaire d’État à l’éducation nationale pour lui demander que les enfants espagnols parlant français soient mélangés dans des établissements scolaires de la villes aux enfants Français. « 25 enfants de 6 à 13 ans, pour la plupart de nationalité espagnole, mais parlant tous le français, se trouvent à RIEUCROS. Il serait évidemment souhaitable de soustraire à l’influence du milieu auquel leurs mères se trouvent mêlées […] des enfants plus âgés, fils d’internées, ont fréquenté les autres établissements de la ville, le collège notamment, […] ont donné satisfaction quant au travail et à la conduite ; mais il ne me paraît pas possible d’imposer le trajet aux plus jeunes, vu la distance et l’état du chemin assez souvent enneigé en hiver. »11 (AD 48 9 W 102).

Dans les camps d’internement, les détenues ont le droit d’écrire à leur famille seulement deux lettres par semaine. L’écriture doit être parfaite pour permettre la censure, seules quatre langues sont autorisées : le Français, l’Italien, l’Espagnol et l’Allemand. Si ce sont des colis ils doivent impérativement être présentés ouverts et l’une des punitions des camps est l’interdiction de courrier si celle-ci n’est pas ouverte.

Nous pouvons constater que les conditions de vie des internés sont pleines de contrainte, ils ne pouvaient réellement dire ce qu’ils se passer dans les camps d’internement mais ils avaient des contacts avec les gens de l’extérieur. Les opinions des Français sont partagés en deux par l’opinion majoritaires et l’opinion minoritaires des Français. La majorité des Français ne peut appréhender avec exactitude la réalité des camps. Ils ne peuvent ni mesurer ni imaginer l’étendue du projet nazi sur une base d’information solide. Il peut y avoir une certaine difficulté pour la population à dissocier la notion de prison et de camps. La minorité qui a connaissance des faits est révoltée et s’interroge sur la destination des convois et des trains de déportés. Dès lors, devant le totalitarisme du gouvernement de Vichy, l’opposition aux traitements des internés et des déportés ne peut difficilement s’effectuer autrement que dans l’ombre et le silence.

En conclusion…

Les informations concernant les réfugiés ont commencé à se tarir sous le gouvernement Daladier. En outre, les citoyens français sont divisés selon leur sensibilité politique devant la bataille à laquelle se livre les journaux politiquement ancré à gauche où à droite. Selon une tendance générale, si les premiers sont compatissant au sors des réfugiés, les seconds y voient une source de problème, un risque de voir s’exporter un conflit au sein du pays.

Par la suite sous l’occupation, elles furent totalement travesties sous le régime de Vichy, l’existence des camps semblent indissociable de gouvernement autoritaire de Pétain, sous la tutelle allemande. La majorité des Français ne peut appréhender avec exactitude la réalité des camps. Ils ne peuvent ni mesurer ni imaginer l’étendue du projet nazi sur une base d’information lacunaire en raison du mutisme des médias. Pour l’ensemble, les camps représente une zone détention provisoire, il peut y avoir une certaine difficulté pour la population à dissocier la notion de prison et de camps, ou encore de zone de transit ou les résidents sont dans l’attente d’obtenir une situation socio-professionnelle;

La minorité qui a connaissance des faits est révoltée et s’interroge sur la destination des convois et des trains de déportés. Dès lors, devant le totalitarisme du gouvernement de Vichy, l’opposition aux traitements des internés et des déportés ne peut difficilement s’effectuer autrement que dans l’ombre et le silence.

 

1 Angelita BETTINI DEL RIO est internée en 1940 à l’âge de 18 ans. Son père d’origine espagnole et deux de ses frères ont été arrêtés l’année précédente et déportés en Algérie, au camp de Djelfa, jugés indésirables par les nouvelles lois du gouvernement de Vichy. Lorsque Pétain est passé à Toulouse le 5 novembre 1940, elle a agi presque naturellement en distribuant des tracts. Dénoncée suite à sa prise de position, elle s’est alors retrouvée dans un camp.

2 Suzette AGULHON vit avec ses parents et sa sœur cadette Mireille à Florac. Le 1er novembre 1939 Suzette est embauchée à la sous-préfecture de Florac pour un poste de secrétaire dactylographe, elle a alors 18 ans. Son travail consiste à recevoir le public, ouvrir le courrier, taper les rapports et les notes pour le sous-préfet. La Lozère est en zone libre et sa famille aident les réfugiés. Mireille accompagne régulièrement des Juifs jusqu’à une ferme isolée (Bramefont) où ses grands-parents les hébergent avant leur départ vers les Cévennes.

3 « maman de camp » est un terme utilisé pour dire qu’elle a était marrainé dans la vie de camp sources du témoignage : http://www.histoiresordinaires.fr/Dans-les-camps-de-Petain-il-etait-une-jeune-femme-Angelita_a503.html

4 Source témoignages: http://www.camp-rieucros.com/images/stories/temoignage/SUZETTE.pdf

5 Source: le site camp Rieucros : http://www.camp-rieucros.com/images/stories/temoignage/SUZETTE.pdf

6 le mandement est un écrit qu’un évêque fait publier à l’attention des fidèles de son diocèse. par lequel il leur transmet des instructions religieuses. Le mandement est lu par les prêtres à la messe du dimanche.

7 La France Libre est une organisation de résistance extérieure fondée à Londres par Charles de Gaulle à la suite de son appel du 18 juin 1940.

8 Source : Denis Peschanski, Les camps français d’internement(1938-1946)-Doctorat d’État, Histoire. Université Panthéon-Sorbonne- Paris 1,2000.

10 Familles, amis

11 Sources : http://www.camp-rieucros.com/index.php/l-internement/vie-quotidienne/3-vie-quotidienne/detail/3-panneau-3-vie-quotidienne-des-femems-avec-leurs-enfants?tmpl=component