La culture se révèle comme un moyen de témoigner et de sortir de l’ordinaire

La culture pour témoigner et préserver son identité

MOULINIE, Véronique, La Retirada : Mots Et Images D’un Exode, Carcassonne, éditions Garae Hésiode, 2009, p. 98.

Autoportrait de Jesus Guillen Bertolin

La pratique culturelle permet de témoigner des conditions d’internement, c’est en quelque sorte un moyen de résister. Prenons l’exemple de la poésie dans le camp de Gurs. De nombreux poèmes ont été interceptés par la censure. Ils expriment la violence du quotidien dans le camp. En 1942 Selma Chabina écrit : « Les camps de la douleur se sont ouverts pour nous. II nous faut vivre là, sourds, dénués de tout. Perdus dans la misère et le froid et la faim.». Ces écrits montrent la volonté de laisser une trace pour éviter l’oubli. Le témoignage est un besoin pour de nombreux déportés des camps, ils écrivent mais aussi tentent de dessiner ou de prendre des photos avec le peu de moyens dont ils disposent. Les objets parfois produits dans le camp comme des vêtements, des ouvrages de dames, des chaussures, peuvent être vendus à l’extérieur, c’est aussi, ici une forme de témoignage.

Les réfugiés espagnols arrachés à leur culture lors de l’exil en France utilisent également les créations culturelles pour préserver leur identité. En effet, la culture peut  se référer à l’Espagne, à son histoire, à ses traditions. Dans chaque camp, on essaie de créer une chorale pour distraire les internés mais également pour « entretenir leur amour pour le riche folklore espagnol ».
Il y a ainsi au Vernet, selon la FETE, un authentique orphéon : Société chorale de voix d’hommes ou de voix mixtes d’enfants, avec plus de soixante-dix voix.

Il y eu même à certains moments des spectacles de corrida dans le camp de Bram, pour célébrer les 150 ans de la révolution française. Le 14 Juillet 1939, les internés du camp sont invités à assister aux cérémonies du matin. L’après-midi les espagnols obtiennent l’autorisation de mettre en place « leurs propres réjouissances ». Il y eu donc des défilés de musique, une parade de masques et de costumes divers. La culture a alors ici une double fonction, elle sert à témoigner mais aussi à préserver son identité.

Une échappatoire

La culture joue un rôle majeur chez les détenus.L’ensemble des activités culturelles permet de s’échapper du quotidien des camps. Dans les camps, les activités physiques occupent une grande place. Le sport bien que n’étant pas de la culture, tient une place importante. À travers sa pratique, il participe à l’épanouissement et l’enrichissement des personnes, au niveau physique, mais aussi intellectuel. Il permet le plaisir, la découverte, le rêve, la curiosité et englobe des systèmes de valeurs comme la politesse, le respect, le courage, le contrôle de soi… La majorité de la population des camps est jeune, le sport constitue un bon moyen de se défouler. Les sports pratiqués sont ceux qui ne nécessitent pas un matériel considérable. On  pratique par exemple du football, basket, rugby, de l’athlétisme. Le sport a un véritable succès derrière les barbelés. Des compétitions individuelles ou par équipes voient le jour. Par exemple, au Barcarès en juin 1939 on relève qu’il y a eu 250 matchs de football, 60 de basket, 30 de rugby, ainsi que 22 combats de boxe.

Les activités physiques et culturelles ont une finalité bien précise. Face à l’enfermement et la suppression des libertés, la culture représente ce combat quotidien que mènent les internés pour résister et subsister. Ce combat contre les autorités du camp, contre la France collaborationniste. La culture est utilisée à des fins thérapeutiques. Elle est le remède aux effroyables conditions de vie, à la mauvaise nourriture, au manque de la famille… La culture permet de s’occuper, de tuer l’ennui. Les activités culturelles sont un moyen de survie pour les internés. Elles leur permettent de se divertir, de s’enthousiasmer malgré des conditions de vie difficiles.

MOULINIE, Véronique, La Retirada : Mots Et Images D’un Exode, Carcassonne, éditions Garae Hésiode, 2009, p. 98.

Camp d’Argelès-sur-Mer, « Une dimension humaine et une vie sociale dignes de ce nom »

La culture est aussi un moyen de s’opposer aux idées extrémistes du régime nazi prônant la culture de masse. Dans les camps, les personnes montrent qu’elles sont capables de penser, de réfléchir par elles-mêmes, de s’élever au-dessus d’un savoir moyen déterminé. La culture est relayée dans les camps par l’éducation. Le but est d’humaniser les populations, de les rendre dignes. Sur un bulletin de Saint-Cyprien, on pouvait lire : « par-dessus les mauvais souvenirs que le camp de concentration pourra évoquer demain pour les réfugiés brille la mémoire vécue dans l’émouvante satisfaction produite par l’étude. » (MILZA, p. 365). Cette phrase est révélatrice de l’intérêt porté par les internés pour l’éducation.