Témoignage

Ce témoignage a été réalisé avec l’aide de Mr. De Chanterac, président de l’association pour perpétuer la mémoire des camps de Brens et de Rieucros. Ce dernier nous a mis en contact avec un riverain qui a toujours vécu aux abords de l’ancien camp d’internement de Brens. Nous avons eu une réponse très rapide et avons été très chaleureusement accueillis à son domicile. Il nous a fourni, au fil de notre échange, de nombreuses informations sur les relations entre le camp de Brens et son environnement local. Il nous a parlé des relations humaines, matérielles, et nous a aussi donnés son point de vu sur le ressenti des habitants de Brens et de Gaillac.

Les habitants de la région subissaient comme tous les européens de lourdes restrictions qui étaient parfois légèrement amorties par la solidarité et le milieu de vie (exemple : notre témoin était agriculteur, il lui était plus facile de subvenir à ses besoins). La population s’informait souvent sur l’actualité, par la radio, parfois clandestine. Au niveau local de Brens, les administrations allemandes et de Vichy embauchaient les habitants pour des tâches de surveillance des voies ferrées par exemple ou pour rejoindre le personnel du camp. Les internées étaient aussi en contact avec l’extérieur, avec entre autres des sorties pour apporter de la main-d’oeuvre supplémentaire aux travaux agricoles. Malgré son activité paysanne, notre interlocuteur n’a jamais fourni le camp en nourriture ce qui montre bien que le ravitaillement n’était pas local. Du point de vue des mentalités, les riverains, qui pouvaient observer l’activité du camp au quotidien, ressentaient une grande gêne vis à vis du sort de ces femmes ainsi qu’un sentiment d’impuissance. Cependant, même s’il s’agit d’une minorité, des personnes acceptaient cet emprisonnement.

Voici la retranscription de notre discussion :

Dans un premier temps, nous allons vous laisser vous présenter :

Je suis né le 2 Mai 1924 dans la maison où nous nous trouvons. J’ai été agriculteur toute ma vie, j’ai commencé en 1940 à 16 ans lorsque les personnes qui travaillaient sur l’exploitation ont été mobilisées. Après la guerre, je me suis marié en 1950 et j’ai eu 3 enfants.

Vos parents étaient-ils agriculteurs aussi ?

Mes parents étaient aussi agriculteurs, mon père avait en plus un commerce de vin. C’est pour ça que j’ai dû m’occuper de l’exploitation car il avait son commerce à gérer et il n’était donc pas libre tout le temps.

Lors de l’entrée en guerre, quel a été votre ressenti ?

C’était un coup dur pour tout le monde mais, à 16 ans et avec une exploitation à gérer, j’avais d’autres préoccupations.

Quelles ont été les conséquences de la guerre chez vous, notamment au sujet du rationnement ?

Nous avons évidemment été très touchés. On a vite accueilli sur la propriété des gens de la famille qui quittaient la zone nord de la France et puis des belges. On est d’ailleurs toujours en relation avec eux et c’est devenu des amis. Il faut dire aussi qu’à l’époque nous étions 40 personnes sur l’exploitation entre autres grâce à la grande maison et aux  bâtiments de la ferme qui permettaient d’accueillir du monde. En plus, quand ma mère partait à Gaillac à vélo, si elle croisait des gens malheureux et qui nous restait de la place elle leur disait de venir.

Avez-vous vu des internées en dehors du camp, pour travailler par exemple ?

On a eu des internées qui sont venues nous aider pour la moisson. Elles étaient encadrées par un gardien. Comme à l’époque, on avait pas de moissonneuse-batteuses mais on coupait à la lieuse, il nous fallait de la ficelle mais on n’en avait pas. Alors quand on coupait le blé, on le mettait en javelles et les femmes, qui étaient des agricultrices polonaises il me semble, prenaient 4 brins de paille et faisaient des nœuds pour faire des gerbes. Je me rappelle qu’il y en avait une vingtaine qui étaient venues avec un gardien pour nous aider à ce travail. C’est la seule fois où on a eu affaire avec des internées de Brens.

Sauf dans ce cas, vous ne les voyiez jamais ?

Seulement quand on passait devant le camp.

Est-ce que vous savez si des internées pouvaient sortir du camp, comme des permissions spéciales ?

Non, le camp était très fermé. Quand elles sont sorties pour le travail, elles étaient toujours accompagnées par les gardiens

Est-ce que des habitants du village ont travaillé pour le camp ?

Alors, je me souviens que des voisins étaient gardiens au camp.

Quel était leur travail avant, ils étaient déjà fonctionnaires ?

Non non, le voisin avait une petite exploitation agricole aussi et puis il a été embauché au camp. Il y en avait sûrement d’autres mais je ne les connaissais pas.

Pour le ravitaillement, on faisait appel à des exploitants, commerçants locaux ?

Le boulanger il me semble mais tout était rationné pour nous et donc pour eux encore plus.

Est ce qu’il y avait du mouvement entre le camp et l’extérieur ?

Oui, surtout entre le camp et Gaillac où il y avait la gare mais en ce qui nous concerne nous étions assez éloignés de tout ça.

Est-ce que le camp était un sujet de discussion avec vos parents et vos proches en général ?

Oui forcément, on y passait devant presque tout les jours.

Quels débats, sentiments il suscitait ?

On était très embêté de voir ces femmes et ces enfants souffrir qui étaient enfermés. La vision de tout ça n’était vraiment pas agréable.

Quand la zone sud a fini par être occupée, est-ce qu’il y avait des mouvements de résistance dans la région ?

Oui, il y avait les mouvements de la forêt de Grésignes et de la Montagne Noire.

Il y a eu des actions de leur part visant le camp ?

Non, pas à ma connaissance, mais il y a eu des évasions.

Est-ce que des habitants de Gaillac auraient été complices en hébergeant des évadées par exemple ?

Vous savez, quand des internées s’évadaient, elles cherchaient à aller le plus loin possible de Gaillac, pour éviter de se faire reprendre. Je sais que certaines se sont évadées de nuit et ont marché jusqu’à Lisle sur Tarn pour y prendre le train.

Si pour vous, la vision du camp était gênante, est-ce que pour certains ça paraissait « normal » ?

Très peu, surtout à cause du fait que les internés soient des femmes et des enfants. Il faut savoir aussi que, à la base, le camp a été construit en 1939 pour accueillir les ouvriers de la construction du pont et non pour emprisonner des gens.

Comment était l’atmosphère générale concernant entre autres le régime de Vichy ?

Il y avait les pours et les contres forcément ce qui amenait quelques tensions mais comme je l’ai dit, à 16 ans, on a d’autres préoccupations.

Et au niveau familial ?

On était plus du côté des libertés et donc contre la collaboration avec les Allemands. Vichy n’était pas très apprécié.

Avez-vous fourni au camp de l’alimentation ?

Non, on ne nous a jamais demandé de le faire. Peut-être que c’était fait indirectement.

Vous deviez avoir des discussions sur la guerre ayant hébergé des belges n’est-ce pas ?

Bien évidemment, eux qui avait été expulsés, ils étaient pas très heureux de cette situation. Je me souviens qu’il y avait toute une famille, le grand-père était chauffeur de taxi et ils étaient descendus avec sa voiture. On est très bons amis, ils viennent chaque année et n’ont pas oublié qu’on les avait aidé.

Sur quels points vous a marqué la période de guerre ?

Surtout sur la nourriture, le rationnement était très dur. Heureusement, on était à la campagne, on avait un peu de ressources. Le pain était rationné, on allait tous les jours avec notre petit sac de 375 grammes chez le boulanger. Moi qui avais bon appétit, au petit-déjeuner le pain était déjà parti. Mais c’est vrai qu’on était avantagé par rapport à la ville, on avait un jardin, quelques volailles, on élevait un cochon. L’amélioration n’a été que progressive après la fin de la guerre.

Je me souviens aussi qu’on faisait l’échange blé/pain, on apportait au boulanger du blé et ça nous donnait droit à quelques kilos de pain. Comme je possédais une batteuse, je faisais le tour des exploitations pour obtenir le grain.

Des figures de l’époque vous ont marqué ?

Je ne me souviens plus. On écoutait la radio clandestine au poste quand ce n’était pas brouillé pour essayer de savoir ce qui se passait un peu partout. On entendait parler de De Gaulle et d’autres.

Avez-vous eu des contacts avec les allemands ?

Non, très peu, c’était des français qui gardaient le camp. Mais on a été mobilisé pour surveiller les voies ferrées la nuit. On était ou du soir (18H/minuit), ou du matin (minuit/6H). On marchait sur la ligne de Gaillac jusqu’à Tessonnières et on faisait le retour, pareil de l’autre côté vers Toulouse on faisait 7 ou 8 kilomètres. Armé de bâtons, on devait empêcher les résistants de faire sauter les voies ferrées. Je vous avoue que si on avait vu des résistants, on aurait fait comme si on ne les avait pas vus. Souvent, quand j’étais du matin on mettait un matelas dans le bureau du commerce de mon père.

 

Des anecdotes vous ont marqué ?

A un moment, il y avait des soldats mongols stationnés au camp, tout le monde les appelait comme ça. Ils étaient venus chercher du ravitaillement dans la ferme d’à côté et on leur a donné des œufs. Ils voulaient vérifier qu’ils n’étaient pas empoisonnés alors ils ont demandé que le fermier les goûte. Mais lui, il détestait ça, il a été malade comme un chien.

Je me rappelle que mon père envoyait un conteneur de vin en Corrèze par train et a été surpris de son retour. Il l’a ouvert et a trouvé plein de patates. Là-bas, à Brive ils avaient plus d’agriculteurs et savaient qu’on était dans la difficulté alors il se sont débrouillés pour nous renvoyer ça. J’ai pris un bœuf et une charrette et je suis allé à la gare de Gaillac pour récupérer les patates. Tout le monde essayait d’aider l’autre tant qu’il pouvait.

Quelle a été votre vision du camp avec un peu de recul après la guerre ?

On y était pour rien mais on s’en serait bien passé. On se sentait aussi très impuissant.

Il y a t’il  eu une consultation auprès de la population avant l’installation du camp ?

Non, au départ c’était pour les ouvriers mais il a ensuite été réquisitionné.

Et aujourd’hui, comment vous entretenez cette mémoire ?

J’aime bien lire des livres sur l’époque mais c’est rare que j’en parle avec ma famille et des étudiants.