La notion de lieux de mémoire est apparue dans les années 1980 avec Pierre Nora. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ces derniers sont valorisés par une population qui est encore vivement touchée par le conflit. Ces lieux de mémoire sont représentés par des infrastructures diversifiées : des mémoriaux, des musées, des sites historiques ou encore des nécropoles nationales. La politique mémorielle gaullienne a accordé une place importante à l’illustration de la mémoire. Le premier lieu de mémoire inauguré dans le cadre de la politique mémorielle gaullienne est le Mémorial de la France combattante, en 1960, au Mont Valérien. Il illustre la mémoire d’une France combattante durant le conflit, appuyant le mythe résistancialiste.
Les années soixante sont marquées par la prise d’initiative du monde associatif pour la mémoire. C’est ainsi, que les musées de la Résistance et de la déportation sont créés. Ces lieux mémoriaux sont fondés dans le but de transmettre aux nouvelles générations, des valeurs communes liées à la Résistance. En lien avec cet essor mémoriel, Charles de Gaulle crée le concours de la Résistance et de la Déportation en 1962.
D’autres formes viennent également symboliser et illustrer les politiques mémorielles, comme par exemple des œuvres cinématographiques ou littéraires. Ainsi en 1963, la publication d’Astérix chez les Goths met en avant une France unie, solidaire et combattante contre l’ennemi. En 1946, la Bataille du rail de René Clément montre à la nation française une forme de résistancialisme autour des cheminots de France qui résistent à l’Allemagne nazie.
Par le biais des arts, nous retrouvons donc une volonté de promouvoir le mythe résistancialiste. Dans une même logique, De Gaulle met en place des actions avec un fort impact symbolique. Ainsi, la destruction du vélodrome d’Hiver en 1959 montre que la politique mémorielle laisse de côté les mémoires de la Shoah. Lors du retour au pouvoir de Charles de Gaulle (1958), le mythe résistancialiste s’essouffle avec le développement de la mémoire de Vichy.
« Le mythe à vrai dire, jetait déjà ses derniers feux ».
Ce début de transition mémorielle se traduit en 1962 par la mise en place d’une stèle de réconciliation (franco-allemande) à Stonne dans les Ardennes : une « simple croix en béton portant sculptées deux mains qui se serrent, celles des ennemis d’hier ».
Dans les années 1970, des œuvres cinématographiques ou encore littéraires jouent un rôle important dans la transition mémorielle. Ainsi, de nouveaux lieux de mémoire apparaissent. Ces œuvres ont fait évoluer, au travers de leurs contenus, une mémoire qui avait été, jusqu’alors, volontairement oubliée par la société, tout comme par les politiques. Elles ont également permis une « prise de conscience » au sein de la société. Nous pouvons ainsi penser à l’ouvrage de Robert O.Paxton, La France de Vichy, publié en 1972.
Dans une même mesure, l’école apparaît comme un facteur important dans la promulgation de la mémoire mais l’étude des années sombres en France ou encore l’histoire de la Shoah ne s’ajoute dans les programmes scolaires que tardivement, dans les années 1980.
Entre 1970 et 1990, de nouvelles mémoires émergent et se traduisent par la création de nouveaux lieux de mémoire. Ainsi, de multiples musées voient le jour. Ils résultent d’initiatives locales permises par la décentralisation du pouvoir mémoriel de l’État. De nombreux mémoriaux et stèles sont alors créés sous l’impulsion de groupes mémoriaux. Ces lieux de mémoire se multiplient à l’égard des mémoires juives, des anciens du STO, ou encore en faveur de celles des prisonniers de guerre.
Durant la période de 1990 à nos jours, les lieux de mémoires se sont considérablement multipliés tout comme les moyens financiers : entre 1988 et 1998, 250 millions de francs ont été mobilisés par la France et l’Europe pour la mémoire des conflits contemporains. La période a vu l’émergence d’œuvres cinématographiques qui ont contribué à faire évoluer la mémoire comme par exemple Un héros très discret de Jacques Audiard ou encore Lucie Aubrac de Claude Berri. Ces deux films ont permis de dénoncer les fausses gloires attribuées bien souvent dans le passé, à l’histoire résistante, tout comme ils ont prouvé que la mémoire ne coïncidait pas forcément avec l’histoire.
De plus, Jacques Chirac a entrepris durant ses années au pouvoir un réel travail mémoriel, multipliant les musées, les aides et les cérémonies. Néanmoins, cette prise en main de l’État a eu, parfois, des conséquences négatives. En effet, la prise en compte des revendications des différents groupes, les Juifs et les résistants notamment, a conduit à une fragmentation de la mémoire collective. Cette « balkanisation de la mémoire nationale » a fait réagir les historiens, ce qui a amené le président, Jacques Chirac à revenir sur sa politique mémorielle, déclarant ainsi en 2006, que « l’écriture de l’histoire n’était pas du ressort du Parlement ».
La multiplication des lieux de mémoire sous la présidence de Jacques Chirac témoigne d’une réelle volonté d’entretenir le souvenir des années sombres. Pour autant, cette politique mémorielle basée sur les lieux de mémoire ne semble pas avoir porté ses fruits. En effet, selon une étude évoquée par Olivier Wieviorka dans La mémoire désunie :
« A la fin de l’année 1998, seulement 50% des 110 000 jeunes ayant passé les tests de la Journée d’appel de préparation à la Défense (JAPD) surent donner sans erreur la signification de ces quatre dates d’anniversaire : 14 juillet, 11 novembre, 8 mai, 6 juin ».
Ce résultat montre ainsi les limites de la portée des lieux de mémoire. Il serait donc intéressant de repenser la promulgation de la mémoire et indirectement, celle des lieux de mémoire.