Des contacts difficiles
Garder des liens avec le monde extérieur est un acte primordial pour les internés et pourtant presque impossible pour les premiers internés, ceux du camp de Rieucros en janvier 1939. La présence de ces exilés fuyant le nazisme allemand, considérés comme des « indésirables étrangers » selon la loi, n’est pas clairement divulguée, ce qui explique pourquoi ils ne peuvent pas faire sortir de témoignages de leur camp.
Quant aux réfugiés espagnols, arrivés en masse à partir de février 1939 durant la Retirada et placés dans les « camps des sables » sur les plages d’Argelès, Saint-Cyprien et Barcarès, ils n’ont pas beaucoup plus de communications avec le monde extérieur. Cela s’explique par le côté provisoire de ces camps, construits dans la précipitation, où rien n’est organisé pour aider ceux qui désirent poster des lettres. Les Espagnols eux-mêmes sont démunis, ils n’ont pu emporter que le strict nécessaire pour survivre.
La construction des camps « en dur » à partir de 1940 permet enfin aux prisonniers de communiquer avec leurs proches. Ces possibilités sont tout de même très réglementées, voire même censurées en ce qui concerne les lettres puisque « les nouvelles les plus alarmantes ne pouvaient pas sortir des camps ». Des visites, une à deux fois par semaine, sont autorisées dans les camps de Saint-Sulpice ainsi que dans les camps-hôpitaux de Noé et du Récébédou. Des permissions d’une demie-journée sont même possibles dans les camps du Tarn afin que les internés effectuent des démarches administratives pour pouvoir émigrer ou pour les occasions spéciales comme les enterrements.
Cependant, nous savons que tous les camps du sud-ouest de la France ne fonctionnent pas de la même manière. Nous pouvons prendre l’exemple du camp de Gurs où les mesures liberticides sont très strictes. Cela s’illustre par des déplacements très limités : une personne internée peut difficilement sortir de son îlot, par conséquent, sortir du camp pour voir sa famille est impossible. La réception de lettres et de colis y est tout de même autorisée et très réglementée.
C’est finalement à partir de l’été 1942 et des premières déportations depuis les camps français que les sorties, les colis et les courriers sont progressivement restreints puis interdits dans tous les camps. L’interdiction des sorties s’explique par le fait qu’un grand nombre de prisonniers ne revenaient pas au camp après une permission. Quant aux lettres, leur restriction est liée à la volonté du gouvernement de ne pas alerter la population française sur les conditions de vie dans les camps où ne séjournaient plus seulement des étrangers indésirables, mais aussi des citoyens français qu’ils connaissaient. Ces mesures, de plus en plus restrictives pour les internés répondent donc à une politique Vichyssoise changeante : les camps d’hébergements ne sont plus des lieux destinés à accueillir des « indésirables étrangers » mais des lieux de « concentration » de populations étrangères ou françaises, en attente d’être déportées vers les camps nazis.
Il existe tout de même quelques exceptions : les associations. Elles sont les seules à pouvoir encore entrer dans les camps et parfois à s’y installer pour aider les prisonniers au plus près d’eux. Il y a par exemple la CIMADE, présente dans de nombreux camps et qui œuvre pour la libération d’internés, ainsi que le Comité inter-confessionnel de Nîmes, qui n’existe plus aujourd’hui.
Solidarité et exclusion
Dans les camps, plusieurs formes de solidarité existent entre les internés. Tout d’abord, on sait que certains internés habilités à soigner ou nourrir les autres s’emploient à le faire durant leur détention. Ainsi, des hommes et des femmes incarcérés dans les mêmes conditions que les autres mettent leur énergie à aider leurs nouveaux compagnons en redevenant les médecins, infirmières ou cuisiniers qu’ils étaient à l’extérieur du camp. Autrement dit, dans de telles conditions, les internés ne peuvent survivre qu’en se soutenant, face à un gouvernement qui ne leur apporte aucune aide.
Aujourd’hui on dispose de davantage de témoignages au sujet d’actes solidaires entre femmes qu’entre hommes, notamment pour celles passées par le camp de femmes de Rieucros (puis de Brens après leur transfert en 1942). Ensemble, elles se soutiennent en créant des objets mais aussi des événements comme des pièces de théâtre, preuve d’une vraie organisation et coopération entre internées. Par exemple, elles ont pu exprimer leur soutien mutuel lors de la fête des mères de 1941 où une femme par nation a pu chanter une berceuse dans sa langue maternelle, créant un sentiment de compassion dans le camp.
Les amitiés entre internés se créent aussi et surtout par le biais des communautés auxquelles ils appartiennent. Il y a notamment les communautés religieuses juives, musulmanes et chrétiennes. Ces groupes sont très importants pour les internés, particulièrement lors des fêtes de fin d’année, propices aux rassemblements et aux moments de soutien. Les rassemblements se font aussi en fonction de l’origine des internés, ainsi il existe au sein des camps des communautés tziganes, espagnoles, ou allemandes. Les convictions politiques des internés leur permettaient aussi de se retrouver entre membres du même parti, de se soutenir et de parler politique bien que ce soit alors illégal. Il s’avère même que des hommes de différentes idéologies politiques se rassemblent autour d’une même conviction, « l’anti-fascisme ». Le cas est surtout présent dans le camp du Vernet d’Ariège, spécialisé dans l’enfermement d’opposants politiques, qu’ils soient socialistes ou communistes. C’est ainsi que grâce à la coopération des internés entre eux, ce camp est devenu à son insu, l’un des centres de résistance du sud de la France ; les hommes coordonnant des actions de sabotages, d’évasions et transmettant des informations durant leur détention.
Inévitablement, la promiscuité de tous ces internés crée aussi des tensions qui mènent alors à des exclusions. C’est le cas dans le camp de Brens où les femmes internées pour raisons politiques ont demandé à être séparées des prostituées et des femmes incarcérées de droit commun. Cette demande leur a été accordée en mars 1943 par le gérant du camp. Même sort dans le camp de Saint-Sulpice où les hommes mettent à l’écart ceux de la baraque 19 qui abrite les condamnés pour « motifs économiques ».
PERES Charline