Études de cas : le devoir de mémoire à travers les exemples des camps de Rivesaltes et de Brens

L’opinion publique a amplement contribué à l’apparition d’un devoir de mémoire pour le camp de Rivesaltes, qui a été ensuite, soutenu par des politiques. Le mémorial de Rivesaltes inauguré le 16 octobre 2015, constitue l’une des principales actions en vue de promouvoir la mémoire de ce camp. L’architecture, l’emplacement du mémorial ou encore les expositions ont été pensés pour dispenser au mieux la mémoire de Rivesaltes et plus largement, celle des camps d’internement du Sud-Ouest de la France.

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Le parallélépipède de Rudy Riccioti symbolisant le devoir de mémoire du camp de Rivesaltes, inauguration le le 16 octobre 2015

Quels sont les éléments qui ont poussé à choisir Rivesaltes comme lieu de mémoire modèle pour l’ensemble des camps du Sud-Ouest de la France ? Pour Denis Peschanski, le camp de Rivesaltes est « singulier et majeur » dans l’histoire des camps du Sud-Ouest de la France, dans la mesure où les mémoires de Rivesaltes sont représentatives de l’ensemble des populations qui ont été enfermées dans les camps du Sud-Ouest de la France. Rivesaltes permet ainsi de valoriser, en un même lieu, plusieurs mémoires. 

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Vidéo explicative de Denis Peschanski, l’historien du mémorial de Rivesaltes

Le devoir de mémoire à Rivesaltes a donc dû se construire en tenant compte des pluralités mémorielles, tout en essayant de les rassembler autour de thématiques qu’elles avaient en commun ; qu’il s’agisse du lieu d’internement ou du déplacement forcé, qu’ont subi tous les internés. Néanmoins, le devoir de mémoire de Rivesaltes se doit d’être nuancé car il ne représente pas la réalité mémorielle de l’ensemble des camps. Ainsi, le devoir de mémoire des camps du Sud-Ouest de la France valorise une minorité de camps, Rivesaltes par exemple, au dépend d’une majorité qui reste dans l’oubli. L’exemple de Rivesaltes semble donc être un cas à part.

L’étude du camp de Brens semble donc intéressante pour nuancer la réussite du devoir de mémoire de Rivesaltes.

Tout d’abord, la privatisation du terrain et la non-intervention des pouvoirs publics amènent au constat qu’aucun vrai travail mémoriel n’a pu être réalisé pour entretenir le souvenir du camp de Brens. Le seul « acte de mémoire » est l’installation d’une stèle le 14 septembre 1969, sur laquelle on peut lire :

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Une modeste stèle comme unique acte de mémoire (14 septembre 1969)

« Ici vécurent aux côtés de Résistantes françaises, des femmes antifascistes d’autres pays réfugiées sur notre sol. Parmi elles, le 26 août 1942, des femmes allemandes et polonaises furent déportées à Auschwitz d’où elles ne sont jamais revenues. Hommage à leur mémoire »

Une autre est déposée en juin 2015 par « l’Association pour perpétuer le souvenir des internées des camps de Brens et de Rieucros ». Cependant, le devoir de mémoire du camp de Brens ne peut être véritablement considéré comme existant. En effet, la mise en mémoire d’un lieu est un processus plus long et plus complexe que de simples plaques commémoratives ne peuvent suffirent à assurer.

De plus, le problème mémoriel que soulève Brens, s’apparente à celui qui s’est posé pour les vestiges du village d’Oradour-sur-Glane en Limousin.

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Un vestige ne devient lieu de mémoire qu’en étant « remodelé » : on parle alors d’une « impossibilité de fixer le temps »

Dans la mesure où on a compris que « pour conserver Oradour comme mémorial historique, il fallait mettre fin à Oradour comme lieu d’occupation humaine », il apparaît souhaitable d’en faire de même pour Brens. Cependant, laisser le site dans son état ne rend pas réellement compte de son histoire. C’est pourquoi, comme le souligne, Laurent Olivier dans l’extrait du séminaire d’Hélène Noizet, « pour préserver ces restes du passé dans leur passé, il faut les bourrer d’adjonctions qui leur sont étrangères, c’est à dire les réinventer » et conclut ainsi : « les vestiges du passé ne peuvent traverser le temps et parvenir jusqu’à notre connaissance qu’en étant transformés ». Ainsi, Brens ne peut donc exister comme véritable lieu de mémoire qu’en étant « remodelé ». Néanmoins, l’association pour le camp de Brens rencontre des difficultés pour y parvenir.

Ainsi, ces deux études de cas permettent de soulever les limites du devoir de mémoire à l’échelle de l’État et à l’échelle des camps. Tout d’abord, nous pouvons dire que le camp de Rivesaltes sert de référence pour la mémoire des camps du Sud-Ouest de la France. Souvent relayé dans les médias, il dégage l’image d’un camp au devoir de mémoire modèle. Mais face à la mise en lumière de Rivesaltes, les autres camps du Sud-Ouest restent dans l’ombre. Effectivement, la majorité des camps ne disposent pas d’une reconnaissance de l’État, ce qui rend ainsi complexe la mise en place d’un devoir de mémoire, comme c’est le cas à Brens, par exemple. Ce camp est en effet, peu connu de tous et sa mémoire est, elle, portée essentiellement par des associations. La seule forme de reconnaissance officielle est une plaque symbolique présente sur le site. Mais est-ce suffisant pour promouvoir la mémoire de ce camp ? Pendant son réveil mémoriel et son institutionnalisation, la mémoire n’a pas connu d’améliorations notables au niveau des camps. Il y a aujourd’hui un fossé entre le camp de Rivesaltes et les autres camps d’internement du Sud-Ouest. Les démarches locales des associations peinent à se faire entendre et donc à obtenir un financement pour valoriser la mémoire de leur camp. 

Au delà des faibles aides débloquées par le gouvernement, il est intéressant d’analyser les limites du devoir de mémoire des camps du Sud-Ouest de la France d’une manière plus générale. En effet, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale constitue une part importante dans la scolarité des Français. Cependant les camps sont rarement intégrés dans les programmes scolaires. La population est donc mal informée face à cette histoire. La notion de devoir de mémoire au sein des camps français est encore à perfectionner et à divulguer dans la société française. Il faut également prendre en compte le fait que les membres des associations qui entretiennent la mémoire des camps sont vieillissants et, que sans relève, ces associations risquent de disparaître. Pour cette raison, l’État se doit d’intervenir en sensibilisant les nouvelles générations notamment dans le cadre scolaire, pour permettre le maintien d’associations et continuer d’entretenir le devoir de mémoire.

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