Philippe DELVIT – Professeur des Universités – octobre 2022
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UN BREF RAPPEL
La capacité en Droit (la Capa) a été mise en place en 1804, à un moment où les Ecoles de droit (dont celles de Toulouse en 1805) étaient refondées par Napoléon Ier après la parenthèse révolutionnaire. Toutes les Universités avaient effectivement été supprimées, le pouvoir estimant alors supérieures les grandes écoles techniques : les Mines, fondées avant la Révolution en 1783 ; Polytechnique (1794) ; Ecole normale supérieure (1794) ; Saint-Cyr (1802) et d’ailleurs nettement plus tard Centrale (1829), …
BAC ET CAPA
Un élément essentiel à saisir : la Capa est donc antérieure au bac, qui n’est pas formaté en plus à l’origine pour donner une formation à la fois pratique et de base en Droit. De la sorte, son utilité originelle, L 13 mars 1804 est grande. La Capa est destinée à donner aux praticiens du droit, et spécialement aux avoués, un socle efficace (praticiens du droit dont le régime impérial fait aussi sa base, personnes et fonctions). Les avoués sont des officiers ministériels dont les fonctions ont disparu depuis le 1er janvier 2012, réunies et fusionnées dans la profession d’avocat (on parlait de cette fusion depuis plus d’un siècle…).
Quant au baccalauréat (le bac), il faut attendre 1808 pour qu’il soit mis en place, c’est-à-dire à peu près en même temps que l’Université impériale. L’institution met un an (1808-1809) à trouver son premier équilibre. Le bac de Napoléon ne ressemble d’ailleurs en rien au bac de 2022.
Sur le site Service public, pas un mot sur l’origine du « bac »
En effet, il faut attendre les années 1890 pour que le bac commence à adopter le faciès du siècle dernier, et les années 1960 pour sa formule contemporaine. Quelques jalons :
- le bac n’est ouvert qu’aux jeunes-mâles exclusivement à l’origine – issus d’une strate supérieure et possédante de la société ;
- la première bachelière, Julie Daubier (1824-1874, elle-même issue d’une petite bourgeoisie de province bien assise), obtient le parchemin en 1861, non sans de vastes et grossières oppositions (dont celle du ministre de l’Instruction) ;
- le nombre des bacheliers est très faible au début du siècle dernier (1% et moins de la classe d’âge), quelques petits milliers,
De la sorte, la Capa a vu son public et son territoire s’agrandir au cours du XIXe siècle. Mais par contre, avec la généralisation très grande de l’accès au bac (même avant Lionel Jospin et la loi d’orientation de 1989, prévoyant d’ici 2000 d’amener 80% de la classe d’âge au niveau du bac, et non de délivrer le bac à ces mêmes 80 % comme cela a souvent été traduit) et avec la multiplication des formules et spécialités, un mouvement contraire s’est amplifié. Ce d’autant plus que depuis le milieu des années 1950 sont mis en place des dispositifs permettant de contourner l’absence de bac. L’ESEU Examen Spécial d’Entrée à l’Université, décret n° 56-1201 du 27 novembre 1956, est spécialement à distinguer dans ce paysage.
Il faut intégrer aussi la place de dispositifs comme la VAE, Validation des Acquis de l’Expérience (vers 1990 pour la VAP, Validation des Acquis Professionnels, et VAE à partir des années 2000 ) qui minorent aussi l’intérêt de la Capa dans le domaine juridique puisqu’il existe des voies parallèles et gratifiantes.
Pour une étude bienvenue sur l’historique général de la Capa, à jour il y a 25 ans, de Norbert Olszak, « La Capa, deux siècles de promotion sociale », 1998, …
UN EXEMPLE : LA CAPA A LA FACULTÉ DE DROIT DE TOULOUSE (1888-1966)
Pourquoi ces dates ? Ce sont celles d’un registre de Certificats de capacité en Droit, conservé aux Archives UT Capitole, 2Z3-1, 126 pages.
Les certificats sont recensés en numérotation continue du n°1, au n° 1761.
La première inscription portée sur le registre est celle de Simon Bardot (16 juillet 1888), originaire de Monclar (Lot-et-Garonne ; arr. Villeneuve-sur-Lot).
On voit qu’il s’agit d’une fiche standard, cartonnée, destinée aux bacheliers. Un onglet Capacité, collé sur le coin supérieur droit, indique que justement on n’est pas dans la situation habituelle des postulants juristes de première année de licence, porteurs du sésame bac…
La dernière fiche en numérotation continue est le n° 1761 :
Séraphine Torregrosa, session de novembre 1953.
La numérotation continue cesse à cette date, la structure de la Capa s’étant complexifiée.
On voit donc qu’en moyenne 27 Capa sont délivrées par an sur ce laps de temps (1888-1953).
Cette moyenne est trompeuse, en effet, le chiffre des Capa délivrées peut monter nettement (session de juin 1936 : 43 Capa, p. 49-52), comme être moins important suivant les années.
De plus, et même si ce volume semble faible, il faut avoir présent à l’esprit que les effectifs totaux, toutes formations confondues, de la Faculté de droit de Toulouse sont très faibles en comparaison de ceux d’aujourd’hui : soient
>700 étudiants en 1927, 30 fois moins qu’aujourd’hui ;
>900 en 1939 ;
>2 100 en 1941 en large partie à cause des étudiants repliés (des facultés en Zone occupée, …) ;
>mais 1377 en 1960, toutes formations comprises, y compris les Sciences Economiques.
De la sorte, les étudiants de la Capa forment un pourcentage notable des troupes juridiques avant les bouleversements des années 1960.
VOIR : la courbe des effectifs Fac de droit (Mission Archives, Philippe Delvit)
QUI ?
Les femmes
On l’a relevé plus haut : la dernière étudiante à être incluse dans la numérotation continue est Séraphine Torregrosa (née en 1931 à Cransac, Aveyron) en 1953. Son patronyme (terme aujourd’hui juridiquement abandonné) indique que ses origines familiales sont d’ailleurs, d’Espagne.
Car la Capa est un outil d’ascension sociale (comme l’a écrit Norbert Olszak cf. supra, et d’autres).
Les femmes apparaissent tardivement, dans la Capa de Toulouse vingt ans après les premières étudiantes du parcours « normal », celui des étudiants du cursus Première année de licence (l’emblématique Marguerite Dilhan, toujours mise en avant et à juste titre).
La première femme capacitaire, Capa n° 692, est Mathilde, Albertine, Françoise, Jeanne Tardieu, décembre 1920 pour la remise de la Capa et novembre 1919 pour les épreuves. Née à Marseille et venue de la Faculté d’Aix, elle y a passé la première partie des épreuves de la Capa avant de rejoindre Toulouse.
Relever que sur la fiche reproduite infra, il n’est indiqué que le genre masculin, « Né le » : cela correspond parfaitement à l’historique du diplôme, jamais encore ouvert aux femmes.
Noter également que la « Demeure des parents » est une mention alors essentielle pour une bonne partie des étudiants.
La majorité civile est à 21 ans, et de la sorte, nombre d’inscrits doivent absolument obtenir de leurs auteurs toutes autorisations, y compris pour les actes de la vie courante. De là le soin mis à connaître l’élection du domicile parental.
Une centaine de femmes en tout entre 1920 et 1953 sont lauréates, en proportion croissante avec le temps (à peine une douzaine entre 1920 et 1930, donc les ¾ dans les 23 années suivantes, et de la sorte environ 10 % des effectifs diplômés par la Capa entre 1930 et 1950). Ces femmes, Européennes par leur patronyme sont en particulier présentes dans les examens Capa de Rabat (Maroc), émancipation dans leur position (ce qui laisse entière la question du statut des autres femmes, non d’origine européenne, …) autant que nécessité d’obtenir un bagage juridique.
Les étudiants étrangers…
Certains sont installés en France, comme le Capa n° 748, 1925. D’autres, vivent sous les cieux d’Algérie, comme la n° Capa 515, Zaoui Nessin (Alger), ou ceux du Protectorat du Maroc, comme Omar Ben Brahim, Capa n° 1609, juin 1950, ou M’Hammed Ben Rakhal Ben Mati Rahhali, Capa n° 1610, même session.
Car la Faculté de Droit de Toulouse, avec ses consœurs d’Alger et de Bordeaux, a la main sur le Centre d’Études juridique de Rabat, matrice de la future Université Mohamed V. De là des sessions « Rabat », concernant autant des étrangers ou sujets marocains, que des Français établis dans ce territoire : ainsi Ida, Pauline Campos, épouse Ducatel, Capa n° 744, novembre 1924.
Pour le Centre d’Etudes de Rabat : voir ici.
Sessions de la Capa tenues à Rabat (les pages sont celles du registre Capa) : 1933, p. 44 ; 1934, p. 46 ; 1935, p. 49 ; 1936, p. 52 ; 1937, p. 54 ; 1938, p. 57 ; 1939, p. 59 ; 1940, p. 62 ; 1941, p. 64 ; nov. 1941 et juin 1942, pp.66-67 ; nov. 1942, p. 68. La Maroc est alors coupé de Vichy et de la Métropole, débarquement des Alliés oblige. Il faut attendre ensuite février 1946, p. 75 : Capa n° 1416, « contrôleur civil de Souk-el-Arba »>nécessité du diplôme pour ce fonctionnaire en poste dans le Nord du Maroc, à l’époque ville très proche du protectorat espagnol, …
Sessions spéciales…
Très nombreuses occurrences, dont nombre non identifiées spécifiquement, tant à Toulouse (janvier 45, …) qu’à Rabat (ex juin 46 ; oct. 1946 ; fév. 1947, …) sauf :
« Session Fonctionnaire colonial »
Session de février 1935 pour un seul candidat, Capa n° 917, Ludovic Eymond, commissaire de police à Tamatave (Madagascar)
« Session anticipée de mars 1940 »
Capa n°1170
En parlant de 1940, la Capa a assuré sans faiblir ni défaillir la session de juin 40, écrits le 8 juin ; oraux les 14 et 18 du même mois…
Mais Toulouse, croyait-on, était loin du front, comme lors de la précédente guerre. Or plus de 200 000 réfugiés passent par la gare Matabiau entre le 15 mai et le 10 juin, et des dizaines de milliers font halte, épuisés, dans la ville.
« Etudiants repliés » et prisonniers
Les registres Capa donnent des exemples de ces « étudiants repliés », repliés des universités des académies balayées par l’invasion de mai 1940 (Paris ; Lille ; Strasbourg, …), ainsi en juin 1941 n° Capa 1229 à 1233, qui ont pu compter sur la sollicitude des autorités académiques dans cette période de détresse nationale.
« Etudiants victimes de guerre », session spéciale de novembre 1945 (5 noms), p. 75, de février 46 (6 noms) et de juin 1946 (d’ailleurs uniquement des hommes), p. 77, n° Capa 1437-1444.
« Etudiants prisonniers de guerre », « examens passés en captivité et validés par la Commission spéciale prévue par l’article 3 du décret du 7 juin 1945 » », 1949, p. 84 du registre (5 étudiants, qui ne sont pas intégrés dans la numérotation continue habituelle).
Par contre, la session de juin 1944 a été « normale », avec 17 Capa, dont 4 femmes, pp. 70-71.
La Capa, instrument hier et aujourd’hui de promotion sociale et bel outil.
Oui.
Elle reste cela, instrument de promotion sociale.
Même si l’environnement s’est fortement modifié.
En Capa Formation continue 1er niveau, environ 70 inscrits en 2022-2023 ; en 2e année, 30 étudiantes et étudiants.
Étudiantes et étudiants continuent de porter le flambeau.