Entrer dans la lumière… Philippe Picot de Lapeyrouse à l’Académie des sciences par Corinne Labat

Corinne Labat – Chargée de projets
Service Commun d’Étude et de Conservation des Collections Patrimoniales de l’Université Paul Sabatier

Buste de Picot de Lapeyrouse par Bernard Griffoul-Dorval, 1812. Musée des Augustins.

Pour un savant du XVIIIe siècle, qui veut exister sur la scène européenne, un fauteuil à l’Académie des Sciences de Paris assoit une réputation. Mais l’accession est difficile. C’est une histoire de relations, de réseaux, d’opportunités, et en cette fin d’Ancien Régime avoir un ami introduit à la Cour facilite la procédure. Philippe Picot de Lapeyrouse, naturaliste toulousain, qui a obtenu un Brevet (ordre du roi) pour écrire l’Histoire Naturelle des Pyrénées, entame les démarches à partir 1777, et il a, justement, cet ami : il s’appelle Joseph-François Foulquier de Labastide.  Il est toulousain, a fait son droit, est issu de la petite noblesse locale, est fils de capitoul. Il s’intéresse aussi aux sciences : les points communs entre les deux hommes s’arrêtent là. Foulquier vit à Paris et a ses entrées à Versailles. Une partie de leur correspondance a été conservée, et « l’affaire » y est évoqué quelquefois. Il faut demander la permission de présenter deux mémoires lors d’une séance, et obtenir après examen par deux commissaires, le droit de publier sous le sceau de l’Académie. Ensuite, si tout se passe bien, on peut obtenir le premier sésame : devenir Correspondant.

Lapeyrouse a choisi d’écrire un mémoire sur un vautour des Pyrénées et un mémoire sur des coquilles que l’on n’appelle pas encore fossiles : orthocératites et ostracites. Son ami a prodigué quelques conseils : « J’ai trouvé tes mémoires un peu courts et arides. Il faut orner l’Histoire naturelle de quelques fleurs de poésie et rien n’en est plus susceptible ». Et puis la date est enfin fixée : « Je suis assigné à mercredi prochain pour aller moi-même porter à l’Académie des Sciences tes mémoires et les pièces probantes ». C’est donc l’ami qui fera la lecture et la présentation. Et le jour J, le 12 août 1778, dans une lettre écrite le soir même, Foulquier raconte la séance : « Ce grand jour étant venu, M de Cassini dîna chez-moi, et nous fûmes ensemble après cette cérémonie à l’Académie des Sciences. ». De l’importance des relations, toujours : dans la famille Cassini, on est membre de l’Académie depuis trois générations.

Enfin, c’est l’heure, et on franchit le seuil du cénacle. Premières impressions à chaud : « Je fus présenté et parfaitement bien accueilli au milieu de ce peuple de Doctes, il me serait bien difficile de te peindre l’aspect imposant et bien singulier de ce pays scientifique. Dans un carré long d’une très grande étendue dont la décoration annonce l’ancienneté et dans lequel sont répandus dans des éloignements symétriques les bustes de Winslow, de Descartes, de Newton, de Fontenelle, etc. etc. est une table immense. Sur les murs sont de très grandes ardoises couvertes de chiffres, de calculs d’algèbre ou de démonstrations de géométrie. Chaque heure est assignée à différents traités. Quand j’entrais, l’on disputait sur l’astronomie. Tous les érudits ou les curieux de cette espèce de science étaient dans un coin de la salle et s’en donnaient là à qui mieux mieux. L’heure sonna, ce fût le tour de la Chimie Physique, M. Lavoisier lut un mémoire sur les inflammables des marais. Comme la salle est immense le grand nombre d’auditeurs se rend ordinairement près du lecteur, on le critique à chaque instant et jamais objet n’a été rarement plus discuté que quand il a été soumis à cette épreuve ».

Et il faut prendre la parole : « Voici mon tour l’heure sonne. Et M. Le Roy me prie honnêtement de faire à l’Académie les demandes ou les propositions que j’ai à lui faire. Je prends le sire vautour et avec la majesté d’un premier fauconnier, je m’avance l’oiseau sur le poing au milieu de l’assemblée dont je fixe les yeux. Je m’énoncais avec assez de facilité malgré le silence effrayant que l’on m’accordait, je fis en très peu de mots l’histoire du vautour, et l’on nomma Messieurs Grisson et Daubenton pour rendre compte du mémoire qui lui est relatif. Après avoir parlé du vautour, je traitai des orthoceratites. Mais en voici bien d’un autre et s’élève un M. Desmarets qui réclame la priorité de découverte et qui somme l’Académie de déclarer s’il n’est vrai que lui, Desmarets, a déjà remis depuis deux ans des mémoires sur les orthoceratites trouvés en Bourgogne et le dit Sieur Desmarets me dégaine en même temps une suite de planches qu’il a faites graver représentant les différents états des dits orthoceratites. Je n’abandonnai pas ma thèse et me voilà disputant comme un diable et soutenant d’une voix de stentor que la découverte de M. Desmarets ne pouvait rien faire à un naturaliste observant dans les Pyrénées, que la découverte ne peut dater que du moment de la publicité. Enfin l’Académie nomma pour commissaires chargés de rendre compte de ton mémoire Mrs Guetard, Daubenton et Desmarets. C’est moi-même qui priais instamment que l’on nomma M. Desmarets lui-même. On me faisait beaucoup de compliment après cette petite scène mais je leur dis « Messieurs, je n’ai ici d’autre mérite (…) C’est mon ami monsieur le baron de Lapeirouse auteur des mémoires et digne de votre estime qui a seul le mérite et les connaissances dignes de vos éloges. »

 « Conclusion, tu seras très vraisemblablement nommé Correspondant de l’Académie mais cela ne peut pas être fait encore parce qu’il y a des règlements que l’on observe très fidèlement et qui renvoient ta nomination à la fin de l’année, parce qu’il est arrêté que l’on y nomme personne dans le cours de l’année. D’après cela que veux-tu que je fasse de ton ouvrage ? Donne-moi tes ordres dans les deux cas qu’il soit approuvé ou qu’il ne le soit pas. J’ai d’abord à t’observer qu’il sera très difficile de trouver un libraire qui imprime ton ouvrage s’il n’est approuvé par l’Académie. Les libraires de Paris impriment beaucoup de romans et peu d’ouvrages scientifiques ». Quelques semaines plus tard en attendant la délibération des commissaires, Foulquier est confiant d’autant que Daubenton qu’il a revu, a confié qu’il trouvait le mémoire « très bien fait ». Finalement la « Description de plusieurs nouvelles espèces d’orthocératites et d’ostracites» est publiée en 1781, avec l’aval de l’Académie inséré en préambule, signé de la main de Condorcet. Entre temps, Picot de Lapeyrouse est devenu Correspondant de Daubenton pour l’Académie des sciences le 23 août 1780.  Ce n’est qu’un début : à la fin de sa vie il est membre de l’Institut, et correspondant ou membre de plusieurs académies des sciences en France et en Europe, et de nombreuses sociétés savantes. A Toulouse il a été maire de 1800 à 1806, il occupe en 1809 la première chaire d’Histoire naturelle à la (re)création de la Faculté des sciences dont il est aussi le premier Doyen. Sa collection de minéralogie est la plus ancienne des collections naturalistes de l’Université Toulouse III-Paul Sabatier : l’acte de cession définitif est daté du 8 juillet 1823 !

Pyrite cuivreuse (coll.Lapeyrouse, UPS.MIN.PL.177,UT.III-PS).

Exposition

Sources 

Lettre de Foulquier du 12 août 1778 et 3 lettres non datées, Bibliothèque du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, MS 1991.

A. Lacroix, Notice sur les membres et correspondants de l’Académie des Sciences ayant travaillé dans les colonies françaises de Guyane et des Antilles de la fin du XVIIe siècle au début du XIXe, lue le 12 décembre 1932, Paris, Gauthier-Villars et Cie, 1932.

24 avril 2023.