Lapérouse confronté au « bon sauvage »

Escale à Maui (Hawai) de 1786 vu par Delcausse.

Escale à Maui (Hawai) de 1786 vu par Delcausse, musée Lapérouse, Albi.

Des débuts prometteurs

        Lorsqu’il arrive sur l’île de Pâques, le 10 avril 1786, Lapérouse a commencé son voyage depuis moins d’un an. Il a donc déjà rencontré des Indiens auparavant, ce qui lui donne un peu de recul. Ils arrivent nus et sans armes, aident les marins français à débarquer… Lapérouse remarque vite que leurs visages sont peints en rouge, signe culturel commun à l’ensemble des différentes tribus amérindiennes tout comme le langage, la physionomie, ou même l’artisanat.

      Il note qu’ils semblent curieux de tout et mesurent le bateau, examinent boussole et gouvernail, montrant que si, d’un point de vue européen, ils ignorent beaucoup de choses, ils n’en sont pas pour autant dénués de connaissances. La vision du « bon sauvage » des Lumières semble donc se confirmer avec cette confrontation d’hommes nus, curieux et altruistes. Leurs différences culturelles sont évidentes.

      Ils arrivent nus et sans armes, aident les marins français à débarquer… Lapérouse remarque vite que leurs visages sont peints en rouge, signe culturel commun à l’ensemble des différentes tribus amérindiennes tout comme le langage, la physionomie, ou même l’artisanat.

« Je fis divers présens à ces Indiens; ils préféraient des morceaux de toile peinte, d’une demi-aune, aux clous, aux couteaux et aux rassades; mais ils désiraient encore davantage les chapeaux : nous en avions une trop petite quantité pour en donner à plusieurs. A huit heures du soir, je pris congé de mes nouveaux hôtes, leur faisant entendre, par signes,qu’à la pointe du jour je descendrais à terre : ils s’embarquèrent dans le canot en dansant, et ils se jetèrent à la mer à deux portées de fusil du rivage, sur lequel la lame brisait avec force : ils avaient eu la précaution de faire de petits paquets de mes présens, et chacun avait posé le sien sur sa tête pour le garantir de l’eau. »

Lapérouse,Voyage autour du monde sur l’Astrolabe et la Boussole(1785-1788)

Premiers conflits

        Lorsque Lapérouse arrive à Lituya Bay (port des Français) en juillet 1786, il n’a, en revanche, plus aucune illusion ni aucun espoir sur les « sauvages ». Il les décrit comme des peuple grossiers et barbares, qui saccagent leur territoire, agressent la faune et méprisent la flore. Il juge leurs enfants colériques, prompts à se venger. Lapérouse contredit donc les philosophes, considérant qu’ils décrivent une situation qu’ils ne connaissent pas vraiment, assis chez au coin du feu, chez eux.

Les frégates l'Astrolabe et la Boussole au mouillage en juillet 1786 à Port-aux-Français en Amérique du nord (côte ouest).

Les frégates l’Astrolabe et la Boussole au mouillage en juillet 1786 à Port-aux-Français en Amérique du nord (côte ouest).

        Ainsi, sa vision héritée des Lumières et son optimisme ont disparu au fur et à mesure des escales, des tensions et des diverses escarmouches qui ont eut lieu durant le voyage. Les « sauvages » ne sont donc pas bons, mais hypocrites, violents avec leur femmes dont ils se servent pour distraire les soldats. Aux yeux de Lapérouse, les criminels européens sont même moins retors, jugement qui est en totale contradiction avec tout ce que les Lumières ont pu en dire.

        Ce jugement est d’autant plus rude que Lapérouse est confronté aux problèmes de plus en plus aigus de gestion de l’équipage, de moins en moins bienveillant face aux abus répétés d’hommes prétendument naïfs et inoffensifs.

Le bon sauvage, un homme comme un autre ?

         Le point culminant de ces tensions est le massacre d’une dizaine d’hommes dont De Langle, second de l’expédition, dans les îles Samoa en 1787. Durant toute cette escale Lapérouse sera réellement partagé entre ses idées philosophiques héritées des Lumières et sa consternation face au comportement des Indiens .

     Lapérouse restera cependant humain en toutes circonstances avec les autochtones, même après les vols et les meurtres, offrant des cadeaux diplomatiques à chaque arrivée et en contenant la colère de ses hommes.

       Après le meurtre de Langle, Lapérouse qui est alors entouré sur son navire par les pirogues des Indiens qui sont venus commercer songe à organiser une réponse violente a l’égard de ces marchands pour venger son ami. Finalement, il ne le fera pas par soucis de justice car il sait que les Indiens qui sont à sont bord sont innocents.

       Lapérouse est consterné par la bêtise et l’arrogance des Indiens qui parce qu’ils sont plus fort physiquement  pensent pouvoir gagner une escarmouche contre lui alors qu’il est certain de les dominer grâce a la puissance de ces armes .

       Encore une fois, on voit bien la dualité qui cohabite en Lapérouse, d’une part sa grandeur d’esprit car il veut être juste en toutes circonstances et ainsi être le plus intelligent, et ses sentiments plus humains, plus « sauvages » qui seraient une réponse à la violence par la violence.

        Malgré sa grandeur d’âme, Lapérouse reste conscient qu’avec l’évolution et la « civilisation » de leurs sociétés, les Indiens perdent leur état de « bon sauvage ». Lapérouse en conclut que plus l’homme se civilise, plus il devient mesquin et fourbe.

« Les philosophes se récrieraient en vain contre ce tableau.Ils font leurs livres au coin de leur feu, et je voyage depuis trente ans : je suis témoin des injustices et de la fourberie de ces peuples qu’on nous peint si bons, parce qu’ils sont très-près de la nature; mais cette nature n’est sublime que dans ces masses.; elle néglige tous les détails. Il est impossible de pénétrer dans les bois que la main des hommes civilisés n’a point élagués; de traverser les plaines remplies de pierres,de rochers, et inondées de marais impraticables; de faire société enfin avec l’homme de la nature , parce qu’il est barbare, méchant et fourbe. Confirmé dans cette opinion par ma triste expérience, je n’ai pas cru néanmoins devoir user des forces dont la direction m’était confiée , pour repousser l’injustice de ces sauvages, et pour leur apprendre qu’il est un droit des gens qu’on ne viole jamais impunément.Des Indiens, dans leurs pirogues, étaient sans cesse autour de nos frégates; ils y passaient trois ou quatre heures avant de commencer l’échange de quelques poissons ou de deux ou trois peaux de loutre ; ils saisissaient toutes les occasions de nous voler; ils arrachaient le fer qui était ficile à enlever,et ils examinaient, sur-tout, par quel moyen ils pourraient, pendant la nuit, tromper notre vigilance. Je faisais monter à bord de ma frégate les principaux personnages ;je les comblais de présens ; et ces mêmes hommes que je distinguais si particulièrement, ne dédaignaient jamais le vol d’un clou ou d’une vieille culotte. Lorsqu’ils prenaient un air riant et doux, j’étais assuré qu’ils avaient volé quelque chose, et très -souvent je faisais semblant de ne pas m’en apercevoir. »

Lapérouse,Voyage autour du monde sur l’Astrolabe et la Boussole(1785-1788)