Les britanniques et le Pacifique avant Cook

Au milieu du XVIIIème siècle, exceptés les océans Arctique et Antarctique, l’océan Pacifique est le dernier espace maritime inexploré. À la suite de la guerre de Sept Ans entre les puissances européennes, la France et l’Angleterre vont se lancer dans une rivalité pacifique pour la connaissance : l’exploration méthodique des Mers du Sud.

Les îles britanniques : la vocation d’une expansion

Le Premier Empire Britannique, de 1583 à 1783, est caractérisé par une véritable politique d’expansion maritime et coloniale. Les britanniques, excellents marins, vont progressivement faire de l’espace maritime un véritable empire, reflet de leurs ambitions politiques, commerciales et coloniales. S’opposant à la suprématie maritime ibérique et principalement à l’Espagne, les marins anglais vont démontrer leurs compétences navales et commerciales et entrer dans l’exploration et la conquête du globe.

Dans un premier temps, au cours des XVème et XVIème siècles, la découverte et l’exploration du nouveau monde est dominée par les puissances ibériques : l’Espagne et le Portugal. En 1494, le traité de Tordesillas organise un partage du monde entre ces deux puissances coloniales. À la fin du XVIème, avec le soutien officieux d’Élisabeth Ière, de nombreux corsaires britanniques participent à des campagnes de pillages de navires et possessions espagnols couplant ainsi exploration maritime, enrichissement personnel et rayonnement politique de l’Angleterre. Celle-ci illustre alors son ambition de maîtriser ces étendues maritimes, portes d’entrées des colonies et seuls territoires d’expansion envisageables pour les îles britanniques.

De 1577 à 1580, Francis Drake, corsaire expérimenté dans le pillage de colonies et bateaux espagnols, réalise pour le compte de la reine Élisabeth une expédition afin de mettre fin au monopole commercial hispanique dans les Mers du Sud. Il réalise à cette occasion la seconde circumnavigation de son temps, (il sera suivi par Thomas Cavendish entre 1586 à 1588, puis par Lancaster de 1590 à 1594) et contribue comme nombre de ses pairs à l’éclat naissant de la puissance maritime britannique.

L’ambition britannique est désormais d’explorer de nouvelles voies océaniques, sésame d’accès aux richesses coloniales, et ainsi rayonner tant par sa maîtrise de la navigation que par le commerce qu’elle peut en tirer.

Incincible Armada

Défaite de l’Invincible Armada Espagnole, par Jacques Philippe de Loutherbourg, 1796. Peinture sur toile, 214 x 278 cm, Londres, National Maritime Museum, (source : http://utpictura18.univ-tlse2.fr)

Deux moteurs : le commerce et la guerre

Possédant une partie des Indes, les britanniques se lancent à l’instar de Christophe Colomb, à la recherche d’une route maritime permettant d’atteindre la Chine et l’océan Pacifique par le Nord – Ouest de l’Amérique et ainsi les richesses qui s’y trouvent. En effet, conscients des possibilités d’expansion commerciale que représentent les colonies, leurs plantations et populations, les britanniques ont l’ambition d’étendre leur réseaux de production et d’échanges. Cette nouvelle voie maritime pouvait leur permettre de contourner les territoires sous contrôle espagnol et les taxes qui s’en suivent. La couronne, mais aussi des aristocrates et des compagnies commerciales financeront ce dessein dans lequel chacun trouvera un gain financier et politique. Les rivalités commerciales sont dès lors les moteurs de l’exploration maritime en générale et, bientôt, des Mers du Sud en particulier.

Au XVIIe siècle, différentes mesures politiques et économiques donnent une impulsion nouvelle au commerce et à la puissance navale de l’Angleterre. Le Navigation Act (1651) d’Olivier Cromwell, met en place une politique protectionniste. Cette loi pose les fondements de l’expansion du commerce maritime et de l’industrie britannique. Le Pacte colonial qui en découle protège l’économie de la métropole, en interdisant le développement dans les colonies de toute production que celle-ci pourrait lui fournir. D’autre part, en 1696, est créé l’équivalent d’un ministère du Commerce et des Colonies : le Board of Trade. Enfin le traité d’Utrecht de 1713, mettant fin à la guerre de succession d’Espagne, affaiblit politiquement cette dernière, et permet à l’Angleterre de parachever les bases de son Premier Empire Colonial.

Les îles britanniques constituent désormais le principal port d’entrée des marchandises coloniales en Europe, ce qui qui leur assure en plus de la suprématie maritime et politique, des ressources considérables et une source de financement durable des entreprises d’exploration maritime.

Pour défendre et accroitre son emprise sur les mers, la Grande-Bretagne n’hésitera pas à mener des guerres lointaines contre ses adversaires. La guerre de Sept ans, premier conflit d’envergure mondiale, oppose principalement l’Angleterre et la France lors de combats pouvant se dérouler en Europe, en Inde ou en Amérique. Ses enjeux sont d’ordre économique (droits de pêche au large de Terre-Neuve, commerce de peaux et de métaux précieux ), géostratégiques (possession de l’immense territoire de Louisiane et de l’Ohio ), politiques avec la crainte de l’influence catholique (le « Grand Dérangement » des Acadiens). C’est notamment au cours de ce conflit que James Cook put à la fois se perfectionner dans la maîtrise de la cartographie et de la navigation : en 1759, il cartographie le fleuve Saint-Laurent et permet aux anglais de prendre la ville de Québec. Cette guerre illustrant les différents enjeux de la conquête de nouveaux territoires se termine par le traité de Paris en 1763 qui conforte la Grande Bretagne dans sa position de maîtresse des mers. Le conflit a permis aux marins britanniques de parachever leur déjà solide expérience dans la maîtrise de tous les aspects de la vie maritime. La paix revenue, une certaine stabilité politique prévaut entre les différentes puissances européennes. La France et l’Angleterre vont alors se lancer dans une rivalité pacifique pour la connaissance et enverront respectivement les navigateurs Louis-Antoine de Bougainville en 1767 et James Cook en 1768 explorer les Mers du Sud.

Découvertes scientifiques et ambitions encyclopédiques

Suite aux ambitions avortées de relier la métropole aux Indes et à la Chine par un passage Nord-Ouest, les britanniques s’étaient reportés sur l’exploration méthodique des Mers du Sud. Dès le XVIIe siècle, des voyages dans le Grand Océan leur ont permis d’avoir une relative connaissance du Pacifique. Cet acquis se retrouve notamment dans les journaux de navigation mais aussi dans les relations de voyage et les cartographies laissés par les explorateurs. Parmi ceux-ci, William Dampier, qui, après avoir combattu les hollandais de 1672 à 1674, parcourut le Pacifique à plusieurs reprises entre 1683 et 1706. Il sera remarqué pour ses talents d’hydrographe et de géographe dont il fait part dans son récit «New Voyage around the World » et son traité sur les vents : « A Discours of the Winds ». Bien qu’elles répondent à des missions commerciales et hydrographiques, ces expéditions relèvent déjà d’ambitions philosophiques et anthropologiques, illustrées par les voyages de Samuel Wallis et Philip Carteret au siècle suivant. Les anglais ainsi parmi les premiers à répondre aux aspirations du Siècle des Lumières et à organiser des expéditions d’exploration hydrographique, alliées à la volonté d’établir des contacts avec les populations autochtones.

La seconde révolution anglaise ou « Révolution Glorieuse » de 1688, avait permis à l’Angleterre de rentrer dans Le Siècle des Lumières (1670 – 1820). De nouveaux enjeux d’ordre intellectuels et scientifiques sont progressivement apparus. Au siècle suivant, il ne s’agit plus seulement de rayonner par le commerce et l’empire colonial, mais de s’illustrer par les découvertes scientifiques : géographie, cartographie, botanique, civilisation… Ces ambitions s’articulent autour d’un nouvel état d’esprit entre les puissances européennes : la coopération entres les nations. Cette volonté commune constitue la « géographie des philosophes » et place les explorations scientifiques au coeur d’une volonté européenne partagée. D’autre part, de nombreux progrès scientifiques sont réalisés, notamment dans les instruments de navigation avec des sextants de plus en plus fiables mais aussi le chronomètre de John Harrison, en 1733, ou l’horloge marine du français Pierre Le Roy de Ferdiand, par exemple. Les nations acceptent ainsi de partager leur techniques et leur moyens et établissent la première coopération internationale. C’est dans ce contexte particulier et favorable qu’interviennent les voyages de Cook, dont le retentissement va être considérable aussi bien en Angleterre que dans le reste de l’Europe de son temps.

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Chronomètre de marine de Le Roy, 1766 (source : ac-noumea.nc)