Le commerce maritime tend à se diversifier mais reste fragile

Les échanges se font au sein de l’Europe

Le commerce européen au XVIIIe siècle est dominé par trois nations qui sont la France, l’Angleterre et les Provinces-Unies. Ces trois puissances maritimes ont chacune leur spécificité mais aussi leurs intérêts propres.

Le commerce maritime français prend une place importante au fil du XVIIIe siècle dans les océans Atlantique et Pacifique grâce aux échanges réalisés avec ses colonies. Cependant, son influence maritime s’est également accrue au sein même de l’Europe. En effet, la France est présente grâce à ses exportations de sel qu’elle exerce essentiellement vers le pays du bord de la mer baltique tels que la Prusse Orientale, la Russie ou encore la Norvège. Ses importations, bien que moins volumineuses, sont tout de même importantes et concernent principalement les matières premières venues des pays scandinaves (Norvège, Suède, Finlande). La France exporte les produits qu’elle possède en abondance et importe au contraire ce dont elle manque.

Dans le domaine maritime et commercial, l’Europe est dominée par la Grande-Bretagne qui a « principalement comme objectif la conquête des marchés et la liquidation des concurrents »[1]. Ainsi, elle est le principal acheteur de produits forestiers, de goudron et de chanvre en Europe. Comme la France, elle se tourne vers les pays Scandinaves pour ce genre d’achat. De plus, elle est le principal marché de la sidérurgie au cours du XVIIIe siècle. Son influence maritime et sa gestion des stocks lui donne un avantage considérable sur les Français. Au même titre que sa flotte militaire qui lui permet de contrôler les échanges entre les différentes nations européennes. La position de Londres en tant que première place commerciale mondiale met la Grande-Bretagne dans une situation de quasi-monopole en ce qui concerne les exportations dans certaines villes (les marchands britanniques représentent 60.4% des exportations de Saint-Pétersbourg entre 1768 et 1779). Lors de conflits, elle a la possibilité de bloquer les échanges maritimes entre certaines nations. Cela va obliger ces pays à sécuriser leurs flottes commerciales.

L’autre grand pays commerçant est les Provinces-Unies (les Pays-Bas et la Belgique actuels). La grande prospérité des Provinces-Unies au cours du XVIIIe siècle repose en grande partie sur le  moeder handel, c’est-à-dire l’exportation des produits de la Baltique, surtout les grains vers l’Europe occidentale. Les céréales sont un produit d’un grand intérêt pour les négociants hollandais. En effet, elles disposent d’un large marché en Europe occidentale et méridionale car ce sont des marchandises pondéreuses qui procurent une forte activité aux navires hollandais. Les Provinces-Unies deviennent la grande nation importatrice de céréales devant la France, ceci au détriment de sa flotte militaire qui s’effondre au XVIIIe siècle. Ce commerce de grain fait d’Amsterdam un entrepôt international, un port de stockage de marchandises destinées à une livraison ultérieure. Selon un document du début du XVIIIe siècle, 80% des entrepôts sont utilisés pour stocker le grain. En cas de pénurie, ce sont ses magasins qui approvisionnent les pays déficitaires d’Europe de l’ouest.

Une insécurité qui nécessite des alliances

Le XVIIIe siècle rime avec insécurité maritime. En effet, les mers et les océans ne sont pas sûrs pour les navires et notamment ceux de commerce. Les grandes puissances mondiales commerçantes sont confrontées aux menaces des pirates mais aussi des corsaires. Les premiers nommés sont la plupart du temps des anciens marins qui ont quitté leur poste au sein de l’armée[2]. Ils pillent généralement les bateaux de marchandise et agissent pour leur propre compte. Leur importance diminuera au fil des années en raison de leur élimination progressive par les flottes étrangères. Les corsaires représentent de loin la menace la plus considérable. Ces derniers, à la solde d’une souveraineté, sont chargés de perturber le trafic marchand des pays rivaux, laissant les objectifs militaires à la flotte de guerre. Ils reçoivent une lettre de marque de leur souverain qui leur permet d’attaquer un bateau ennemi. A la différence des pirates, ce sont des soldats et non des hors-la-loi. Pirates et corsaires représentent donc un entravement au transport de marchandises puisqu’ils détruisent ou s’emparent des marchandises ainsi que des bateaux.

Ne pouvant pas escorter tous leurs convois de marchandises par une flotte militaire en raison du trop grand nombre de navires de commerce et du coût que cela représente, les nations sont dans l’obligation de s’associer entre elle afin de préserver leurs intérêts propres. Cela se traduit par une multitude d’alliance entre les puissances afin d’éviter toutes attaques de leur flotte marchande mais aussi dans le but de nuire à d’autres monarchies rivales. En témoigne l’alliance entre la France et la Hollande au début du XVIIIe siècle qui prévoit une aide mutuelle et immédiate en cas d’agression contre l’un des deux membres. L’Angleterre est la principale raison de cette entente car elle connait des litiges commerciaux avec la Hollande aux Indes et en Afrique. De plus, elle s’oppose régulièrement à la France, s’inquiétant notamment de son influence grandissante au sein du commerce maritime.

Bataille du cap Lizard (1707), Théodore Gudin, XIX e siècle, huile sur toile

Bataille du cap Lizard (1707), Théodore Gudin, XIX e siècle, huile sur toile

L’insécurité des mers oblige des nations qui occupent une place importante dans le commerce maritime à militariser leur flotte. Cela ne suffit pas et ces Etats décident donc de s’allier à d’autres nations afin de protéger leur intérêt commun. L’alliance entre la France et la Hollande qui sont deux puissances rivales sur le marché maritime en est la preuve.

Un besoin de navigateurs expérimentés

Au XVIIIe siècle, les navigateurs endossent davantage un rôle d’explorateur afin de répondre aux ambitions politico-économiques. Ce sont des hommes d’expérience qui ont suivi une carrière spécifique et qui sont les yeux et les oreilles du roi durant leurs voyages.

Ce sont des soldats avant tout et ils accomplissent donc une formation militaire. Sous l’Ancien Régime, la noblesse d’épée a pour devoir de protéger le royaume et d’endosser un rôle militaire. Jean François de Lapérouse, pour sa part, est issu de cette noblesse et entre en 1756 dans l’académie de marine de Brest[3].  Il faut savoir que la mise en place de l’académie de Brest est tardive puisqu’elle est fondée en 1752.

Ces hommes gagnent leur expérience sur le terrain c’est-à-dire au cours de conflits entre nations, comme par exemple, la guerre de sept ans (1756-1763) qui opposa Français et Anglais. Les futurs explorateurs développent ainsi leurs aptitudes au niveau militaire et stratégique mais surtout ils accroissent leurs connaissances des mers et des océans. C’est ce point là qui poussera les grands souverains à faire appel à eux pour remplir des missions d’intérêt économique ou pour l’exploration. En effet, Cette connaissance du domaine maritime est primordiale puisqu’ils connaissent les lieux clés des océans, ils savent s’orienter et gérer les vivres lors d’une expédition mais aussi utiliser au mieux les compétences des hommes sous son commandement[4].

La rigueur de la guerre occasionne à ces hommes une solide renommée qui leur permet de se voir confier des missions et des projets qui les propulsent sur le devant de la scène des enjeux économiques maritimes. Ils sont donc utilisés comme des éclaireurs par les rois pour explorer de nouveaux horizons  afin de découvrir de nouvelles terres riches en or et en matières premières, par exemple, ou encore pour établir de nouvelle route commerciales. Tout ceci dans le but d’affirmer encore un peu plus la suprématie commerciale des puissances maritimes.

L’enjeu est si grand et passionnant que les rois, eux-mêmes, en plus d’organiser l’expédition, donnent les directives. Le roi Louis XVI, la veille de son exécution aurait même été jusqu’à demander « A-t-on des nouvelles de monsieur de Lapérouse ? »[5]. Le tableau de Nicolas Monsiaux illustre parfaitement la relation entre le souverain et le navigateur. Ici, le roi donne lui même les directives pour la mise en place de l’exploration qui le passionne.

Louis XVI donnant ses instructions au capitaine de vaisseau Jean-François de Lapérouse pour son voyage d'exploration autour du monde, le 29 juin 1785, peinture Nicolas-André Monsiaux 1817; Paris, musée de Versailles, 172 x 227 cm.

Louis XVI donnant ses instructions au capitaine de vaisseau Jean-François de Lapérouse pour son voyage d’exploration autour du monde, le 29 juin 1785, peinture Nicolas-André Monsiaux 1817; Paris, musée de Versailles, 172 x 227 cm.

Quelque soit le pays, les navigateurs deviennent indispensables au développement économique maritime. On peut citer d’autres grands navigateurs tels que l’anglais James Cook (1728-1779) qui est célèbre pour avoir exploré l’Australie et la Nouvelle-Zélande lors de son tour du monde de 1768 à 1771, ou encore Louis Antoine de Bougainville (1729-1811) qui est le quatorzième navigateur à avoir fait le tour du monde.

 


[1] Wallerstein.I, op. cit, p353.

[2] LAPOUGE Gilles, Les pirates : forbans, flibustiers, boucaniers et autres gueux de mer, Phébus libretto, 1987, p204

[3] J-F Lapérouse, voyage autour du monde  sur l’Astrolabe et la Boussole, éd. La Découverte, 2005.

[4]  A. Conchon, Le XVIII e siècle, ed Hachette, 2007, chap Les rivalités coloniales.

[5] J-F Lapérouse, voyage autour du monde  sur l’Astrolabe et la Boussole, éd. La Découverte, 2005.