Une muse apaisée

Le XIXe siècle, avec la naissance du Romantisme, est un nouveau tournant concernant les représentations de la mer. Pour les artistes, cela devient un lieu de théâtre où se lient les tragédies et les légendes.

Au début du XIXe siècle, les Romantiques comme Charles Baudelaire1 associent la mer à la femme car elle est mystérieuse et fascinante, mais aussi et surtout, parce qu’elle peut rendre l’homme fou. Comme les tempêtes et les naufrages, elle est dangereuse.

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

Charles Baudelaire, extrait du recueil Les Fleurs du Mal, « L’homme et la mer » (1857), p44, Petits classiques Larousse

Dans le poème, « L’homme et la mer »2 de Charles Baudelaire, le poète fait une personnification de la mer en une femme. Il compare, également, la mer à l’homme, en montrant que tout deux mènent un combat sanglant depuis des siècles. Dans son poème, il utilise la mer pour montrer l’autodestruction de l’Homme. La mer est un thème récurrent au XIXe siècle, car elle inquiète, fascine et nourrit l’imagination des Romantiques. C’est donc l’élément important des Romantiques pour exprimer différents sentiments : l’amour, le désespoir, le désir de liberté et le chagrin d’amour. Comme l’Homme, la mer est inconstante et changeante.

Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?

Mouette à l’essor mélancolique,
Elle suit la vague, ma pensée,
À tous les vents du ciel balancée,
Et biaisant quand la marée oblique,
Mouette à l’essor mélancolique.

Ivre de soleil
Et de liberté,
Un instinct la guide à travers cette immensité.
La brise d’été
Sur le flot vermeil
Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.

Parfois si tristement elle crie
Qu’elle alarme au loin le pilote,
Puis au gré du vent se livre et flotte
Et plonge, et l’aile toute meurtrie
Revole, et puis si tristement crie !

Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?

Paul Verlaine, Sagesse, « Je ne sais pourquoi » (1881)

De nombreux peintres vont principalement se centrer sur les mouvements et colères des flots, ainsi que sur les paysages qui composent la mer.

Quand Don Juan descendit vers l’onde souterraine
Et lorsqu’il eut donné son obole à Charon,
Un sombre mendiant, l’oeil fier comme Antisthène,
D’un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.

Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,
Derrière lui traînaient un long mugissement.

Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,
Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant
Montrait à tous les morts errant sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.

Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,
Près de l’époux perfide et qui fut son amant,
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.

Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre
Se tenait à la barre et coupait le flot noir,
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.

Charles Baudelaire, issu du recueil Les Fleurs du Mal, « Don Juan aux Enfers » (1861), p45, Petits classiques Larousse

Ce tableau s’intitulant « Le Naufrage de Don Juan » d’Eugène Delacroix1, fait partie du courant des Romantiques. Cette représentation a été inspiré de « Don Juan »2 de Lord Byron3, qui est un long poème de 17 chants inachevés (1819-1824). A travers, cette œuvre, le poète montre un homme commandé (manipulé) par les femmes, ce qui fait référence à la manipulation de la mer envers l’être humain. « Le Naufrage de Don Juan », est également en lien avec le poème « Don Juan aux Enfers »4 issu du recueil Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire. Dans ce poème, avec l’adjectif « mugissement », Baudelaire montre des femmes animales comme peut l’être la mer dans ses mouvements (féroce, sauvage, ..). C’est un élément qui s’impose à l’homme comme peut le faire les femmes.

Le tableau d’Eugène Delacroix représente la scène du naufrage (Chant II)1. Rien qu’en lisant le titre du tableau, nous pouvons voir une scène d’horreur. Le mot « naufrage » fait référence à la mort. La mer est un lieu de souffrance où l’être humain peut périr. En ce qui concerne, la représentation de la barque perdue au milieu des flots cela montre bien que la mer est un lieu dépourvu de toute présence humaine. C’est un endroit qui donne une impression d’infinité absolue. Cette confrontation entre l’homme et l’horizon provoque des questionnement chez l’être humain sur la distance entre l’infini et la mort. A partir de là, une certaine angoisse peut donc se faire ressentir chez les acteurs du naufrage. Cependant, dû fait qu’elle soit calme, la mer paraît plus humaine. Certains naufragés ont réussi à échappé à la mort. Quant à la couleur de l’eau, elle est atypique. En peignant une mer sombre, avec des teintes de marron, noir ou gris, Delacroix nous révèle l’interprétation que s’en faisait la société du XIXe siècle. Cette toile, nous  montre qu’à cette époque cette représentation n’était pas idyllique. La mer n’était pas vue comme un endroit de paradis, comme nous pouvons nous la représenter à notre époque.

De nombreux autres artistes, se sont lancés dans ce courant romantique. Joseph Mallord William Turner2 peut par exemple être cité, avec son célèbre tableau « The Shipwreck »3 (« Le naufrage » en français). Dans ce tableau, il exprime le dramatique de l’océan, la libération d’énergie que ce dernier produit. Il montre l’infériorité de l’homme face à la colère de la mer.

Sur ce tableau, Auguste Renoir1, situé sur la plage, a représenté la Manche dans un état plutôt calme. Nous pouvons remarquer que les couleurs utilisées par l’artiste sont différentes de ses prédécesseurs et même contemporains. Malgré les quelques accentuations d’écumes, ce tableau provoque chez les spectateurs une sensation de sécurité, d’un lieu fréquentable. De plus, l’utilisation du bleu donne un effet d’atténuation des remous. L’absence de présence humaine apaise le spectateur, et toutes traces de frayeur a disparu. A travers cette composition, le peintre a montré son point de vue sur la mer. Cette œuvre procure une impression d’infini et être du côté de la plage, met le promeneur en sûreté.

Au XVIIIe et XIXe siècle, deux regards s’opposent sur la mer. Celui des artistes et des scientifiques (médecins, explorateurs), leurs regards influencent la vision qu’à la population sur la mer. N’ayant jamais pour la plupart voyagé ils s’appuient sur ce qu’ils entendent ou voient. Les artistes (poètes, peintres) apportent un regard fantasmé sur la mer : « Le rêve de l’homme est semblable aux illusions de la Mer »2. Pour les artistes, la mer est humaine. Pour finir, on peut dire que les Romantiques du XIXe siècle s’opposent au rationalisme des Lumières.

En savoir plus…

1(1841-1919), peintre français dont le mouvement artistique est l’impressionnisme

2Toulet J-P. Citation extraite de Les Contrerimes.

1Byron L. Don Juan, Paris, Éditions Gallimard, 2006, 836 p.

2(1775-1851), peintre britannique dont le courant principal est le Romantisme, mais également vu comme le précurseur de l’impressionnisme

3 « The Shipwreck », Joseph Mallord William Turner, 1805, United Kingdom, Londres.

(170.5 cm x 241.5 cm, http://www.artble.com/artists/)

1(1798-1863), peintre français dont le mouvement artistique est le Romantisme

2Byron L. Don Juan, Paris, Éditions Gallimard, 2006, 836 p.

3(1788-1824), poète britannique dont le mouvement est le Romantisme

4Charles Baudelaire, issu du recueil Les Fleurs du Mal, « Don Juan aux Enfers » (1861)

1(1821-1867), poète français dont l’un de ses mouvements est le Romantisme

2Baudelaire C. Recueil Les fleurs du mal, Paris, PUF, 1984, 287 p.