Quelques étapes exceptionnelles

Pour ne pas détailler l’intégralité du voyage de Lapérouse, nous avons sélectionné trois étapes qui nous semblent primordiales : l’île de Pâques, Lituya Bay et Tutuila Bay. Durant ces arrêts, Lapérouse et son équipage vont être en contact avec les indigènes et connaîtront des difficultés allant du pillage à la perte humaine.

Une journée sur l’île de Pâques

Mensurations des statues sur l’île de Pâques
Gravure de 1820 d’après un dessin de Duché de Vaney lors du voyage de Lapérouse de 1785 à 1786.
Bibliothèque des arts décoratifs, Paris.

Le séjour sur l’île de Pâques fut pour tout l’équipage l’occasion de mettre en œuvre les consignes du Roi et d’insister sur l’aspect civilisateur de l’expédition. « Nous avons laissé dans leurs champs toutes sortes de graines utiles, laissé dans leurs habitations des cochons, des chèvres et des brebis qui y multiplieront vraisemblablement ». Le résultat est double, d’un côté les autochtones reçoivent des apports alimentaires plus diversifiés et d’un autre côté, cela permet aux marins d’en apprendre d’avantage sur ce peuple. Il faut savoir que la présence française n’a pas été rejeté, les Pascuans avaient déjà rencontré des européens lors d’une escale de James Cook et de son équipage au mois de mars 1774. L’île de Pâques est pour le botaniste Colignon un territoire nouveau à explorer. Il sillonne l’île à la recherche de terres fertiles et par là admire les fameux Moais et Ahus qui impressionnent tant l’équipage par la suite. Cette escale fut une des plus réussie, aucune perte humaine.

Tout de même, Lapérouse garde une certaine amertume concernant cette escale, il dit : « nous avons abordé dans l’île que pour leur bien, nous les avons comblé de présents, fait des caresses à tous les êtres faibles, particulièrement aux enfants à la mamelle. Nous ne leur avons rien demandé en échange et ils nous ont jeté des pierres et volé tout ce qu’il leur était possible d’enlever ». Malgré ceci, l’équipage ne répond pas et préfère ne pas utiliser la force qui pourrait engendrer une révolte des indigènes. Le mythe du « bon sauvage » est en quelque sorte remis en question. Les premières questions se posent à l’équipage concernant la bonté absolu de ces civilisations. Lapérouse a tout de même respecté les prérogatives du Roi : l’étape est un succès pour la France.

Lituya Bay, à la rencontre des fonds marins

« C’est avec la plus vive douleur que je vais tracer l’histoire d’un désastre mille fois plus cruel que les maladies et tous les autres événements des plus longues navigations » écrivit Lapérouse visiblement très touché par l’événement dramatique dont ses hommes furent victimes.

Lors de son arrivée à Port des Français le 13 juillet 1786, Lapérouse envoie deux biscaïennes et un petit canot pour sonder la passe. Il confit les deux embarcations à deux officiers de la marine expérimentés, M. d’Escures et M. de Marchainville, en leur donnant des consignes de sécurité avant leur départ. Quelques heures plus tard, Lapérouse est surpris de voir M. Boutin déjà de retour sur son petit canot. Il leur raconte alors « le plus grand des malheurs, celui qu’il était le plus impossible de prévoir, nous attendais à ce terme ». En effet, M. d’Escures avait approché de trop près la passe. Entraînée par le courant la biscaïenne fut engloutie. M. de Marchainville se précipita au secours de son ami, mais malheureusement son aide ne fut d’aucune utilité. L’équipage perd vingt-et-un de ses hommes. M. de Langle fit mouiller des canots. Il partit à la recherche d’éventuels rescapés. Après les fouilles plus aucun doute n’était possible : ils avaient péri. En effet, les sauvages de l’île et des marins sillonnaient la baie jour et nuit à la recherche de corps. Le 22 juillet, après plusieurs jours de recherche, des débris d’embarcation sont retrouvés mais pas la moindre trace des membres de l’équipage disparu. En partageant la vie des autochtones, Lapérouse apprit diverses coutumes comme par exemple lors de funérailles où le corps du défunt est brûlé et la tête conservée. Lapérouse obtint de la fourrure des indiens, qui lui servira pour faire du troc. A la fin de cette étape, il qualifia les habitants de « grossiers et barbares » et leurs femmes d’ « être les plus dégoûtants de l’univers », laides aux yeux de l’équipage. Le 30 juillet, malgré le chagrin immense, l’expédition reprit l’océan.

Tutuila Bay, la baie du massacre

Tutuila Bay se situe dans les actuelles îles Samoa, dans le sud de l’océan Pacifique. Lapérouse y fait escale le 9 décembre 1787. Quand ils y accostent, cela fait déjà plus de deux ans que l’expédition est partie de Brest. Cette étape reste l’une des plus connue car c’est la première et unique fois que l’équipage se fait attaquer par les indigènes. Le massacre a lieu le 11 décembre. Deux frégates remplies d’une soixantaine d’hommes armés descendent des navires pour rejoindre la terre, Lapérouse désobéit aux ordres du Roi en demandant aux hommes d’être armés car il savait que les relations avait été conflictuelles avec les Maounas. A l’approche de la terre, les deux chaloupes sont prises d’assaut par les insulaires. Cette attaque ne laisse que peu de chance aux marins, puisqu’ils ne connaissent pas l’île, ils se retrouvent bloqués dans les coraux. Les indigènes eux connaissent bien les lieux.

La première personne touchée est de Langle, ce qui provoque la panique sur les chaloupes. Les indigènes s’en rendent maître en quelques minutes, une grande partie des marins s’échappe mais douze d’entre eux y perdent la vie. « Mais ce brave officier, plus exposé que les autres, fut la première proie des bêtes féroces qui nous assaillirent », nous explique Lapérouse encore choqué de la disparition du capitaine de l’Astrolabe.

Cette étape marque un véritablement tournant dans l’expédition, l’équipage est à la fois en deuil, de plus, il perd confiance en les indigènes : pour les hommes de Lapérouse, le mythe du « bon sauvage » s’effondre.