L’Océan Indien, une région d’enjeux économiques à la fin du XVIIIe siècle.
A la fin du XVIIIe siècle, l’Océan Indien synthétise le jeu que se livrent entre elles les puissances maritimes occidentales. On observe toutefois l’amorce d’un recul des portugais, espagnols et hollandais devant la guerre ouverte ou indirecte que se livrent Anglais et Français pour la prépondérance des monopoles économiques dans l’Océan Indien.
En fait, il faut d’abord analyser la situation d’un point de vue mondial car cet affrontement se déroule sur toutes les mers du globe et voit l’Angleterre en cette fin de siècle prendre l’ascendant économique sur la plupart de ses rivales européennes. La concurrence franco-anglaise ne se limite pas à la mer, elle touche aussi les possessions terrestres des deux puissances dans la zone de l’Océan Indien. Celles-ci cherchent à disposer des meilleurs emplacements stratégiques en vue de sécuriser leurs approvisionnements et leurs intérêts commerciaux. Les produits qui transitent par l’Océan Indien sont pour l’essentiel le thé, la soie, des épices, de la porcelaine et des transferts de populations esclaves noir.
La présence française dans l’Océan Indien.
La vision des enjeux économiques en Océan Indien à la fin du XVIIIe siècle nous amène à étudier la présence française dans cette région et les aspects sous lesquels cette présence se manifeste. La volonté d’instaurer une présence française durable dans l’Océan Indien date du milieu du XVIIe siècle, avec l’établissement de points de relâche pour les navires, voire de comptoirs. Cette volonté d’instaurer des appuis pour commercer ou se ravitailler vise à sécuriser la ligne commerciale que l’on pourrait matérialiser par un axe Lorient-Indes-Chine. En effet, depuis 1664 et la création par Colbert de la Compagnie des Indes Orientales avec comme port d’attache Lorient en France, les Français s’emploient à développer leurs échanges commerciaux dans l’Océan Indien. Une compagnie de commerce est une société commerciale qui regroupe des particuliers titulaires de privilèges et possédant des navires pour commercer sur une zone définie. Ainsi la Compagnie des Indes Orientales, comme son nom l’indique, est une société commerciale qui opère dans la zone de l’actuelle Inde. Dans l’Océan Indien, les Français sont implantés à Madagascar avec Fort Dauphin fondé en 1643 et à l’île Bourbon (actuellement l’île de la Réunion) depuis 1654. Cette présence est antérieure à la création de la compagnie des Indes Orientales. Les fondations qui font suite à la création de la compagnie sont les suivantes : L’île de France (actuellement l’île Maurice) où les Français s’implantent après que les hollandais aient abandonné l’île en 1715. Les Français dominent ces deux îles où ils font venir des colons pour faire fonctionner l’administration et des esclaves car l’économie de ces îles dépend essentiellement des exportations des plantations. Si l’on s’intéresse maintenant à la présence française en Inde, elle se manifeste sous la forme de comptoirs ou de concessions territoriales et économiques. Les Français, via la compagnie, sont établis sur la côté Ouest de l’Inde, à Mahé. Sur la côte Est, ces derniers disposent des établissements de Karikal, Pondichéry, Nizampatam, Yanaon et Chandernagor. La taille de ces établissements varient du simple point de relâche avec un fort, quelques bâtisses et entrepôts sommaires comme à Mahé, à une présence importante comme à Pondichéry.
La compagnie des Indes faisant face à de grave problèmes d’ordre financier et de gestion de ses établissements fut reprise sous l’autorité du Roi Louis XV en 1769 impliquant plus directement le pouvoir royal. Les navires de la Marine royale ayant pour missions de protéger les navires de la compagnie et de porter assistance aux différents établissements français de l’Océan Indien. C’est cette imbrication entre le domaine commercial et politique qui caractérise le rôle de la Marine royale dans l’Océan indien à la veille de la venue de Lapérouse en 1772.
Premières campagnes de Lapérouse dans l’Océan Indien
L’enseigne de vaisseau Lapérouse, par son départ de Lorient en 1772 à bord de La frégate Belle Poule, évolue dans cet univers stratégique important pour l’économie du royaume, mais qui paraît pâtir d’un manque d’intérêt croissant en métropole et de menaces latentes et vives des Anglais. Pour Lapérouse, la perspective de cette mission en Océan Indien est excitante car il se dirige en tant que navigateur vers un océan encore méconnu et où, en tant que soldat, il peut espérer participer à quelques combats.
La traversée dura 145 jours, soit de janvier à août 1772 en comptant des escales à Cadix, au Sénégal et au Cap. Lapérouse arrive donc à l’île de France, à Port Louis et il découvre l’aspect fragile de cet établissement français peu défendu et constate les dégâts des ouragans dont témoignent les nombreuses épaves coulées dans la rade. Après l’évocation de sa participation au projet avorté d’une expédition vers les îles Kerguelen tout juste découvertes, Lapérouse effectue quelques missions le long de la côte Est de Madagascar.
En mai 1773, le gouverneur de l’île de France De Ternay donne à Lapérouse le commandement de la flûte La Seine en vue de missions en Inde. La traversée se fit par l’île Bourbon avant de longer les Seychelles et de faire une escale à Mahé sur la côte Ouest de l’Inde. Puis, Lapérouse attendra Pondichéry en passant non loin des Maldives et de l’île de Ceylan (actuel Sri Lanka) où il fera une escale d’un mois. En effet la période des moussons touchait en cette saison l’actuel Bengale, empêchant La Seine de faire route en sécurité vers Chandernagor. Arrivé à son dernier comptoir, Lapérouse effectue des missions de reconnaissance et d’observation notamment de la ville de Calcutta où les Britanniques sont alors implantés. Puis il charge son navire de denrées commerciales à destination de Pondichéry. Ce cas où l’on voit un bâtiment de guerre chargé des produit commerciaux montre bien l’imbrication qui existe entre le politique et le militaire bien qu’ici, c’est la nécessité et le manque de moyens qui obligent à ce mode de transport. Une fois les marchandises déchargées à Pondichéry, Lapérouse repart à bord de La Seine pour l’île de France qu’il atteint le 24 mars 1774.
Ces premières missions mettent Lapérouse en contact avec le monde de l’Océan Indien, sa navigation différente de celle de l’Océan Atlantique et ses populations et enjeux divers. Lapérouse une fois à l’île de France profita de quelques mois de répit avant de repartir pour une deuxième campagne en Inde qui s’avère plus décisive pour l’enseigne de vaisseau. (Visuel des missions de Lapérouse en Océan Indien.)
[Mahé ou la mise de l’épreuve de Lapérouse (1774-1777)]