La culture maritime

Croyances et superstitions à bord

Du fait que les officiers et les matelots évoluent dans un milieu à risques, ils sont sujets à de nombreuses croyances et superstitions1 qui sont toutefois difficiles à dater du fait de l’absence de sources écrites. Les superstitions peuvent être négatives ou positives. En effet, les rongeurs, les femmes, le mot « corde »… portent malheur tandis que les chats, les algues, l’ail et le vin lors du départ portent bonheur. En plus des superstitions, les marins, comme l’ensemble de la population du XVIIIe, sont de fervents croyants. L’attitude spirituelle des gens de la mer est d’autant plus forte qu’elle est provoquée par le grand danger que représente l’océan. Cependant, les officiers et les matelots ne se mélangent pas et n’expriment pas leur croyance de la même façon. En effet, les matelots pratiquent une religion collective tandis que les officiers l’exercent de manière plus intimiste. La messe permet de ressouder la communauté des marins. Elle n’est pas donnée à date régulière du fait des aléas de la navigation. La vie religieuse peut aussi varier d’intensité en fonction de différents facteurs (conditions météorologiques…). C’est à cause de l’insécurité engendrée par ces facteurs que les marins faisaient appel à des protecteurs. Parmi eux la Vierge Marie a une importance prépondérante. Étant femme et mère, son image est valorisée dans ce milieu exclusivement masculin. Les oraisons destinées aux saints s’accompagnaient parfois de promesses d’offrandes et de célébrations de messes au retour à terre.

Objets de culte ayant appartenu vraisemblablement à l’abbé Mongez, aumônier, naturaliste sur la Boussole.
(Objets conservés au Musée d’histoire maritime de Nouvelle-Calédonie
Source : ASSOCIATION SALOMON, Le mystère Lapérouse ou le rêve inachevé d’un roi, Paris, édition de Conti, 2008, , p. 330)

La vie sur le navire était également rythmée par des cérémonies religieuses particulières, qui respectent le plus fidèlement possible le calendrier liturgique terrien. Il pouvait arriver, toutefois, que certaines fêtes religieuses soient célébrées lors des escales seulement. A l’issue de celles-ci, on tirait une canonnade à laquelle tout l’équipage se devait d’assister. De plus, il est d’usage de remercier Dieu après un passage à risque, par exemple. De manière générale, ces célébrations, comme l’ensemble des exercices de dévotion, sont suivies par tous. Lapérouse se révèle extrêmement vigilant à ce que les marins respectent la religion car il comprend très bien l’importance des exercices religieux qui permettent aux marins de partager un moment de communion.

La vie religieuse sur le navire gagne en intensité lors d’événements dramatiques et notamment lors des décès. On observe alors des disparités liées aux grades lors des funérailles mais un cérémonial similaire à celui fait sur terre est rendu possible par la présence d’un aumônier. Les honneurs rendus sont à la hauteur du statut social du défunt.

La sociabilité à bord

Du fait de l’espace réduit et de la hiérarchie, une atmosphère pesante peut s’installer très rapidement au sein des navires. De plus, les matelots ne sont pas habitués aux longues expéditions. Ils découvrent donc sur le tas les problèmes de cohabitation qu’elles engendrent. Malgré tout, Lapérouse veille à ce qu’il n’y ait pas de débordement d’autorité de la part des officiers (abus de punitions…). En effet, les conditions sociales et techniques à bord, qui s’ajoutent à la pression hiérarchique et à l’usage fréquent de l’alcool, principalement de la part des matelots, engendrent des dérapages verbaux permanents. Dans ces cas-là, la punition est non seulement un moyen d’inspirer le respect mais c’est aussi la réponse à ces diverses provocations. Un matelot subira alors des châtiments corporels directement sur le navire tandis que l’officier n’en subira pas et ne sera jugé qu’au retour à terre.

Il existe toutefois des vecteurs de sociabilité entre les marins et cela passe, notamment par les chants de travail. Leur fonction première est de se synchroniser mais aussi de se donner du courage. Certains chants n’ont pas étés conservés car ils sont improvisés sur le moment. C’est le cas des chants à « déhaler ». D’autres n’ont pas étés conservés du fait de leurs paroles un peu « crues ». Les refrains sont courts et vifs pour accompagner les matelots dans les mouvements secs. De manière générale, l’intervention est courte et donc la chanson n’est pas chantée dans sa totalité. C’est celui qui a la voix la plus forte qui mène la chanson. Cependant, tous ces chants ne sont entonnés que par des matelots. Les officiers, quant à eux, ne chantent pas, car ils ne participent pas directement aux opérations. 

Le jeu est également un vecteur de sociabilité. Pour éviter les tensions, les marins jouent, mais de façon différente suivant le grade. Les officiers vont préférer des jeux de suspens tandis que les matelots s’adonnent davantage à des jeux manuels.

Ainsi, les officiers et les matelots cohabitent mais ne partagent aucun véritable moment de la vie quotidienne, que ce soit de jour ou de nuit. En effet, même la prise du repas n’est pas partagée : les officiers mangent dans la grande chambre où les aspirants dorment tandis que les matelots prennent leurs repas dans l’entrepont. Cette différenciation est caractéristique de la société du XVIIIe.

Les valeurs maritimes

Les voyages au long cours entraînent une longue rupture avec la communauté et le lieu de vie d’origine. Il faut noter que les marins vivaient dans un environnement naturel et humain particulier. Ils évoluent en effet dans un espace infini et redoutable où le danger est permanent. Et du fait de leur métier à risque, un culte de la force et de la virilité s’observe chez les marins. Cependant, ce culte se développe surtout chez les matelots, et notamment chez les gabiers qui risquent quotidiennement leur vie en exerçant leur métier. Les officiers, même si eux aussi risquent leur vie, développent plutôt un sentiment de supériorité, caractéristique de la société nobiliaire. Ce caractère est présent sur terre mais il est exacerbé sur la mer car leurs décisions ont un impact immédiat.

De plus, lorsque les marins survivent à une violente tempête, qu’ils ont rempli un de leurs objectifs ou bien qu’ils ont triomphé à une attaque, ils développent par la suite un culte de la victoire et du triomphe vis à vis de l’adversité. Ce sentiment provoque un engouement collectif. En effet, ce sont dans ces moments-là que les marins sont le plus unis, qu’ils partagent les mêmes sentiments. Dans la société d’Ancien régime, c’est l’honneur et la bravoure qui importent et faire face à un danger et ne pas montrer sa peur, c’est montrer aux autres sa valeur. Ce culte est d’autant plus important sur un navire de guerre.

Le fils unique, de Bordeaux. Représentation d’un ex-voto de 1790
(Source: A. Corbin, H. Richard, La mer, terreur et fascination, Paris, BNF-Seuil, 2004, p. 87)

De plus, les marins vivent dans une promiscuité permanente, dans un environnement exclusivement masculin. De ce fait, ils vouent un véritable culte aux femmes, même si leur présence est interdite sur les navires. Leur image rythme la vie quotidienne des marins. En effet, les saints protecteurs sont en majorité des femmes et les marins leur dédient des chants entiers. Cela donne de l’espoir car la femme représente à la fois une image de protection, d’affection et de consolation. Il y a cependant différents types de femmes. Outre la Vierge Marie et les saintes protectrices, l’image de l’épouse restée à terre est omniprésente. La prostituée est également importante car les marins les rencontrent lors des escales. Elles ont pour effet de réconforter moralement les marins. Les femmes sont ainsi ce qui manque le plus aux marins lors des grandes expéditions.

 1 Béatrice Bottet, Le Petit Dictionnaire des Superstitions de Marins, éd. Mosset (www.pirates-corsaires.com/supersitions.htm).

Rédactrice: AZEMA Delphine