Les équipages de la Boussole et de l’Astrolabe sont recrutés à partir de 1784. Il faut être volontaire et accepter de quitter la France durant trois ans. Au total, 230 officiers et marins ont été choisis. La plupart des marins sont sélectionnés à partir de leur spécialité : charpentier, forgeron… et certains proviennent d’écoles militaires. Beaucoup de marins sont bretons car, grâce à la proximité de l’océan Atlantique et de la Manche, la Bretagne vit et est réputée pour ses activités maritimes. La Boussole comprend 90 officiers-mariniers, matelots et soldats sur un total de 110 personnes. L’Astrolabe, elle, contient 97 officiers-mariniers, matelots et soldats sur un total de 113 personnes1. Les matelots représentent la grande majorité de l’ensemble. Qui sont ces hommes sans lesquels les grands voyages océaniques du XVIIIe siècle n’auraient pu avoir lieu ?
L’origine sociale et le recrutement des matelots.
Le plus souvent, les matelots ne savent ni lire ni écrire, contrairement aux officiers qui sont alphabétisés. Les matelots sont fils de manouvriers, de travailleurs des ports et des manufactures, fils de paysans2. Il en existe plusieurs groupes. Tous les matelots ne travaillent pas dans le même lieu, n’ont pas les mêmes tâches et chacun a une vie différente et donc des caractéristiques différentes. Les marins pêcheurs sont semi-ruraux, urbains, catholiques, en retard d’alphabétisation et ont pour la plupart une famille stable et nombreuse ; les matelots de vocation partielle sont des paysans ou des gens de ville ; les marins du grand commerce, enfin, se tiennent en général à l’écart de l’église catholique, sont alphabétisés et ont une famille tardive et instable. Leur métier (vocabulaire, habitudes, croyances…) a notamment une influence sur leurs mentalités3.
Les matelots sont recrutés en fonction des besoins. Ces marins sont inscrits dans le registre de classe de leur ville, et se retrouvent dans l’une d’entre elles en fonction du lieu d’où ils viennent. A partir du moment où ils sont appelés, les marins doivent se diriger vers le port le plus proche. Le matelot n’a pas le droit de s’établir, ni de servir à l’étranger et ni le droit de se faire remplacer. En cas de non respect des règles, il sera considéré comme déserteur. Pour servir sur un navire, il faut que les marins se voient attribuer une classe de service puis se fassent affecter dans un bâtiment. Une classe de service est un service militaire en mer. Elle a été créée afin de posséder un grand nombre de marins et pour éviter que certains soient pris de force. Ainsi à la fin du XVIIe siècle, Colbert instaure ce système. Il permet d’appeler un certain nombre de marins, qui sont inscrits dans le registre de classe de la ville où ils habitent. Lorsqu’ils n’ont pas de classe de service attribuée, ils vont dans un bâtiment de la marine marchande. Et lorsqu’ils se trouvent dans une classe mais sans être affectés, ils vont dans un bâtiment pratiquant une navigation de proximité (pêche, côtière…)4.
D’autre part, l’ordonnance de 1681 et 1689 dispose que les hommes exerçant un métier maritime au service de l’État sans forcément naviguer auront le statut de « gens de mer», comme c’est le cas par exemple pour les voiliers, les charpentiers… Ainsi, les personnes exerçant des métiers spécialisés comme l’entretien, sont appelées pour aller servir sur les vaisseaux du roi.
Formation et hiérarchie.
Les matelots apprennent leur métier sur le tas. Ils n’exercent pas tous le même métier car il existe chez les matelots différentes tâches qui permettent de faire avancer le navire. Une fois expérimentés, ils peuvent passer à un grade supérieur. Par exemple, un ouvrier peut devenir officier-marinier. Au XVIIIe siècle, l’apprentissage consistant à transformer un jeune homme en matelot s’appelle le matelotage. Il concerne notamment les techniques de travail qu’ils doivent acquérir comme l’apprentissage des nœuds, des amarrages, l’entretien du navire… Ils doivent exercer leur métier à l’aide des maîtres correspondant à celui-ci.
On trouve d’abord les métiers de direction, de manœuvre qui requièrent de la technique et donc de la maîtrise comme le gabier, le timonier, les canonniers et le fusilier. Le gabier est le matelot chargé des manœuvres les plus hautes (dangereuses). Il prend soin du mât, des nœuds, visite le gréement, commande aux autres matelots et vérifie l’état de la voilure et des cordages.
Le timonier est celui qui manœuvre le timon d’un navire, c’est-à-dire la barre du gouvernail. Dans la marine de guerre, il seconde l’officier-chef, surveille la route empruntée et veille au respect des quarts de travail des matelots. Dans la marine marchande, il applique les ordres de l’officier de quart ou du capitaine. Durant le voyage de Lapérouse, il y avait respectivement 38 et 42 gabiers, timoniers et matelots à bord de la Boussole et l’Astrolabe.5
Les canonniers, qui sont des marins chargés du tir des canons à bord. A la fin du XVIIe siècle, des compagnies d’apprentis canonniers ont été créée à Brest, Toulon et Rochefort. Ils apprennent pendant six mois le métier au côté d’aides-canonniers et des seconds canonniers. Durant le voyage de Lapérouse, étaient présents un maître canonnier à bord de la Boussole et un maître canonnier, un second canonnier, quatre aide-canonniers à bord de l’Astrolabe.
Enfin, le fusilier est un marin formé aux techniques de combat à terre et au service des armes d’infanterie et qui est chargé, à bord, du fonctionnement du service intérieur, de l’encadrement militaire et de l’éducation physique et sportive des équipages. Durant le voyage de Lapérouse, quatre fusiliers se trouvaient à bord de la Boussole.
A bord, on trouve également des artisans c’est-à-dire des personnes qui sont présentes principalement pour l’entretien du navire. Le calfat est un ouvrier qui rend étanche la coque, remplit les jointures et les fentes d’étoupe. Il travaille avec des cordons d’étoupe et le brai. Durant le voyage de Lapérouse, dans la Boussole, on pouvait trouver notamment un maître calfat et trois aide-calfats. L’Astrolabe emportait trois maîtres calfats et un aide-calfat. Le charpentier de marine est un constructeur de navires. Les maîtres charpentiers enseignent leur savoir à des apprentis. Durant le voyage de Lapérouse, un maître charpentier et deux aide-charpentiers étaient présents sur la Boussole. L’Astrolabe, quant à elle, possédait un maître charpentier et trois second charpentiers. Le voilier fabrique les voiles et les répare. La Boussole contenait un maître voilier et deux aide-voiliers et l’Astrolabe détenait un maître voilier et deux aide-voiliers.
Enfin, il existe des matelots peu ou pas qualifiés. Le mousse est âgé de 12 à 16 ans et n’est pas obligé de servir sur les vaisseaux du roi. Il balaie le vaisseau, sert à la table des gens de l’équipage, établit les communications à bord entre les matelots. Le novice, âgé de 16 à 25 ans, cherche à apprendre un métier de la mer et s’engage à servir pendant une campagne sur des navires marchands ou les vaisseaux du roi. Après avoir navigué pendant un an, il peut devenir matelot dès l’âge de 18 ans6.
A partir de l’ordonnance de 1689, l’apprenti calfat ou charpentier a une paye de 5 sols par jour, ce qui est le nécessaire pour vivre. Son salaire augmente selon son mérite7. Par comparaison, le revenu moyen d’un ouvrier est de 35 sols par jour, celui d’un apprenti est entre 10 et 15 sols. Notons toutefois que dans la société artisanale d’Ancien Régime, l’apprenti d’un métier organisé en jurande ne reçoit pas de salaire: le maître le nourrit et le loge. Les matelots pouvaient toucher occasionnellement des primes en plus de leur revenu. En effet, lors de son voyage, Lapérouse a été déçu de ne pas faire des découvertes dans l’océan pacifique. Du coup, il promit une prime au premier matelot qui verrait une terre et donc pour cela, de nombreux marins sont restés des journées en haut des mâts…8Enfin, pendant les embarquements du mari, l’épouse d’un matelot recevait six mois d’avance de soldes pour vivre et pouvait recevoir des acomptes aux bureaux de la Compagnie en donnant un justificatif du mariage et avait des pouvoirs sur la gestion du patrimoine familial.
1 Houzel G., Des nouvelles de Monsieur de la Pérouse, Paris, Grand Sud, 2011
2 Cabantous A., Le ciel dans la mer, Paris, Fayard, 1990, p. 60
3 Verge-Franceschi M. (dir.), Dictionnaire d’histoire maritime (2 volumes), Paris, Robert Laffont, 2002.
4 LENHOF J.-L., ZYSBERG A., Le système des classes de 1665 à 1784, [en ligne], France, Université de Caen Basse-Normandie, mise à jour le 15 novembre, http://www.unicaen.fr/histoire/cimarconet/inscription_maritime/historique2.php
5 Milet de Mureau, Voyage de La Pérouse autour du monde, Paris, 1797 (http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb307382805)
6 Ordonnance de la Marine du mois d’Août 1681 [en ligne sur Google Books]
7 Llinares S., « L’apprentissage dans les arsenaux de la Marine au XVIIIe siècle » Techniques et culture, no 45 (janvier-juin 2005) [http://tc.revues.org/1446]
8 Houzel G., Des nouvelles de Monsieur de la Pérouse, op. cit., 2011
Rédactrice : Braz Kelly